Connu pour être un réalisateur représentant des minorités, des sujets forts et sensibles, Xavier Dolan offre avec ses douze ans derrière la caméra, une vision humaniste de l’Homme, au travers de personnages éclectiques dont l’amour et l’acceptation sont le moteur. Doté d’une intelligence du plan et du montage, ce réalisateur perfectionniste manie les symboliques et la poésie visuelle avec talent, émotion et réalisme. Rapidement adopté par le cinéma français et international, c’est avec beaucoup d’ambition – parfois arrogante – que ce canadien marque l’univers cinématographique de son empreinte.
Alors que sa nouvelle et première série « La Nuit Où Laurier Gaudreault S’est Réveillé » est disponible sur Un petit retour sur la filmographie de ce francophone semblait s’imposer.
Tous mes films parlent d’un amour impossible.
Xavier Dolan
Hubert : Qu’est-ce que tu ferais si je mourrais aujourd’hui ?
Sa mère : Je mourrai demain.
J’ai tué ma mère
J’AI TUÉ MA MÈRE, 2009
Hubert est un adolescent lambda, excédé par sa mère autant qu’il ne l’aime. Les échanges sont maladroits, les rapports frontaux et parfois violents, conduisant Hubert à s’interroger sur l’amour qu’il porte à sa mère et à sa mère à se demander si elle connaît bien son fils. Ainsi, ces deux protagonistes vont alors essayer d’exister aux yeux de l’autre, avec difficulté, avec sincérité.
Premier film d’une longue filmographie, Xavier Dolan entre dans le monde du cinéma en grandes pompes. Malgré sa jeunesse, le réalisateur offre une vision de l’amour mère/fils très réaliste et tortueuse, pleine de maturité. On tombe sous le charme des personnages si singuliers et intéressants mais aussi de ses plans.
L’identité de Dolan n’est pas encore faite et pourtant, juste avec ce film, on sait qu’elle est déjà bien dessinée. Ces plans de dos harmonieux, colorés et intimes nous plongent dans les émotions des personnages sans avoir à voir leur visage. On se sent au plus proche d’eux, sans doute renforcé par l’idée que la nuque est la partie la plus vulnérable du corps humain.
Les couleurs ont une part importante dans ce film. Prenons pour exemple la scène de la rencontre entre le père et le fils, orchestrée par la mère désespérée. Hubert se retrouve face à ses parents, au centre du cadre devant un mur d’un rouge flash et profond. Oui, Hubert est en colère et ce mur rend la scène encore plus remarquable.
Le montage est un art que Xavier Dolan maîtrise à la perfection. Ses insertions de plans de transitions, parfois fixes, apportent une touche poétique et de réflexion à son récit très sanguin et viscéral. Une sorte de pause dans la diégèse, même si les liens se font ensuite rapidement.
Ce jeune réalisateur dont on sent une grande ambition de marquer de par ses sujets et son esthétique, offre avec J’ai tué ma mère une vision humaine de l’amour ; on pourrait même dire un amour de l’humain. Ce besoin d’individualité et de singularité transperce l’écran tant par le scénario, offrant des arcs narratifs à chaque protagoniste, mais également esthétiquement avec cette division de l’image permettant à deux personnages dialoguant d’être le maître de son propre plan, bien que la scène se déroule à plusieurs.
L’art du montage dans toute sa splendeur. Une histoire d’amour mère/fils qui brise le cœur autant qu’elle le fait battre. Xavier Dolan excelle dans les plans marquants, les personnages profonds et complexes mais surtout dans l’envie de vivre et d’oser aimer. Ce film est une déclaration d’amour maladroite entre un fils et sa mère.
La smoke cache la merde.
Marie – Les Amours imaginaires
LES AMOURS IMAGINAIRES, 2010
Francis et Marie sont des amis proches, célibataires et avides de changement. Ils tombent tous les deux sous le charme du mystérieux Nicolas : s’enchaîne alors une rivalité entre les deux amis pour séduire ce nouveau, jusqu’à entacher leur relation. En parallèle, Les Amours Imaginaires retrace le portrait de plusieurs personnes, racontant leurs histoires d’amour, leurs déceptions affectives.
Il ne faut pas voir le film comme l’histoire de ce trio amoureux entre Francis, Marie et Nicolas, jalonnée de portraits de personnages dévoilant leur vie mais plutôt comme l’histoire de toutes ces personnes, illustrée par un seul et même exemple : l’expérience amoureuse de Francis, Marie et Nicolas. Complexe, n’est-ce pas ? C’est sans doute l’un des points négatifs de ce film : vouloir le rendre – trop – intelligent.
