Il existe désormais un bon film dans l’univers du foot. Il se nomme Mercato.
C’est un leitmotiv qui désole les amoureux du ballon rond. Depuis trente ans, et avec une rigueur presque mathématique, chaque nouvelle sortie cinéma (ou presque) située dans l’univers du foot finit irrémédiablement la tête et les yeux dans le gazon. Le dernier exemple en date n’oblige à remonter qu’à octobre dernier, avec le fort bien nommé 4 zéros, réalisé par Fabien Onteniente, et qui venait clôturer une série d’échecs dont on se lassait d’entendre le coup de sifflet final. Or, avec Mercato, voilà que la malédiction se lève enfin.
Le choix payant du film, grosse production à 13 millions d’euros signant le retour au premier plan de Jamel Debouzze, est d’esquiver totalement la question du terrain. Pas de matchs faussement retransmis, pas de reconstitution, pas de simulacres forcément faiblards. Mercato prend le parti de suivre un agent (Driss) et d’en explorer le trajet dans les souterrains du foot business, sur une période de huit jours.

Thriller de ballon
Cette durée, c’est le temps que lui a laissé un ancien malfrat pour lui rendre une importante somme d’argent. Problème : Driss n’est plus vraiment la star de son milieu. Autrefois florissante, sa carrière est désormais celle d’un déclassé qui vivote de transferts miteux dans des ligues inférieures, quand la seule valeur marchande de son catalogue (Hakim Jemili, joueur du PSG) se vautre dans l’alcool et les égarements sybarites de la capitale. Dans le privé, ce n’est pas vraiment mieux : une ex-femme qui ne lui parle plus, et un fils qui doit dormir sur le canapé et le méprise doucement. Driss va devoir faire fi de tous ces obstacles pour payer sa dette, sous peine de perdre sa vie.
Mercato tient sur deux paris, qu’il arrive presque à tenir jusqu’au bout. D’abord, faire un thriller chimiquement pur, sans beauferie comique ou interludes mélos. Caméra collée aux basques de Debouzze pendant deux heures, le film s’arrime à ce simple programme avec sa batterie d’effets propres au genre (musique pulsative, éclats de violence, tension croissante), dont l’exécution ne manque pas de muscle. On voit bien l’objectif caché de Tristan Séguéla, le réalisateur : faire une sorte de remake du Uncut Gems des frères Safdie, là aussi film sur l’argent roi et le parcours d’un anti-héros pris dans la folie de ses propres combines. Si l’inspiration est un peu écrasante (le personnage d’Adam Sandler était bien plus radical et carnassier, donc davantage passionnant), Mercato s’en tire tout de même avec les honneurs, surtout dans un paysage hexagonal abonné aux incursions dans le genre virant vite au comique involontaire.
Deuxième ligne de front : documenter un certain état du football mondial gangréné par le capitalisme. Des nouveaux riches au Moyen-Orient aux boites de nuits parisiennes, en passant par les centres de formation comme autant de batailles autour de gamins toujours plus frais, Mercato dessine le panorama d’une industrie dont les contours se confondent avec ceux d’un Monopoly globalisé. Pas de film à thèse ou de lecture moralisatrice, mais une approche aux ras des faits, parfois un peu grandiloquente (le transfert à un milliard, conclu sans l’aval du joueur), mais qui témoigne d’un vrai respect de l’univers dépeint, loin de l’usine à fantasmes. Mercato ne dit rien de vraiment neuf, mais il le dit avec justesse.
Il peut en plus compter sur un autre atout de poids dans sa manche : Jamel Debouzze.

Un Jamel Debouzze impérial
Il y avait depuis très longtemps (Indigènes ?) que l’on n’avait pas vu l’acteur aussi impliqué et charismatique. Dans les premiers plans, une conversation téléphonique avec un autre agent, l’on pense que le comédien va rejouer sa partition de truqueur, ce show de la verve en rafale dont il nous a accoutumé, probablement à l’excès. Mais la piste se révèle trompeuse. Très vite, Driss se révèle aussi impuissant que son éloquence peine à faire vraiment effet. Ses mots butent sur un réel qui lui résiste. Peu importe combien il se débat, affabule, embobine, ses boniments ne suffisent plus. La gouaille, un peu éteinte, est devenue anachronique, dépassée par un système où la force de l’argent outrepasse celle du verbe.
Pire, à l’opposé de ce à quoi nous a habitué le comique, son personnage est foncièrement peu sympathique : manipulateur, cynique et sans grands affects, il est l’incarnation du milieu vénéneux dans lequel il vivote. Au diapason du ton du film, Debbouze apporte une intensité et une intériorité cafardeuse dont on ne demande qu’à voir de nouvelles déclinaisons à l’avenir. Sa prestation éclipse d’ailleurs le reste des personnages, relégués à des ectoplasmes sans grande consistance et bazardés par un script sans doute trop aspiré par l’éclat de sa star.
Reste que pour un samedi soir à la place d’un match de ligue 1, on prend tous les jours.
Voir la bande-annonce :
Auteur/Autrice
Partager l'article :