Maintenant que le phénomène marketing Challengers est passé, nous pouvons désormais revenir sur cette expérience cinématographique qui a divisé nombre de ses spectateurs. Pourtant, cette fois, il nous paraît impossible d’écrire notre ressenti de manière habituelle. Cette critique adoptera donc exceptionnellement une forme particulière et sera construite comme une véritable plongée dans un match de tennis. Préparez vos raquettes, échauffez-vous, la confrontation commence tout de suite !

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Le terrain de tennis, espace de désir @ Metro-Goldwyn-Mayer

PREMIER SET

Ce qu’il faut saluer chez Luca Guadagnino, c’est qu’il ne se contentera jamais de se rendre en terrain connu, et prendra toujours le risque de surprendre son spectateur. Challengers n’est pas un film de sport sur le tennis, ça n’en sera d’ailleurs jamais un. Le cinéaste préfère se servir de la balle jaune comme d’un réceptacle, celui du désir de ses personnages. 

2/0 – pour le joueur italien qui arrive par ce simple concept à démarrer le film sur les chapeaux de roues

Au vu de la bande annonce et notamment de cette image de Zendaya embrassée des deux côtés par Mike Faist et Josh O’Connor, nous aurions pu croire que la sensualité passerait par un érotisme représenté et assumé. Que nenni, là-encore, contre tout attente, il n’y aura rien de montré. Le tennis étant la métaphore de ce désir, c’est au travers de sa mise en scène que le réalisateur nous le fera ressentir. Le film témoigne d’ailleurs d’une vraie recherche sur comment filmer un sport sans vraiment mettre en avant les points ou le jeu en lui-même mais plutôt les corps des sportifs, véritable obsession du long-métrage. Le travail de découpe des plans sur les gestes est remarquable, s’accompagnant d’une esthétisation des mouvements qui donne une sensualité inattendue à l’oeuvre. 

3/1 – le spectateur est abasourdi par la dynamique du cadre et de la puissance qu’il en ressort

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Filmer la sensualité du corps @ Metro-Goldwyn-Mayer

Cette mise en scène exacerbée et assumée enchaîne les effets de style à une vitesse fulgurante :  ralentis à gogo sur les corps suants, angles surprenants et d’ordinaire impossible ou excentricité de la caméra prenant le point de vue de la balle de tennis. Même si cette manière de filmer peut de prime abord paraître jouissive, elle peut aussi rapidement flirter avec le trop-plein et créer une saturation chez certains spectateurs. Même si Challengers ne devient jamais désagréable, il finit par étouffer son public mais surtout les émotions qu’il veut véhiculer, bloquées par cette expressivité de la forme. 

5/3 – La nuance est de mise, Luca Guadagnino perd du terrain et faiblit malgré de bonnes intentions 

La bande originale permettra au cinéaste de remporter ce premier set avec une musique électronique à la fois étonnante et sur-vitaminée, créée par Trent Reznor et Atticus Ross. L’énergie qu’elle véhicule résonne jusque dans nos êtres et transmet un sentiment d’effervescence correspondant totalement au désir ressenti dans le triangle amoureux. Il y a même des instants où ces sons s’emparent de l’espace filmique pour faire vivre « l’expérience » aux spectateurs.

6/3 – Il faut l’avouer, tous les morceaux fusionnent tellement bien avec les images qu’on ne peut que s’incliner

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Le fameux plan représentant le triangle amoureux ©MGM

SECOND SET

Lorsque le deuxième set débute, c’est la bascule. Tout devient mental, la fatigue commence à se faire ressentir, une seule solution permet aux grands joueurs de remporter leur victoire : puiser l’énergie dans leurs intérieurs. Décortiquons ensemble le scénario de Challengers

Contrairement à Call me by your Name ou Bones and All, la structure narrative n’est ici pas linéaire mais au contraire extrêmement découpée, jouant avec les différentes temporalités de manière assez ambitieuse. Même si cela permet de conserver cette idée que le désir traverse le temps dans un flux rythmique à la fois séduisant et dangereux, cela vient à sur-stimuler le spectateur. Les flashbacks et les flash-forward s’enchaînent tellement qu’ils finissent par isoler encore plus les séquences au lieu de les unir. Certes, le montage en devient extrêmement dynamique mais les émotions sont inextricablement diminuées.  

0/4 – Challengers commence mal ce deuxième set. Toutefois, tous les tennisman savent qu’il ne faut jamais crier victoire trop vite.

En effet, là où le film réussit haut la main ce qu’il désire faire ressentir, c’est dans sa représentation de la célèbre figure du triangle amoureux. Sans prendre parti ou sans donner de jugement moral, Luca Guadagnino parvient à créer autant le malaise que provoque la situation que l’excitation que peut ressentir ce trio.

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Quand la balle frôle la caméra ©MGM

4/4 – Balle au milieu, les deux adversaires sont au même niveau, la fin du match s’annonce serré

Sans se reposer sur ses dialogues, le film transmet un sentiment intériorisé à son spectateur qui ne sortira pas indemne de ce féroce match. Le cinéaste met en scène trois personnages imparfaits dans une relation toxique mais passionnelle, tout en les caractérisant avec un grand amour malgré leurs erreurs ou coups tordus. On aurait pu s’attendre à voir une Zendaya sublimée alors que c’est tout le contraire et pourtant, aucun moment ne semble écrit, tout sonne vrai. L’alchimie entre les acteurs y est évidemment pour beaucoup mais leur talent individuel fait mouche. Représentant une nouvelle génération prometteuse à Hollywood, Josh O’Connor, Mike Faist et Zendaya parviennent habilement à détourner le schéma « deux hommes amoureux d’une seule femme » pour livrer un triangle amoureux ambigu et passionnant à suivre.

Chère audience, nous arrivons désormais à la balle de match. Les cœurs palpitent, la concentration est totale. Chaque fois que la balle rebondit au sol, c’est comme si le monde s’écroulait en imaginant la défaite. Le service final est lancé, Challengers se termine par un choc, une action étonnante, imprévisible, qui après l’incompréhension, fait complètement sens et assène un coup de grâce aux spectateurs. Deux puissantes images qui résument le film.

Jeu, set et match, la victoire est à Luca Guadagnino, le challenger. 

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