Xavier Dolan s’aventure avec Les Amours Imaginaires dans une perception plus conceptuelle de l’amour. Toujours dans cette envie d’exploiter les relations humaines, c’est autour de la perception amoureuse que tout le film va tourner. Idéalisation, adulation, imagination, désir… Il ne s’agit pas de l’amour ou de l’affection mais de l’idée même de ces concepts qui fait chavirer Marie et Francis dans les bras de Nicolas. Ainsi, les deux protagonistes ne sont pas attirés par l’être en lui-même mais par la perception qu’ils se font de lui, par le souvenir qu’ils gardent de lui. Ils aiment ce qu’ils voient mais pas forcément qui est réellement Nicolas.
Cette notion est visible au travers de différentes scènes comme la scène de danse à la fête où Marie et Francis regardent Nicolas danser avec sa mère tels des vautours autour d’une proie ; alors en véritables voyeuristes, ils aiment le reflet que Nicolas renvoie, ils aiment la manière dont leur cerveau le représente. Ainsi, en alternant entre les voyeurs et Nicolas, Xavier Dolan nous plonge dans leur perception et cela explique les insertions de plans sur la statue de David de Michel-Ange ou encore sur les dessins sensuels au crayon : on retrouve une idéalisation de ce personnage, une mythification de sa présence dans l’imaginaire de Francis et Marie. Ils sont amoureux de l’image de Nicolas, plus que de la personne elle-même. C’est un sentiment qui se renforce lorsqu’on se rend compte de la gêne et de la timidité qu’entraîne pour Marie et Francis, une interaction avec lui.
Cette approche de l’amour et des sentiments est également au cœur des portraits de vie qui s’alternent avec le récit du trio amoureux. Il est question des désillusions amoureuses, d’aimer l’idée même d’aimer ou encore de penser aimer par le simple fait d’avoir une attirance envers les souvenirs de la personne. Les Amours Imaginaires renvoie, au travers de ces monologues et de l’histoire de Francis, Nicolas et Marie, vers le concept d’aimer ses rêves, d’aimer un amour imaginaire puisqu’il n’existe qu’avec la perception que l’on se fait de la personne et non avec la personne dans la réalité. C’est un peu aimer ce qui n’existe pas mais qu’on se représente, ce qu’on retient avec son lot de déformations et d’espérances incohérentes comme en témoignent certains portraits.
Malgré que le fond de ce film soit subtile, la forme ne l’est pas vraiment. Certes, il faut souligner les symboliques importantes vis-à-vis des couleurs, véritables acteurs à part entière, soulignant des émotions ou apportant une ambiance dans son entièreté telles que les scènes intimes et sensuelles en rouge, violet, jaune, vert et bleu : des couleurs évoquant respectivement la passion, la jalousie, la tromperie, l’envie et la mélancolie, mettant ainsi en scène les émotions de Francis et Marie vis-à-vis de Nicolas lors de leur rapport avec un autre. Xavier Dolan nous rappelle également son amour de l’humain et de l’individualisme grâce à ses plans de personnage seul : chacun connaît un espace qui lui appartient, prend place dans l’entièreté de l’écran et est maître de son univers.
Cependant, malgré ces techniques intéressantes et symboliques, Les Amours Imaginaires reste un film lourd à regarder. En effet, l’approche est assez frontale, sans subtilité par moment et les dialogues, voulant être poussés à l’extrême, deviennent inintéressants et mal écrits. On remarque également une sur-utilisation des ralentis et de la dissociation image/son, notamment sur la musique Bang Bang repris par Dalida. Bien qu’elle traduise cette envie d’affrontement entre Francis et Marie puis leur chasse au nouveau prétendant, elle devient lourde de par la répétition de son arrivée à l’écran. Les ralentis pèsent sur le film, la longueur de ces séquences répétitives sans changement de signification et les dialogues plus ou moins intelligents enterrent le film vers une envie d’intellectualisation plus que fragile.
Si on devait résumer Les Amours Imaginaires, il suffirait d’y mettre en sous-titre « ou comment se faire des films sur une relation ». Xavier Dolan en est d’ailleurs le moins fier, notamment à cause de la prétention que ce film renvoie.
Où es-tu ? Que portes-tu ? Que fais-tu ?
