Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque vendredi chez eux, et chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !


LE POUR

THOMAS G.

Quand le Temps suspend son vol

Bafta, Oscar, Golden Globe, César : tant de noms si alambiqués mais qui résument parfaitement l’état d’esprit du monde du cinéma en chaque début d’année. Un premier trimestre où l’establishment se met en branle et multiplie les cérémonies de récompenses, avec en point d’orgue les Oscars, généralement prévus entre février et mars.
Mais alors qu’elles semblent, au fil des ans, perdre leur superbe, faut-il jeter l’opprobre sur des cérémonies dont le prestige et l’impact semblent encore intacts ?

Bien sûr, il est aisé d’accuser ces cérémonies d’ethnocentrisme, bien que les Oscars de cette année, en déroulant un tapis rouge au coréen Parasite, auraient tôt fait de prouver l’inverse. C’est oublier que ces cérémonies, intrinsèquement, n’ont jamais eu la vocation de représenter un spectre global du Septième Art (chose de toute façon impossible). Chacune d’entre elles célèbre avant tout SON cinéma : l’américain pour les Oscars, le français pour les Césars, l’espagnol pour les Goyas, et ainsi de suite. Il est autant de cérémonies que de pays, et donc autant d’opportunités de voir le cinéma que l’on aime être célébré. Vouloir faire d’une poignée de cérémonies les représentantes du cinéma dans toute sa multiplicité, c’est nier la spécificité culturelle de chaque pays, et c’est se contenter de faire des nominations des données statistiques, sans aucune saveur, se contentant d’un alignement d’oeuvres en niant l’aspect personnel du choix desdites nominations.
Trop politiques, trop prévisibles, résultats décevants : l’on entend tout et son contraire sur les cérémonies de récompenses. On pourrait s’arrêter là, tant l’idée même de telles polémiques prouvent que ses détracteurs conservent toujours pour elles une fascination. Mais cela révèle une chose essentielle : au-delà du cynisme ambiant, qui consiste à dire que d’avance, les dés sont pipés, et que plus aucune cérémonie n’est digne d’intérêt, le monde du cinéma, ses strass, ses paillettes, continue à émerveiller les foules, charmées de voir une partie du cinéma qu’il aime célébré. Et pour les sporadiques gadins, qui ne se souvient pas de la joie de Jean Dujardin aux Oscars ? Du discours d’un DiCaprio enfin récompensé ? De l’émotion de Léa Drucker l’année dernière ?

Bien sûr, elles ne sont pas exemptes de défauts. Mais pour ce moment de féerie où le Septième Art suspend, l’espace d’un instant, le temps, son temps, et où le monde du cinéma ploit devant les vainqueurs d’un jour ; le public, lui aussi, n’a d’autre choix inconscient que de lui aussi, contempler la célébration de l’Art.


LE CONTRE

ANTOINE C.

La « légitimité » des paillettes du marketing

Le 9 février, la 92e cérémonie des Oscars a eu lieu. Une année de plus où tout le cinéma s’est vu honoré aux yeux du monde… Vraiment tout le cinéma ?

Comment sont sélectionnés les films lors des cérémonies ? Les divers studios soumettent à la considération d’un immense jury une part infime de leur catalogue annuel afin d’éventuellement glaner une place dans les célèbres cérémonies. En une phrase, nous venons de résumer le problème majeur de ces cérémonies ; le choix est tellement petit que le risque n’est pas permis. Les studios ne peuvent pas se permettre d’être snobé, et doivent donc envoyer des films qui sont hautement susceptibles de réussir. 

Il y a-t-il donc une recette magique ? Un succès critique et public combiné à une sortie assez bien placée pour que les spectateurs se souviennent du film la cérémonie venue. Aussi terrible soit-il, le constat est implacable : plus qu’une récompense filmique, les Oscars, Césars et consorts sont devenus au fil des années le plus grand des services marketings des hautes sphères de production. Le trophée ne sert plus à récompenser la personne, mais bien à inscrire des encarts sur des affiches : DiCaprio a-t-il gagné son Oscar pour sa performance ou par le lobbying que la Fox a réalisé pendant des mois ?

Bien évidemment, il ne faut pas voir le verre complètement vide : les belles histoires perdurent, et les oeuvres récompensées le sont souvent à raison. Il n’empêche que voir les prix techniques décernés désormais pendant les coupures pubs signe un mal hollywoodien bien profond : on n’honore plus les films pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils représentent. Il est désormais nécessaire de construire un film dans les moeurs de son temps pour réussir, quitte à en oublier l’essentiel ; depuis combien de temps n’avons-nous pas eu un Oscar du meilleur film mémorable ?

Bien évidemment, il ne faut pas non plus en appeler au boycott, ni nier ce qui en fait un immense spectacle : mais il faudrait reconsidérer ces cérémonies comme des oeuvres marketings d’un monde fermé sur lui-même, redonnant de la visibilité à des oeuvres qui n’en avaient pas forcément besoin sans nécessairement mettre en avant la créativité artistique, comme l’a dénoncé Ricky Gervais aux Golden Globes en janvier ; plutôt que de tenir les avis énoncés via ces récompenses par des “spécialistes”, est-ce que l’on ne prendrait pas plutôt le temps de se construire nos propres tableaux d’honneurs ?

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