Jusqu’à présent, les Lettres que l’on vous a adressé sur PelliCulte ont toutes été destinées à des films assez récents. Le film le plus âgé à avoir eu droit à une déclaration d’amour a 44 ans ; La Légende de la Montagne de King Hu. Mais sachez que pour ma nouvelle lettre, nous allons partir loin, plus loin, encore plus loin dans le temps… plus de 125 ans en arrière. Nous allons partir pour Lyon, l’un des berceaux du cinéma (et accessoirement lieu de naissance de PelliCulte !) pour découvrir un tout petit film qui, en moins d’une minute, va, je l’espère, raviver en vous un sentiment d’insouciance enfantine…

AU COMMENCEMENT…

Après l’année 2006 avec Little Miss Sunshine, je vais vous emmener directement aux origines du cinéma. En décembre 1895 a eu lieu à Paris la première projection publique du Cinématographe, imaginé par les frères Lumière à Lyon. Les films s’appelaient alors des vues et nous filmions avec des grosses caméras pouvant contenir des bobines ne pouvant enregistrer qu’une cinquantaine de secondes de film. Parmi les grands noms français de cette époque durant laquelle le cinéma et ses industries sont en pleine expansion à travers le monde, l’on retient notamment George Méliès. L’auteur du fameux Voyage dans la Lune, connu et reconnu pour ses films fantaisistes et ambitieux à base de grands décors et de costumes.

Mais nous comptons évidemment parmi eux les frères Lumière eux-mêmes. Auteurs des dix vues projetées durant cette fameuse soirée de première projection du Cinématographe, ils réalisaient ou produisaient des vues à tendance plus documentaire. Chez eux, nul effet spécial. Ce qui primait était la réalité, avec des personnages de la vie de tous les jours. Les titres de leurs vues étaient très évocateurs : Le Repas de Bébé, Passage d’un tunnel en chemin de fer… ou même La Sortie de l’Usine Lumière à Lyon. L’on assistait souvent en un seul plan fixe à des reproductions d’instants de vie. Les Lumière filmaient même parfois de simples quartiers de grandes villes. Avec tout son lot de piétons qui passent, d’autos roulantes… donnant ainsi lieu à de véritables cartes postales mises en mouvement.

Auguste et Louis Lumière
Les frères Auguste et Louis Lumière, parmi les pionniers du cinéma

Ainsi, les Lumière avaient plus un goût pour le terre-à-terre. Peut-on pour autant dire qu’il ne ressort de leur cinéma aucune fantaisie ? Parmi leurs vues, classées selon des catégories, notons celle des vues comiques. Des petites reproductions de tranches de vie comiques, rigolotes parmi lesquels le culte L‘arroseur arrosé. De ces films ressort un type particulier de fantaisie, que l’on pourrait appeler fantaisie du quotidien.

Et une vue la dévoile très bien à mes yeux. L’une de mes préférées des Lumière. Leur vue n°101, diffusée en février 1897 : Bataille de Boules de Neige.

UNE PARENTHÈSE ENCHANTÉE

Le Cours Albert Thomas, à Monplaisir, au début du XXe siècle
Le Cours Albert Thomas, quartier Monplaisir, au début du XXe siècle (photographie de Jules Sylvestre)

Au Cours Albert Thomas, filmé de trois-quarts. Séparé en deux camps, un groupe d’une douzaine de personnes fait une bataille de boule de neige. Pas un seul enfant à l’image. Au contraire, des adultes. Un cycliste a la mauvaise idée de passer en plein milieu du champ de bataille. Erreur ! Il subit un affreux acharnement. Mais l’un des guerriers aide le pauvre cycliste a se relever et à rebrousser chemin (en oubliant son béret). La bataille continue.

Et c’est tout. Rien d’autre. Des gens, dont on ne sait et ne saura jamais rien, s’amusent à se lancer des boules de neige. Juste une petite parenthèse enchantée… qui me suffit amplement, personnellement.

Qui lance ces boules de neige ? Des adultes. Donc, des gens censés être sérieux, bien élevés et responsables. En les voyant faire quelque chose d’aussi puéril, si l’âge adulte était un examen, leur appréciation serait « Peut mieux faire« . Le temps d’une minute, des adultes régressent… et retrouvent le bonheur des choses simples. Quelque chose qui me touche profondément.

Car du haut de ma vingtaine, je grandis, je prends de plus en plus conscience du poids des responsabilités. Et je me demande quelquefois si je pourrai retrouver ne serait-ce qu’une seule fois l’insouciance que l’on avait durant son enfance. Bataille de Boules de Neige me conforte dans le fait que oui, l’on a encore le droit de s’amuser comme ça une fois adulte. Pendant une minute, on voit des personnes être heureux ensemble et un bonheur communicatif et enfantin ressort de ce film. Pour un instant, la vie redevient d’une grande simplicité. Avant que l’on reparte de plus belle, revigoré, plus frais dans sa vie d’adulte…

PETIT, COURT MAIS RICHE

Au-delà de la résonance personnelle que j’entretiens avec ce film, je trouve que Bataille de Boules de Neige est mine de rien une oeuvre d’une petite richesse !

Notons chez tous les personnages à l’écran une divergence au niveau des vêtements, qui trahissent peut-être des origines sociales différentes. Si tel est le cas, l’idyllisme de l’oeuvre n’en est alors que plus renforcée. Les différences sociales se brisent un instant au nom de l’amusement…

De plus, tant de personnages à l’écran, c’est l’occasion de suivre différentes péripéties au sein d’un même plan fixe ! On peut revoir le film encore et encore pour se concentrer sur chaque personnage. Nous voyons une femme en robe batailler dans sa propre tranchée. Ou un élégant homme à chapeau faire des boules de neige dans un camp pour les lancer depuis l’autre. Dans tous les cas, tous finissent par se regrouper contre ce pauvre cycliste, provoquant chez nous un cas de conscience ! « Quelle méchanceté de s’en prendre à lui ! Ça ne se fait pas… mais il faut reconnaître que c’est marrant. Mais ça ne se fait tout de même pas… mais bon, c’est drôle… »

Mais aussi ce couple en arrière-plan, se tenant immobile et assistant à cette petite guerre. Que peuvent-ils bien se dire ? Trouvent-ils ces petits guerriers trop immatures ? « Quelle bande de gamins ! » Au contraire, les envient-ils ? Peut-être hésitent-ils à les rejoindre… « Ce serait trop bien se joindre à eux…« 

Y PRENDRE PART…

Je conclurai en vous avouant que ce film m’a fait quelque part le même effet qu’un certain Mektoub My Love : Canto Uno (dont vous a déjà parlé Lucas). Le premier film dure 3 heures, l’autre moins d’une seule minute. L’un se passe en été, l’autre en hiver. L’un est un film contemporain, l’autre un film des origines… Bref. Malgré les opposés, ils provoquent le même souhait chez moi : celui de pouvoir rejoindre tous les personnages à l’écran. Pour vivre des instants fous d’insouciance. Vivre dans une petite bulle, une parenthèse enchantée. En l’occurrence avec cette petite vue, le plaisir de prendre part à une petite guerre de pacotille et terriblement attendrissante…

Et l’hiver approchant, je sais que certains grands enfants ont déjà hâte de s’y mettre aussi. Dans la réalité.

En attendant, pourquoi pas préparer le terrain ou simplement mettre sa réalité sur pause ne serait-ce qu’une minute en regardant Bataille de Boules de Neige ? Le film est largement disponible partout, vous pouvez le voir sur YouTube… ou alors juste ici en cliquant sur cette vidéo !

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