Laurence – Laurence Anyways
LAURENCE ANYWAYS, 2012
Laurence Alia est une femme dans le corps d’un homme. On suit alors son parcours vers sa transformation, vers son acceptation par ses proches, vers ses problèmes rencontrés dans la société et vers son amour pour Fred, sa compagne de toujours.
À dire vrai, ce film ne tourne pas essentiellement autour de Laurence ; quand on regarde Laurence Anyways, on pense à « vous » : Fred et Laurence. C’est avant tout le combat d’une histoire d’amour face à sa singularité, sa marginalité. On comprend que Xavier Dolan a voulu donner autant d’importance à l’écran et dans le scénario à ces deux protagonistes puisque pour raconter la vie de Laurence, il faut raconter celle de Fred. Et la force de ce long métrage réside, comme beaucoup des films de Dolan, dans la « normalisation » de la différence et des minorités. Ainsi, l’accent n’est pas porté sur le changement de genre de Laurence parce que cela est inhabituel mais parce que cela entraine une complexité des sentiments, de la vie.
Laurence Anyways est avant tout l’exploitation et la mise en lumière d’une forme particulière d’amour au travers du portrait touchant de Laurence et de celui de Fred, afin de nous représenter une facette intrigante des émotions et non un simple voyeurisme dans le changement de genre d’un homme pour devenir une femme : et c’est là tout l’atout du film.
D’un point de vue esthétique, même si l’on retrouve les plans de dos et portés sur la nuque des personnages, Xavier Dolan manie la caméra d’une nouvelle manière et préfère les mouvements souples et la caméra à l’épaule sans cut franc, créant ainsi une continuité dans la narration mais aussi un lien perpétuel entre les protagonistes de chaque scène, les mettant ainsi sur un même piédestal. Amoureux de l’individualisme et de l’être humain seul, avec ce revirement de direction artistique, Dolan transmet le message que Fred et Laurence ne font qu’un et ainsi partage l’écran sans discontinuer. Cette impression se renforce avec la scène du salon de thé où, dans un champ contre-champ somptueux, le réalisateur cache la moitié du visage d’un personnage par la silhouette de l’autre : Fred complète Laurence et Laurence complète Fred. C’est également en jouant sur ce modèle de réalisation que Dolan va symboliser l’évolution de leur relation, leur éloignement progressif, tant par l’écriture que par les plans que Laurence et Fred partagent de moins en moins jusqu’à arriver à la scène fatidique du bar où, en plus d’être dans des plans distincts, les couleurs de fond s’opposent totalement : bleu pour Laurence et rouge pour Fred : cela marque leur rupture finale.
Il est certain qu’en regardant Laurence Anyways, des ressentis similaires aux Amours Imaginaires refont surface, notamment le manque de subtilité. Ce film tend à prôner des exploits stylistiques et un impact visuel plutôt que de les mettre au service de la narration. Ainsi, il perd en profondeur et dessert presque le propos principal. Les personnages sont étouffés dans ces décors grandioses et répétitifs, presque perdus au milieu du plan et n’en ressortent pas. On sent le besoin d’étaler un budget conséquent et non l’envie de porter visuellement le sujet : il s’agit de montrer pour montrer plutôt que de donner du sens à ces scènes artistiques. Ainsi, trop nombreux, ces plans perdent en importance et en « surprise », voulant pousser l’extravagance à son maximum et embellir le décor, c’est son histoire que Xavier Dolan oublie d’éclairer.
Avec Laurence Anyways, Xavier Dolan a voulu mettre en scène l’Amour avec un grand A, au travers du changement de Laurence et grâce à des personnages touchants et réalistes mais dont le charisme et la profondeur scénaristique se perdent au milieu de décors cliquants. Cette fois-ci, l’esthétisme dolanien a plombé le papillon.
J’ai oublié les synonymes du mot « tristesse ».
Tom – Tom à la ferme
TOM À LA FERME, 2013
L’histoire ambiguë et pesante d’un jeune homme en deuil de son petit-ami, venu à la ferme pour son enterrement et se retrouvant pris au piège d’un grand frère intimidant et d’une mère en pleine souffrance.
Tom. On ne sait presque rien de ce personnage. On ne sait d’ailleurs presque rien des personnages. On ne connaît que les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres et c’est lorsque l’une de ces relations devient ambiguë que l’histoire prend une tournure angoissante. À la limite du syndrome de Stockholm, Tom arrive à se faire manipuler par le grand frère de son petit-ami décédé. Homosexuel refoulé ou psychopathe possessif, la frontière entre les deux est très faible.
