The Substance, réalisé par la française Coralie Fargeat, s’empare d’un concept tout droit sorti de Black Mirror pour le traiter ensuite avec l’énergie d’un Cronenberg (celui d’antan, avant qu’il devienne un peu calme et ennuyant comme avec The Shrouds). C’est fou, c’est frais, ça écoeure, ça fascine, ça divise, tout ce qu’on aime dans le cinéma. Retour sur l’une des séances les plus éprouvantes de cette 77ème édition du Festival de Cannes. 

Devant une telle oeuvre, le repos n’est jamais permis, The Substance joue constamment sur l’attente de son spectateur. Lui croit savoir comment va se dérouler l’intrigue mais finit tout de même surpris par la mise en scène qu’adopte la réalisatrice afin de dévoiler ses péripéties. Tous les éléments composant le récit sont poussés à l’extrême, flirtant de manière passionnante et amusante avec la caricature. Le fond et la forme s’accordent totalement, exécutant une même danse synchrone et cohérente. Alors bien sûr, c’est du body horror, très gore, plus sanglant et sensoriel que tout ce que vous avez pu imaginer mais ces séquences ciblées parsèment le film avec un bon équilibre. La montée en puissance fonctionne, l’effroi aussi, notamment grâce à l’immense travail des effets spéciaux (prothèses de folies, maquillage) qui impressionnent du début à la fin. 

Derrière la science-fiction, Coralie Fargeat dénonce Hollywood, ses producteurs et plus généralement la société, où la recherche excessive de la beauté et de la jeunesse est fatale pour une femme qui vieillit, remplacée dans un système qui ne les accepte pas. A défaut d’être traitée de manière subtile, l’intention reste franche et assumée.

La puissance du film doit beaucoup à son casting, frôlant la perfection. Que ce soit Dennis Quaid en producteur écoeurant ou Margaret Qualley qui confirme ici indubitablement sa place dans la nouvelle génération d’acteurs d’Hollywood, les comédiens habitent leurs personnages. Mention spéciale à Demi Moore qui, dans une idée très méta, ressurgit pour un nouveau rôle hyper physique, intense et qui retourne constamment son image de star glamour, fonctionnant donc à merveille avec le propos du film.

Le retour à l'écran choc de Demi Moore @ Working Title Films

Toutefois, The Substance n’est pas exempt de défauts. Au niveau du rythme de son montage d’abord, avec un récit qui peine à démarrer, prenant un peu trop son temps, stagnant au milieu du film pour finalement décoller dans la troisième partie, peut-être un poil trop tard. Également, les nombreuses tentatives formelles (appréciables car rafraîchissantes) ne fonctionnent pas toutes ; certains choix maladroits révèlent encore un manque de maîtrise technique (comme l’utilisation de la vue subjective ou à la caméra embarquée dans la course des personnages). 

Il n’en reste pas moins que le film possède de « vraies idées », parvenant à bousculer la rétine du spectateur et à atteindre d’étonnants sommets, ce qui est assez rare pour être signalé, surtout au travers de cette sélection cannoise peu exaltante. Chez PelliCulte, et sans vous spoiler, on pense notamment à une séquence très ambitieuse de pur montage psychédélique, où l’enchainement des plans transmettent l’horreur et la violence de ce qui y figure.

Les règles très précises de The Substance @ Working Title Films

Enfin, Coralie Fargeat a la bonne idée de se servir de l’imaginaire cinématographique des spectateurs pour accentuer ce qu’elle raconte, utilisant des références de films assumées. Contrairement au cinéma de Tarantino qui est justement construit sur ces références, The Substance crée quant à lui une ironie à partir d’elles. On sourit en entendant un morceau tout droit issue de Vertigo, on se souvient tour par tour de La Mouche, Elephant Man, Carrie au Bal du Diable, et sommes pris malgré nous dans un engrenage infernal à la Requiem for a Dream. Que de belles citations pour un film qui stimule notre imagination en livrant de manière originale ses propres influences.

The Substance est un deuxième film d’une réalisatrice enragée, possédant la très précieuse énergie des premières oeuvres. S’autorisant à jouer avec les codes de la série B, et derrière son appétit du gore, elle livre en même temps un vrai propos sur la condition des femmes et l’obsession de la jeunesse. Après Julia Ducournau, Coralie Fargeat remue la sélection officielle en nous rappelant que le cinéma, c’est aussi pousser son spectateur dans ses retranchements et lui faire vivre une vraie expérience, à la fois monstrueuse et dénonciatrice d’une triste réalité encore trop ancrée dans notre société patriarcale. La Croisette est secouée, mais pour le meilleur. Est-ce que cela suffira pour remporter la Palme d’or ? Affaire à suivre…

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