À l’occasion de la sortie de Killers of the Flower Moon et du Festival Lumière, L’institut Lumière nous invite à découvrir le documentaire Martin Scorsese, l’Italo-Américain écrit et réalisé par Yal Sadat et Camille Juza. Le documentaire retrace sa vie ainsi que sa filmographie à travers le prisme du conflit qui oppose ses racines italiennes et américaines qui ne cesseront jamais de le poursuivre à travers ses films.

De sa jeunesse dans un petit quartier du Queens à son ascension dans le monde du cinéma, le documentaire nous plonge dans plus de soixante ans de Martin Scorsese. Comment cet homme qui désirait devenir prêtre lors de son adolescence s’est affirmé comme une référence indétrônable ?

Martin Scorsese dans Taxi Driver
Caméo de Martin Scorsese dans Taxi Driver © Columbia Pictures

Hold On, I’m Comin’

Né dans une famille d’origine sicilienne catholique, Martin Scorsese se destinait d’abord à devenir prêtre. À cause d’un comportement plutôt rebelle du fait de son jeune âge, il est rapidement renvoyé du séminaire et se tourne vers le cinéma à l’Université de New-York. Il débute par plusieurs courts-métrages dont le célèbre The Big Shave qui lui confère un petit succès. Cela lui permet d’enchaîner avec son premier long-métrage Who’s That Knocking at My Door.

Déjà à cette époque, les questions identitaires se manifestent dans ses œuvres. Martine Scorsese est pris entre son éducation religieuse ancrée dans ses origines siciliennes et le sens d’appartenance qui découle de son environnement, des marginaux et autres rebelles qui forment l’Amérique des années 60-70. Alors, il découvre la culture artistique et underground de New-York. Un univers dont il va s’éprendre pour le meilleur et pour le pire.

Il réalisera Mean Streets avec dans les rôles titres, deux de ses acteurs fétiches à savoir Harvey Keitel et Robert De Niro. Le personnage de Keitel dans le film est, comme le documentaire l’indique, l’incarnation des doutes et interrogations qui hantent l’esprit de Scorsese. Marginal et croyant, deux mondes habituellement incompatibles qu’il essaie de fusionner afin de réellement découvrir qui il est. D’où les nombreuses scènes de miroirs qui parsèment sa filmographie, une méthode d’introspection qui ne le quittera jamais vraiment.

Harvey Keitel dans Mean Streets © Warner Bros

I want it painted black

Trois ans après Mean Streets, Martin Scorsese décrochera sa première Palme d’Or avec l’un de ses plus célèbres films, Taxi Driver. Fable sombre et violente sur la solitude et la cruauté d’une époque difficile. Un chauffeur de taxi vétéran du Vietnam face à une réalité qu’il ne comprend plus et qui le dégoûte. Comme avec le film précédent, Scorsese décide de diriger sa caméra vers les marginaux, les laissés pour compte, les outsiders. Malgré le succès du film, De Niro et lui seront déçus de l’interprétation que les spectateurs se feront de Travis Bickle et de la fusillade finale. Le côté problématique et paranoïaque du personnage, loin d’être un héros, est omis. Cette interprétation circule toujours : nombreux sont ceux qui s’identifient encore à Travis en se complaisant dans leur tristesse et leur haine.

Érigé au rang de réalisateur des minorités grâce à ces précédents films, Scorsese ne restera pas longtemps dans cette case, en particulier à partir des années 80 avec La Dernière Tentation du Christ. Une adaptation du roman du même nom, qui lui vaudra les foudres du milieu catholique ainsi que des attentats sur plusieurs cinémas français afin de faire déprogrammer le film. Qualifié de « satanique » le film, très personnel de part son enseignement religieux, rencontre tout de même le succès tant critique que financier.

Après cette expérience difficile, il reviendra en 1990 avec ce qui est considéré par beaucoup comme son chef-d’œuvre, Les Affranchis. Retour aux sources pour Scorsese qui plongera au coeur de ce qui l’inspire depuis son enfance, quand il observait des malfrats depuis sa chambre. C’est là que certains lui reprocheront de ne plus être le porte-étendard des opprimés, et de changer de visage pour réaliser des films de gangsters.

Travis Bickle dans Taxi Driver © Columbia Pictures

Rester dans l’air du temps

Le documentaire nous montre clairement que Martin Scorsese est un réalisateur qui sait évoluer pour rester frais et actuel sans jamais perdre son style, sa marque. Une obligation lors d’une si longue carrière. Le réalisateur sait aller de l’avant pour affiner son talent, expérimenter de nouvelles choses sans avoir peur de se casser les dents. Toujours tiraillé par ses racines et cette dualité qui le hante, il a su allier les deux afin de raconter des histoires uniques.

Depuis peu sous le feu des projecteurs, majoritairement sur Internet, par rapport à ses déclarations sur l’état du cinéma actuel et de l’omniprésence des franchises de super-héros, il est important de rappeler qui il est. Une partie de la jeune génération le considère comme un réalisateur du passé, voire un élitiste lorsqu’il ose sortir deux mots sur leur Marvel préféré. Oui, le cinéma a changé c’est inévitable, et ce n’est pas la première fois. Néanmoins, renier l’un des plus grands artistes du milieu pour des raisons aussi futiles, révèle un grand manque de curiosité et de recul sur la situation.

Un très bon documentaire qui encourage vivement le spectateur à (re)découvrir la filmographie de ce maître incontesté du 7ème art qui, même avec ses nombreuses facettes, reste le même rebelle fan des Stones venu du Queens.

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