S’enchaîne alors un récit oppressant et captivant. Impossible de décrocher, on a besoin d’en savoir le plus possible. On en redemande : donnez-nous du contenu, des réponses, n’importe quoi ! Et on nous en offre une partie, une partie suffisante pour se faire à l’idée, tout comme Tom, que ce grand frère n’a rien de bon. Xavier Dolan a choisi de laisser ses personnages vaporeux, mystérieux et énigmatiques avec beaucoup de zones d’ombre. C’est un outil scénaristique intelligent qui renforce l’ambiance déjà inquiétante et malsaine obtenue grâce à l’esthétique verdâtre et grisâtre de ses plans. Maître de l’image, il manie les couleurs, les décors fades et pesants pour nous communiquer cette sensation oppressante de danger immédiat et de souffrance dans la durée.
Tom à la ferme met en avant une forme particulière d’affection, de relation avec poésie comme la scène dans le champ de maïs (de véritables couteaux en cette saison). S’opèrent alors un rapport de force, un chassé-croisé de « je t’aime, moi non plus » et une grande complexité sur la nature véritable des sentiments et de leur acceptation.
L’esthétique, comme évoquée précédemment reste le point fort de ce thriller romantico-dramatique. La scène du bar en est le parfait exemple. L’ensemble de Tom à la ferme est alimenté d’une esthétique oppressante créatrice d’une ambiance inquiétante : choix de couleurs ternes, lumières naturelles ou artificielles sobres, lieux renfermés… C’est alors en jouant sur ce fil conducteur manquant de couleurs que Xavier Dolan va offrir à la scène du bar une symbolique forte. Néons verts, ambiance 80s, luminosité : cette scène marque un tournant dans la diégèse. En effet, il s’agit du déclencheur vers la fin : on nous révèle, ainsi qu’à Tom, presque toute l’histoire. Ainsi, cette surreprésentation de l’éclaircissement renvoie à l’esprit de Tom qui s’éclaire : il est temps de partir.
Avec ce film, Xavier Dolan s’aventure dans un registre qu’il ne maitrise pas mais dont on sent une réelle progression possible. Ce n’est pas pour autant que Tom à la ferme n’est pas une réussite, manquant parfois de subtilité, il remplit parfaitement son rôle de film énigmatique et légèrement dérangeant. Malgré son expérimentation d’un nouveau genre, Dolan a su garder son identité filmographique en transposant son amour des autres et de l’amour même à travers un portrait singulier et « hors-norme » et malsain afin d’offrir une nouvelle facette au spectateur de ce que l’amour peut être.
Tom à la ferme est un film difficile à qualifier, souvent mal-aimé mais bien réalisé.
Ça arrive pas, dans la vie d’une mère, qu’elle aime moins son fils.
Diane – Mommy
MOMMY, 2014
Diane est veuve depuis peu et suite à un incident dans son internat spécialisé, Steve, son fils, doit rentrer à la maison. Atteint de trouble du déficit de l’attention, d’agressivité et d’hyperactivité, il est sujet à des crises de violence et à une forte agitation. C’est alors une cohabitation fragile qui s’opère, une nouvelle vie à construire.
Mommy pourrait rappeler J’ai tué ma mère et ses conflits mère/fils mais c’est avec une approche plus profonde et poignante que Xavier Dolan porte à l’écran l’histoire d’amour viscéral entre Diane et Steve. Ce film met l’accent sur les sentiments et joue entre tension et émotion, comme une danse au rythme saccadé. Les personnages principaux, Diane, Steve et Kyla semblent écorchés vifs, à fleur de peau et borderlines, connaissant chacun des problèmes, des souffrances mais se portant les uns, les autres. Ce sont des portraits sincères et justes qui s’offrent devant nos yeux, qui se déshabillent de leur carapace à chaque minute, pour révéler des êtres meurtris mais combatifs. Mommy délivre une vision réaliste sur les enfants atteints de troubles du comportement et sur les effets que cela amène sur leur famille, sur leur amour. La frontière chez Steve, entre amour passionnel et violence frontale n’est que très mince et c’est au côté de Diane qu’on voit cet enfant évoluer.
