LA LÉGENDE DE LA MONTAGNE DE KING HU

Une rencontre qu'on n'oublie pas

Une lettre, c’est un message. Un petit morceau de soi qui profite à son destinataire, nos mots, nos pensées. De la même manière, le cinéma agit comme porteur d’idées, celles de ses auteurs. Toutes ces équipes qui façonnent l’imaginaire par cette suspension du temps, capturée par de simples superpositions d’images, nous en adressent de par le monde et les époques. Modestement, voici la mienne. Je n’ai que rarement eu l’occasion de voir un film aussi magnifique et un univers aussi charmant que celui provenant de la caméra de King Hu.

1979, Corée du sud, Temple Bulguksa.

La Légende de la Montagne

Production taïwannaise, tournage coréen, auteur hong-kongais. Véritable melting-pot culturel, ce colossal métrage de 3h12 est d’une sacrée générosité  et fait preuve d’une épure sans égale. Il s’agit d’un récit semi-contemplatif de la nature, des formes qui y ondulent, des forces qui s’y affrontent. À l’égal des récits naturalistes tels que l’anime Mushishi, la montagne filmée par King Hu renferme de nombreux secrets, incompris des humains peu attentifs.

Le plaisir de l’aventure des sentiers, de découvrir un temple pris dans les branchages juste derrière la colline, d’apercevoir ce qu’on pense être une silhouette dans la brume, voilà le genre de recueil que nous délivre Hu. L’homme est à la place la plus petite possible, nous ne sommes que témoins de plus grandes choses. Tout n’est pas expliqué, tout ne le sera jamais. Mystique, oh oui, le film l’est de A à Z. Le surnaturel se distille à l’orée des arbres, s’insinue parmi les eaux. On ne réalise ce qu’il se passe qu’après avoir compris que deux heures étaient déjà passées.

La Légende de la Montagne

Quand on a bourlingué dans le paysage du cinéma chinois, on a l’habitude des mythes spectraux. Histoire de fantômes Chinois, Green Snake, Painted Faces, tant de films ont déjà ou vont dépeindre la fragmentation du filtre fin des deux mondes, celui des hommes et celui des esprits. Pourtant, La Légende de la montagne me fait l’effet d’un film somme. Jamais l’étrange n’a paru si surprenamment familier. Jamais il n’a été si bien filmé. Ce film repart comme il est venu, dans le plus étrange des silences. Ce calme est bien sûr ponctué de confrontations, d’ailleurs tout en musique ici. King Hu a choisi de faire s’affronter les différents personnages par le biais de la musique. Tels des chamans munis de leur totem, les esprits et moines se contiennent, répliquent et se débattent par leurs instruments. Tous renvoient à leur personnalité. Quelle folie. Quelle idée ! C’est fantastique.

La Légende de la Montagne

Le traditionnel conte de l’homme prit dans les toiles d’une belle sorcière, ou d’une princesse errante dans un palais fantôme, est devinable en quelques scènes. La surprise se trouve ailleurs. En effet, Hu va continuellement éplucher ses personnages pour en révéler plus, le cœur noircit à chaque niveau retiré. Tel va manipuler tant. Lui se trouve être mort à cause d’elle. Ce qui débutait comme un conte flottant se conduit finalement comme un drame colérique, qui va très loin dans sa furie, dans ses idées visuelles, dans sa mise en scène. Vraiment, c’est le genre de chose impossible à décrire avec des mots. La dernière heure est presque éprouvante de noirceur, tant ces figures qui nous semblaient si belles sont là bien différentes. Une des philosophies abordée dans toute la filmographie du maître d’ailleurs, l’élévation de l’âme, mais aussi sa perversion dans la renonciation de tout.

Je vous en conjure, voyez cette légende. Vivez-là. Ce n’est pas la plus simple d’accès, ni la plus facile à aimer. Mais assister au choc du mythe et du cinéma moderne, se confronter à des concepts aussi sémantiques que la philosophie bouddhiste, c’est une expérience dont tous ressort grandi.

King Hu mesdames et messieurs, décédé il y a 25 ans, mais encore bien envie, lui et ses rêves.

Vous pouvez retrouver les autres lettres ici.

Auteur/Autrice

Partager l'article :

1 Comment

Comments are closed.