Récompensé à Cannes par le prix du jury et le prix d’interprétation féminine pour ses quatre actrices principales, cet ovni hybride parvient avec justesse à traiter des thématiques de la transidentité, de la rédemption et de la violence, sur fond de comédie musicale.
Veuillez noter qu’en tant que personne cisgenre, je n’ai en aucun cas la légitimité de parler du parcours des personnes transgenres. Je ne parlerai que du parcours du personnage au sein du film et non de l’expérience des personnes transgenres en général.
Emilia Pérez nous conte l’histoire de Rita, avocate surqualifiée et surexploitée par un cabinet véreux, trouvant une issue inattendue à sa situation en aidant le chef de cartel Manitas à quitter le monde du crime et à réaliser son rêve : devenir la femme qu’il a toujours voulu être.
Un délicieux chaos de genres
Jacques Audiard livre avec ce film un mélange explosif de plusieurs genres cinématographiques, notamment la comédie musicale, la télénovela ou encore le thriller policier. Le cinéaste explique que, tout comme le personnage d’Emilia Pérez au sein du film, le genre de l’œuvre ne cesse de changer et de se métamorphoser, sans toutefois perdre le spectateur.
Loin de la comédie musicale typique, les numéros chantés et dansés ont tous une identité qui leur est propre, sans chercher à suivre une quelconque linéarité dans leur mise en scène. Bien que certains soient plus pertinents que d’autres, la majorité des tableaux musicaux, parfois entraînants, parfois déchirants, a tout pour séduire.
Transidentité et Symbolisme : Une Approche Binaire
Audiard a admis ne pas être familier avec le sujet de la transidentité, et certaines scènes du film s’en font ressentir, notamment dans la scission marquée entre Manitas, l’homme, et Emilia, la femme. Le genre est vu ici comme un élément profondément binaire, sans chercher une certaine linéarité autour de ce dernier.
Néanmoins, cette approche naïve et stéréotypée de la transidentité fait sens de manière symbolique dans ce film, sans jamais tomber dans le mélodrame ou le mauvais goût. En effet, le personnage d’Emilia vit un véritable « avant-après », autant sur le plan physique que mental, qui fait parfaitement écho à la situation polito-sociale au Mexique.
La transition comme acte de rédemption
Avant de transitionner, Emilia Pérez était alors Manitas del Monte, à la tête d’un cartel de drogue ultra violent au Mexique. Le personnage était alors ancré dans une société mexicaine patriarcale, profondément gangrénée par la violence et la pauvreté, et s’adonnant de ce fait à des actes d’une cruauté sans nom. Son personnage masculin représente la virilité, l’absence de toute pitié et la violence.
Après sa transition, Manitas devient Emilia, une femme en quête de rédemption, qui souhaite faire le bien et compenser les actes ignobles qu’elle a pu produire dans son autre vie. En devenant une femme, son personnage devient doux, maternel et cherchant à réparer les erreurs de son passé.
Bien que stéréotypée et tranchée, cette scission va bien au-delà de la simple question du genre, mais interroge en vérité sur la société profondément patriarcale et portée sur la violence de l’Amérique du sud. De plus, le côté kitsch assumé de la mise en scène du film rejoint cette vision stéréotypée du genre, évitant donc de faire plonger l’œuvre dans le mauvais goût, bien que s’amusant à jouer avec cette limite
Des récompenses méritées
Finalement, Emilia Perez est une œuvre risquée, mais réussie, qui parvient à séduire son spectateur en le faisant voyager au travers de sa musique, de ses chorégraphies, de ses genres variés qui se croisent et se succèdent, mais surtout au travers de l’histoire qu’elle lui raconte. Une histoire de rédemption, de changement, qui questionne sur la capacité de l’être humain à changer et à fuir son passé.
Le tout est porté à l’écran par quatre actrices fantastiques, très justement récompensées, qui livrent des performances absolument magistrales.
Un très beau film, qui fera certainement beaucoup parler de lui lors de sa sortie.
Sortie en salle dès le 21 août 2024
Pour patienter, la bande-annonce du film:
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