Xavier Dolan a su mettre en avant les personnages et leur caractère dans un décor simpliste, dans des plans légers mais lourds de sens. Contrairement à son prédécesseur – Laurence Anyways -, le visuel est au service du scénario. Cet écrin jauni et ambré, où les couleurs froides appartiennent à l’extérieur et les couleurs chaudes à la maison, traduit une forte mélancolie et nostalgie, des sentiments palpables tout au long du film.
On ne peut pas parler de Mommy sans évoquer cette emblématique échelle des plans et son utilisation symbolique. Passant de 4:3 (autrement dit un « carré ») au 16:9 (format standard au cinéma), le cadrage de Mommy raconte plus que le champ lui-même. Ainsi le 4:3, véritable boîte, enferme les personnages dans leur univers, les renferment sur-même, symbole d’une prison invisible dont la scène sur le pont, lorsque Steve fait du longboard, ne fait que renforcer l’idée : Steve, dans un plan en contre-plongée, est surplombé par les barreaux du pont qui ainsi forment une cellule où le jeune évolue. C’est bel et bien une envie d’enfermement que Xavier Dolan veut exprimer et dont sa liberté est magnifiquement bien orchestrée et voyante, autant que sa rechute n’est minimaliste et subtile.
Si on avait pu reprocher à ce réalisateur sa sur-utilisation des ralentis et de la musique dans Les Amours Imaginaires ou encore dans Laurence Anyways ; c’est avec justesse et dosage qu’il agrémente Mommy de ces sublimes plans. Scénario viscéral et intense, alternant tension et calme, c’est aussi une alternance de musique intradiégétique (les personnages l’entendent) et extradiégétique (les personnages ne l’entendent pas) qui rythme le film. Couplées à de légers ralentis, ces séquences sont au service des sentiments, d’une coupure dans la diégèse, au profit d’une émotivité importante : l’intensité y est profonde mais amenée avec une légèreté visuelle, comme hors temps, contrastant avec la brutalité et la franchise des scènes dites « classiques », créant ainsi une dynamique éclectique et attrayante. On retrouve enfin l’identité dolanienne qui s’envole avec la dernière scène sur fond de Born to Die de Lana Del Rey.
Mommy est au service de l’émotion, tant par son scénario – comme évoqué précédemment – que par son esthétisme. D’une extrême douceur, les décors s’effacent derrière les personnages, d’autant plus qu’avec une échelle de plans en 4:3, la profondeur de champ est quasiment impossible et le hors-champ est une institution. Ainsi, les personnages sont plaqués au devant de la scène, au plus près du spectateur, au plus près de leurs émotions. Xavier Dolan veut capter ce qu’il y a de plus vrai et sincère chez l’Humain : ses sentiments. C’est donc grâce à des plans serrés qu’il rapproche les personnages du spectateur, jusqu’à presque pouvoir sentir leur respiration, comme dans la scène où Diane, enfermée dans le placard, hurle pour que son fils se calme.
Ça prend aux tripes, à la gorge, ça fait mal, ça fait rire, ça fait pleurer, c’est intense, c’est émouvant, c’est prenant, c’est douloureux. Tant de qualificatifs pour définir Mommy et son récit d’un amour – presque – impossible et d’un combat – presque – perdu d’avance.
Faire le voyage pour annoncer ma mort.
Louis – Juste la fin du monde
Juste la fin du monde, 2016
Louis retourne dans son village natal après douze ans d’absence. Alors âgé de 34 ans, c’est avec un lourd secret qu’il décide d’appréhender sa famille : il est mourant.
Juste La Fin Du Monde est l’adaptation éponyme de la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce, parue en 1990 et dont le schéma du retour du frère mourant l’inspirera pour J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne.
Ce film marque la filmographie de Xavier Dolan de par son envie dramatique assumée, dont Mommy avait déjà entamé l’esquisse. Louis pensait rentrer chez lui, chez les siens mais il s’avère que plus rien là-bas n’est « chez lui ». S’opère alors un jeu du chat et de la souris, entre se dire les choses et ne pas oser en parler, fuir la réalité et demander la vérité, évoquer le passé et avoir peur du présent. C’est d’ailleurs le sentiment principal que se dégage de ce film : la nostalgie ; de par les souvenirs évoqués, les éclaircissements de vies… C’est une véritable dualité qui se met en scène entre les personnages et notamment entre Louis et son frère & sa soeur. Un mélange de sentiments, que par pudeur ils n’arrivent pas à exprimer ou expriment avec violence, avec maladresse, et qui finalement restera le squelette de toute l’histoire. Louis a peur de ce qu’est devenue sa famille, il a peur de la voir changer, de ne plus être celle qu’il connaissait. Tout comme ses proches ont peur de qui il est, de ce qu’il pourrait leur raconter. Alors, il est préférable de se taire, de se mentir – un peu – et pour Xavier Dolan, il est temps de nous orchestrer le déchirement d’une famille qui n’a pour seul dialogue la brutalité.
