Le 49ème festival de Deauville se termine aujourd’hui, en parallèle avec la prise d’assaut de la ville par les touristes. Au fur et à mesure de la journée, on a vu les rues se remplir comme des entonnoirs, atteignant un niveau de population que l’on avait jamais pu observer là-bas.

rien à perdre (prix d'ornano valenti)

La journée débute trente minutes plus tard que d’habitude (seulement trois films sont projetés aujourd’hui) avec le prix d’Ornano Valenti, récompensant un premier film français, offert à Rien à Perdre, de Delphine Deloget, avec Virginie Efira et Félix Lefebvre (membre du Jury de la Révélation). C’est encore une fois une grande excuse pour montrer le talent de l’actrice belge, se débattant pour récupérer la garde de son fils. C’est un film français classique, social (même si la réalisatrice ne veut pas l’appeler comme ça), réaliste, à la caméra portée et au montage centré sur l’émotion plus que sur le raccord. C’est un premier film, difficile à produire, qui a été produit, récompensé et diffusé dans une salle de cinéma. Peut-être qu’il ne changera pas le monde, mais il a le mérite d’exister. Rien à perdre sera distribué, sortie le 22 novembre 2023 au cinéma. On l’aura sûrement oublié, mais il fera ses entrées sans problèmes.

On sent quand même que cette journée est dictée par l’attente du palmarès. On stagne, on attend le verdict, on est contaminé par les hésitations des jurés, enfermés derrière les murs du Normandy. Alors on s’occupe comme on le peut, avec Captives de Arnaud Des Pallières par exemple. Un long métrage filmé comme The Office, aux couleurs agressives et aux réglages caméra foireux – shutter à 1/100 pour les techniciens – chaque mouvement un peu rapide nous déchire la rétine tant c’est net. Carole Bouquet fait réviser une valse sur un morceau à quatre temps, le montage est affreux…on s’occupe comme on peut. Enfin 19h…

rien à perdre
Dans Rien à Perdre, Virginie incarne une mère de famille persuadée d'être victime d'une erreur judiciaire. © Curiosa Films

l'heure du verdict

On foule une dernière fois le tapis rouge, on descend une dernières fois les marches, on se fait placer une dernière fois par les mariniers. Et, notre palmarès en main, on espère voir nos favoris se faire couronner. Et figurez vous qu’on n’était pas si mal…
 
Musique ! Lumières ! Canapé sur la scène ! C’est la fête au CID. 1h30 de cérémonie. Cela commence avec le Prix de la Critique (présidé par Eva Bettan). Elle monte sur scène et nous dit : « Le règlement ne permettait pas quatre ex-aequo, nous avons donc voté en faveur du plaisir […] Il y a dans le film que nous avons choisi une scène d’ouverture qui est appelée à devenir mythique (on a su à ce moment-là) […] Le choix de notre jury, accessoirement, vous prouvera que les critiques ne sont pas que des pisse froid. Nous n’avons pas oublié qu’une des fonctions du cinéma c’était de s’assoir devant un grand écran… et de kiffer. » Bref, Eva Bettan nous parle de LaRoy mieux que personne. Le réalisateur Shane Atkinson, lors de son deuxième discours de la soirée (après le Prix du Public) laisse échapper quelques larmes.
 
Vient ensuite le prix de la Révélation. La présidente du jury, Mélanie Thierry nous dit : « Nous avons choisi de distinguer parmi tous ces films un premier long métrage, où l’héroïne est une jeune femme ballotée au gré des courants (on a su à ce moment-là, grand sourire), n’ayant aucune idée chaque matin d’où elle pourra dormir le soir. Une héroïne qui semble sans cesse se réveiller d’un rêve pour plonger dans un autre bien plus inquiétant encore, comme une Alice dans un pays éternellement désenchanté. » Sean Price Williams, le réalisateur de The Sweet East n’étais pas là pour récupérer son prix, mais nous a envoyé une vidéo complètement chaotique depuis l’Ecosse, où chaque seconde était saturée par le vent et par la circulation alentour. Cela ajoute au caractère sympathique de ce nouveau réalisateur, à qui l’on souhaite une très longue carrière.
 
Vient alors le grand moment, le paroxysme de cette 49ème édition. Guillaume Canet, décide d’attribuer deux prix du Jury (on vous l’avait dit), car « il y a quelque chose d’assez compliqué de choisir 3 films sur 14, parce qu’il y a forcément des films qu’on a aimé et qui ne seront pas récompensés. » C’est donc The Sweet East pour « sa liberté, pour son audace, pour son humour, pour cette traversée de l’Amérique d’aujourd’hui et pour sa comédienne époustouflante », ainsi que Fremont pour « sa délicatesse, son humanité et son humilité, pour la possibilité d’un après lumineux et tendre pour tous les échoués de la vie » qui repartent avec un prix.
 
Le Grand Prix, le CID retient son souffle. Guillaume Canet nous dit qu’il a tout aimé dans le film qu’il a choisi, et termine par un « Where the fuck is LaRoy ? », réplique clé du film de Shane Atkinson, qui repart ce soir avec trois récompenses. Mérité. Le producteur nous annonce alors que le film a trouvé son distributeur durant ce festival, ARP (a real passion) qui sortira le film en avril 2024. Restez à l’affut.
 
Récapitulatif du palmarès :
 
Grand Prix : LaRoy réalisé par Shane Atkinson.
Prix du Jury : The Sweet East, réalisé par Sean Price Williams.
Prix du Jury : Fremont, réalisé par Babak Jalali.
Prix Louis Roederer de la Révélation : The Sweet East, réalisé par Sean Price Williams.
Prix du Public : LaRoy, réalisé par Shane Atkinson.
Prix de la Critique : LaRoy, réalisé par Shane Atkinson.
 
Joïka raconte l'histoire vraie de la danseuse américaine de ballet Joy Womack. © Four Knights

joïka (premières)

On nous laisse en compagnie de notre nostalgie, mais surtout avec Joika de James Napier Robertson, la dernière projection de ce 49ème festival de Deauville. Encore une fois, l’actrice phare de cette édition à l’écran pendant deux heures : Talia Ryder mesdames et messieurs. Le film a été tourné en 27 jours, un rythme impressionnant, mais pas tant que ça finalement, car Todd Haynes nous disait la veille que May December avait été tourné en 23 jours. Ce n’est pas une compétition, mais bon… Joika c’est l’histoire vraie de la danseuse étoile américaine Joy Womack, qui rejoint le Bolchoï à Moscou. Toutes les filles sont livides, maladivement blanches, les articulations craquent et la salle n’a pu retenir quelques cris d’épouvantes quand les bruitages devenaient trop agressifs. La transformation de l’actrice en danseuse étoile apparait au travers du montage, qui ajoute des inserts des pieds de la doublure (Joy Womack en personne) au visage expressif de Talia Ryder. Peut-être trop facile, on manque de plans moyens ou de mouvements sans coupes pour créer une unité plus fluide, mais un film dans l’ensemble très fonctionnel, assumant partis pris et idées multiples, efficace à quasiment tous les niveaux, et divertissant à souhait.
 
On quitte le CID. Le lendemain, on arrache le tapis rouge au cutter, les barrières ont disparu, on marche là où l’on nous l’interdisait auparavant. Le festival s’arrête, Deauville redevient Deauville. Mais le cinéma américain va BIEN ! Cette compétition était fantastique, nous offrant des coups de cœur géniaux qui nous accompagneront longuement. C’est le cœur gros de satisfaction et de cinéma que l’on remonte dans le train pour Paris. À l’année prochaine (on l’espère)…

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