1920. Seulement deux ans après la fin de la Première Guerre mondiale, le Cabinet du Dr. Caligari, réalisé par Robert Wiene, débarque dans les salles obscures pour devenir l’un des plus grands représentant de l’expressionnisme allemand. 103 ans plus tard, l’Institut Lumière nous offre l’occasion de redécouvrir cette œuvre intemporelle accompagnée d’une composition musicale inédite lors du festival.

Dans le village d’Hostenwall, la foire bat son plein, les habitants sortent en famille afin de profiter des multiples attractions disponibles. Parmi ces dernières, une étrange tente, devant laquelle se trouve un vieil homme à l’air peu recommandable, semble attirer un grand nombre de curieux. L’homme dit s’appeler Caligari et propose à son public de rencontrer son phénomène de foire, Cesare, un somnambule pouvant prévoir l’avenir. Dès la nuit suivante, une série de meurtres va plonger le village dans un véritable cauchemar.

Sombre, cruel et envoûtant, le Cabinet du Dr. Caligari est une œuvre fascinante qui ne peut laisser personne indifférent. Et quel meilleur moyen de découvrir ce film qu’à travers un ciné-concert interprété par l’Orchestre National de Lyon ? Celui-ci est notamment dirigé par Frank Strobel sur une musique composée par Stéphane Fromageot, présent lors de l’évènement.

Dr Caligari
Le début d'un trio amoureux qui ne durera qu'un temps.

Entre rêve et cauchemar

Comment aborder le Cabinet du Dr. Caligari sans commencer par sa direction artistique si particulière ? Tout n’est qu’angles tordus, asymétrie constante et formes impossibles : le village d’Hostenwall est digne d’un rêve. On se demande comment les habitants peuvent se déplacer sans encombres dans ce paysage surréaliste. Tout cela est appuyé par une ambiance pesante qui semble emprisonner ces personnages dans le cadre. Et ce, comme si aucune liberté n’était possible, ni aucun espoir dans un univers où chacun est condamné à heurter une impasse, ou se perdre dans les dédales de rues menant vers un avenir sombre.

Placer une intrigue tournant autour d’une série de meurtres dans cet environnement forme une combinaison parfaite. Le danger rôde à chaque instant au milieu de cette architecture chaotique qui pourrait tout à fait sortir des pensées du mystérieux tueur. Un terrain de jeu adéquat pour un esprit malveillant voulant à tout prix faire résonner la peur dans le cœur des habitants. Alors que l’affaire prend une ampleur conséquente, une atmosphère de plus en plus anxiogène s’installe.

Une interprétation peu surprenante lorsque l’on sait que l’un des deux scénaristes du film, Hans Janowitz, était officier lors de la guerre de 14–18. Cet épisode lui a sans doute laissé comme beaucoup, des souvenirs indélébiles de ce que l’être humain peut faire de pire. Cela a probablement confié au Cabinet du Dr. Caligari son aspect macabre ainsi que son rapport à la mort et la folie.

Dr. Caligari et Cesare
Le Dr. Caligari veillant sur Cesare.

From the Pinnacle to the Pit

L’intrigue suit un homme du nom de Franz, interprété par Friedrich Ferhèr, qui suite au meurtre de son ami Alan, soupçonne le Dr. Caligari et Cesare d’être les coupables. Ce dernier avait prédit la mort d’Alan le jour précédent. Accompagné des forces de police, Franz va rapidement tomber dans l’obsession envers le Dr. Caligari et son somnambule, convaincu de tenir les coupables. Au fur et à mesure du film, son comportement se fera de plus en plus erratique et imprévisible. Prêt à tout pour percer à jour le mystérieux docteur, il tombera des nues lorsqu’il découvrira que le Dr. Caligari est en réalité le directeur de l’asile psychiatrique local.

Ce rapport entre réalité et folie est au cœur du métrage, jusqu’où ira Franz pour découvrir la vérité ? Est-ce que tout cela est réel ? La réponse à ces deux questions est bien plus complexe que l’on pourrait le croire. Impossible de ne pas mentionner son twist final qui retourne toute l’intrigue dans une conclusion surprenante. Même si son concept s’est de nombreuses fois manifesté dans l’histoire du cinéma, il n’en reste pas moins marquant et inattendu, particulièrement en 1920. Alors que le Dr. Caligari est arrêté par la police, le spectateur découvre que Franz est en réalité un patient de l’asile. C’est lui qui raconte cette histoire à qui veut bien l’entendre, utilisant le directeur de l’asile comme antagoniste dans un élan de défiance face à un monde qui ne l’écoute pas.

Dr. Caligari
Cesare fuyant avec la fiancée de Franz.

In the Twenties, all the way to the Thirties

Il suffit de poser les yeux quelques secondes sur différents plans du film pour comprendre l’impact sur l’imaginaire collectif que le Cabinet du Dr. Caligari et l’expressionnisme allemand a représenté au fil des années. Des plus évidents comme Tim Burton (qui s’est sans doute grandement inspiré du personnage de Cesare pour Edward aux Mains d’Argent), ou les grands classiques de la Hammer, aux plus intrigants. Le groupe de metal suédois Ghost n’hésite pas à s’en inspirer pour plusieurs de ses clips dans l’album Meliora.

Le film est encore cité de nos jours par de nombreux artistes. Par exemple, Nicolas Cage dans Un Talent en Or Massif qui le considère comme son film préféré. En effet, le Cabinet du Dr. Caligari traverse l’air du temps grâce à sa grande créativité et son indéniable originalité.

Ce fut une joie de le découvrir à l’Auditorium de Lyon lors de ce Ciné-Concert exceptionnel en compagnie de l’Orchestre National de Lyon. Celui-ci a sublimé les images en rendant un bel hommage à cet éternel symbole du cinéma fantastique.

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