Il est certain que c’est par le dialogue que Xavier Dolan a décidé de faire passer les émotions. Parfois dictés telles des répliques et rappelant l’origine théâtrale, ces dialogues sont le coeur du film et impulsent l’énergie dans chaque scène, donnant de l’importance au visage des personnages dont les plans serrés et un cadrage parfait amènent du corps à chaque mot. Ainsi, le maitre dans Juste La Fin Du Monde est l’humain dans ce qu’il a de plus fragile et de plus personnel : ses yeux. Et c’est au travers du plan entre Louis et Catherine que tout s’opère, sans dialogue mais avec force, c’est dans un ralenti et un champ contre-champ doux que les émotions transpercent l’écran pour heurter le spectateur d’un point de vue visuel et sonore avec une musique créatrice d’ambiance. C’est d’ailleurs un schéma qui revient, comme pour faire écho et « boucler la boucle », à la fin du film, portant l’émotivité et la sincérité des regards au travers de plans magistraux.
Si Xavier Dolan veut mettre en valeur l’humain et le texte, c’est au travers de l’esthétique de ses plans qu’il affirme cette position. Afin d’attirer le regard sur quelque chose, la manière la plus simple au cinéma est de limiter la profondeur de champ grâce à une longue focale et une grande ouverture du diaphragme de la caméra, ainsi le cadre est restreint et l’arrière plan est flou. C’est une technique qui se retrouve tout au long de Juste La Fin Du Monde, captant le visage du protagoniste dans un plan serré et sans netteté arrière : il est donc parfaitement mis en avant, à l’inverse du décor qui s’efface totalement. Ainsi, toujours dans l’idée de promouvoir l’Homme et ses relations, le choix de l’environnement, telle une scène de théâtre, est à lui seul un écho des émotions des personnages. La maison est désuète, comme figée dans le passé… comme figée douze ans en arrière. C’est également un outil narratif tel un écrin de nostalgie et de mélancolie qui embellit ses habitants, notamment grâce des lumières ternes et naturelles discrètes.
On peut noter l’importance donnée aux fenêtres, à ces ouvertures vers l’extérieur que les personnages ne peuvent s’empêcher de regarder, d’en être attirés comme une porte de sortie, un échappatoire à cette situation. Bien que discrets, ce sont ces stratagèmes scéniques et esthétiques qui vont porter la dernière scène, avec subtilité et symbolique. La canicule fait rage depuis plusieurs jours, lorsque la pluie apparait sobrement au moment du dessert, la conversation est pourtant calme. C’est donc avec un contre-pied que Xavier Dolan décide de changer d’atmosphère, offrant une luminosité chaleureuse et outrancière au moment où la famille se déchire. Toujours dans cette séquence, à la fin du film – juste à la fin du monde -, Xavier Dolan propose une dernière esquisse de ses talents de narrateur symboliste. L’horloge sonne, un oiseau semble s’en échapper, voler dans la maison puis mourir. Il représente le temps qui se meurt dans cette maison où son emprise n’existe plus, où les habitants parlent de souvenirs et évoquent avec difficultés le présent. Il est également associé à Louis, qui semblait déjà mort dans sa famille.
Avec Juste La Fin Du Monde, Xavier Dolan exploite la solitude et la mélancolie qui s’immisce au sein d’une famille où l’expression de l’amour est aussi complexe que le sentiment lui-même. Dans un écrin flou et désuet, il a su mettre en lumière, parfois théâtralement, les sentiments humains et l’Homme, tout simplement.
This is about a man saving a child’s life.
John – The death and life of John F. Donovan
THE DEATH AND LIFE OF JOHN F. DONOVAN, 2018
Ma vie avec John F. Donovan – en VF – raconte l’histoire de Rupert et de sa correspondance enfantine avec son acteur préféré. Contée par Rupert lui-même, on découvre la vie de John F. Donovan en parallèle de la sienne, entre espoir et désillusion, entre rêve et réalité.
Ce film, c’est un peu le fantasme de Xavier Dolan, lorsqu’âgé de 8 ans, il envoie une lettre à son acteur préféré : Leonardo DiCaprio ; Rupert devient alors une projection du réalisateur, abordant des problèmes maternelles, une absence paternelle, une homosexualité naissante, des ambitions de jeune acteur. Mais The Death and Life of John F. Donovan n’en est pas pour autant un film autobiographique sur la jeunesse de Xavier Dolan mais plutôt une idéalisation de cette enfance.
Rupert est adulte lorsqu’il retrace sa vie d’enfant, couplée à celle de John F. Donovan. Tourné autour d’une interview, il est le principal narrateur du film et de ces deux destins. C’est alors au travers de ses yeux que nous est présenté John F. Donovan : tout d’abord adulé, au sommet, face caméra, plein feux, tout en théâtralité et exagération : une vision idéalisée de la célébrité que bientôt Rupert va conter s’écrouler. Ce film n’est pas celui d’un fanatique racontant son expérience auprès de son idole, de phrases niaises et plates ou de déclarations d’amour enfantines. Il s’agit de s’interroger sur ce que la société attend de ces gens célèbres – des gens en général -, sur ce que signifie vivre réellement, vivre pour soi, s’assumer… Tant de sujets que Rupert, à son échelle, partage avec John.
The Death and Life of John F. Donovan connait sa force dans sa narration, alternant passé et présent, offrant plusieurs arcs narratifs, plusieurs histoires distinctes mais reliées par un seul et même personnage, une seule et même voix : Rupert dont le magnétisme opère, enfant ou jeune adulte. Ce film regroupe une large palette de monologues inspirants, dictés par des personnages charismatiques et captivants faisant de ces passages, de véritables claques sociales et morales qui élèvent le propos du film. L’accent est sans nul doute placé sur les dialogues, sur l’impact des mots et leur résonance à notre échelle : ce film fait réfléchir autant qu’il n’est touchant.
D’un point de vue esthétique, Ma Vie Avec John F. Donovan tend vers un écrasement du plan qui pèse sur l’atmosphère générale faisant ressortir une ambiance de thriller et de drame importante, notamment durant les premières minutes et cette froideur dans le début de l’interview. Puisque que les dialogues semblent être le point central de ce film, Xavier Dolan ne s’est pas privé de mettre en avant ses personnages, de ne capter à l’écran que leur visage dans des plans serrés voir des très gros plans. Les émotions sont alors presque palpables, les personnages prennent de l’ampleur, de la présence et de l’interêt : véritable contraste avec l’impression d’étirement et d’écrasement des plans larges et impersonnels.
Ce réalisateur a tout de même réussi à amener une forme de théâtralité – les premiers plans de John, la bagarre – où le jeu intense et les choix musicaux imposants, proches de l’underscoring accentuant les mouvements et les paroles des personnages, renforcent cette idée de grandiose. Certes loin de la subtilité habituelle de Xavier Dolan, cela rythme son film qui souffre d’un manque de chaleur dans son esthétisme. Cependant, le perfectionnisme de ce réalisateur nous permet d’apprécier des transitions sonores puis par l’image, joignant le passé et le présent avec harmonie et sans coupure nette. C’est également avec plaisir qu’on retrouve les scènes de dissociation son/image où les ralentis jalonnent les moments forts pour se détacher du reste de la diégèse et intensifier leur importance et leur impact sur le spectateur.
The Death and Life of John F. Donovan, seul film anglophone de Xavier Dolan, bien qu’il ne soit pas parfait, met en avant l’humanisme de son réalisateur au travers de portraits à fleur de peau – littéralement -.
À noter : le premier montage de ce film faisait plus de 4h et comprenait l’actrice Jessica Chastain, dans le rôle d’une antagoniste. Un personnage qui ne s’emboitait pas correctement dans la trame narrative voulue par Xavier Dolan qui l’a donc enlevée dans la version finale. Il travaillait d’ailleurs déjà sur l’écriture de Matthias & Maxime lors du montage de ce film.
Je pense à des choses… auxquelles je pensais pas avant.
Matthias – Matthias et Maxime
MATTHIAS & MAXIME, 2019
Matthias et Maxime sont amis d’enfance et avec leur bande de potes, ils passent leurs derniers moments ensemble avant que Maxime ne parte pour l’Australie. Soirées, repas, anniversaires… tout aurait pu être normal, mais suite à un baiser pour un film étudiant, Matthias et Maxime s’interrogent sur leurs sentiments l’un envers l’autre, et ce doute va piétiner leur amitié.
L’histoire semble être la même que ses précédents films, le même sujet… Mais c’est sa signature. Xavier Dolan aime parler de la vie, des différences, de l’amour et de l’amitié. Il aime parler de l’être humain et de ses sentiments. C’est un sujet universel et intéressant à exploiter, encore et encore. Et « même sujet » ne veut pas dire « même traitement », ainsi avec Matthias & Maxime, Xavier Dolan ouvre une nouvelle porte dans le sujet des relations affectives avec cette fois une histoire d’amour amicale où la frustration et les doutes amènent à un besoin viscéral de savoir.
Matthias & Maxime est un retour aux sources pour le canadien québécois. Une déclaration d’amour à son pays, à sa culture et à ses amis. C’est une histoire où l’amitié et l’amour n’ont presque pas de frontières. Une bouffée d’air frais où la question n’est pas d’assumer ou non son homosexualité mais de savoir ou non si elle est réelle.
Ce film est mature et vrai, représentant à l’écran tout l’amour qu’il porte à ses amis, à sa famille de cœur, Dolan ne pouvait livrer un film plus authentique et sincère. L’humour est léger et apporte une touche attachante à cet univers. Le travail de Xavier Dolan sur la profondeur et le réalisme de ses personnages est à souligner. Ainsi, il ne crée pas simplement des personnages ancrés dans le présent et se projetant vers l’avenir mais des personnages ayant un réel vécu, un passé et des anecdotes. L’intelligence de Dolan est alors de laisser ces parties du passé animer le présent, sans pour autant les expliquer aux spectateurs, formant ainsi une véritable cohésion dans la bande d’amis, un réel background qui participe à rendre plausible et concret l’histoire qui nous est alors racontée.
Aviez-vous compris la référence au masque de Batman lorsque la bande met ses mains autour de leur bouche à table ? Et leur amour pour Harry Potter sorti de nulle part ? Ou encore cette histoire de baiser vaguement évoquée ?
Que serait un Dolan sans ses plans de dos ? Rassurez-vous, il est présent et toujours avec autant de symbolique. Matthias se retrouve face au lac, dans un des moments les plus vulnérables du film, en pleine interrogation sur ses sentiments. Ainsi, Xavier Dolan utilise ce plan de dos, face à la nuque du personnage pour renforcer cette sensation de vulnérabilité et de détresse où tout est incertain et fragile.
C’est également avec des subtilités stylistiques que Xavier Dolan réussit à faire passer certaines idées. Ainsi, l’absence frontal et explicit de ce baiser entre Matthias et Maxime, alors un simple reflet de la télévision dans une fenêtre, porte l’accent sur les conséquences de cet acte plutôt que sur l’acte en lui-même : l’important est l’après et pas ce moment précis, appartenant déjà aux souvenirs, vaporeux et flous comme sa représentation en reflet. On peut également remarquer le passage de 35mm à 65mm, créant ainsi une profondeur de champ plus importante, symbolisant « l’exploration » et marquant une ambiance plus lourde et prenante. Le grésillement d’une ampoule est d’ailleurs le marqueur de ce changement d’échelle de plan. Xavier Dolan explique que c’est un clin d’oeil aux films à suspense qui utilisent ce stratagème pour annoncer une scène importante. Dans une approche plus décalée, on peut apercevoir un ballon jaune avec un visage souriant traverser la pièce lors d’une dispute : ironique.
Avec Matthias & Maxime, on retombe amoureux du cinéma de Xavier Dolan, de sa vision romantique des gens et de sa poésie esthétique et de montage. Un film aussi doux et sucré que du sirop d’érable avec les musiques de Jean-Michel Blais, véritable manipulateur des ambiances et émotions.
À noter : la fin alternative se trouve dans le trailer. Il s’agit de la scène où Maxime et Matthias sont en voiture, sur les routes iconiques du Canada. Cette fin, laissant peu de place à l’imagination, n’a pas été retenue par Xavier Dolan qui voulait donner une part d’ignorance mais également de contrôle à ses spectateurs. Chacun imagine sa fin bien que le réalisateur souligne qu’il ne s’agit pas d’un rêve.
L’envie de Xavier Dolan, au travers de tous ses films, est de représenter l’amour, tous les types d’amour sans préjugé ni a priori et ainsi d’offrir au spectateur une vision réelle et authentique de ce que l’affection peut causer, être et partager.
Auteur/Autrice
Partager l'article :