Lors de la 76ème édition du Festival de Cannes, il a éclaboussé la sélection officielle de couleurs pastels avec son Asteroid City. Le 1er octobre, la plateforme Netflix déroulait le tapis rouge à sa deuxième adaptation à l’écran des contes de Roald Dahld, La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar. Cette année, il figure parmi les invités de prestige du Festival Lumière à Lyon. Ce n’est rien de dire que Wes Anderson a le vent en poupe.

18 heures. L’impatience des fans l’a emporté sur la fraîcheur de la brise lyonnaise. Devant l’Auditorium national de Lyon, des centaines de personnes se sont amassées en vue d’une soirée spéciale en compagnie de Wes Anderson. Surpris par cette véritable serpentine humaine, les passants s’interrogent « Que se passe-t-il ici ? ». Il faut dire que la visite de Wes Anderson à la Capitale des Gaules n’est pas passée inaperçue. Outre l’exposition XXL dédiée au réalisateur qui campe au deuxième étage du Musée du Cinéma et de la Miniature, l’inauguration de sa plaque sur le Mur des Cinéastes a suscité l’émeute. Pas facile pourtant de passer après Paul Thomas Anderson, Quentin Tarantino ou David Lynch. À présent, Wes Anderson a incontestablement rejoint le cercle fermé des cinéastes les plus iconiques, dont l’esthétique est reconnaissable entre milles. 

19h30. Rempli jusqu’à la démesure, l’Auditorium accueille d’abord Thierry Frémaux. Au moyen d’un bref résumé visuel de son art, le directeur de l’Institut Lumière rend hommage à Wes Anderson, l’introduction idéale à ce rendez-vous. À son terme, il annonce l’entrée de celui pour qui l’on s’est arraché un billet, pour les plus chanceux. Il aura fallu patienter quelques secondes pour le voir dépasser les coulisses, comme s’il était trop timide pour affronter les ovations prolongées de ses admirateurs. Arborant son costume jaune moutarde de velours, Wes Anderson s’avance humblement vers celui qui lui a tendu les bras à trois reprises au sommet des marches du Palais des Festivals de Cannes. Les voilà qui échangent une accolade, un sourire, comme deux bons amis heureux de se retrouver. Bien installés au fond du divan assorti aux chaussettes du réalisateur texan, ils se souviennent. 

Wes Anderson
Wes Anderson entouré d'un casting cinq étoiles à l'avant-première de The Grand Budapest Hotel. © 20th Century Fox

"une colonie de vacances"

Au Festival de Cannes, la montée des marches d’un film de Wes Anderson entraîne systématiquement les afflux de photographes. En effet, l’on sait le réalisateur capable de réunir les plus belles étoiles d’Hollywood devant sa caméra. En mai dernier, se sont, entre autres, succédés Scarlett Johansson, Tom Hanks, Adrien Brody ou encore Bryan Cranston. Ils ont foulé le célèbre tapis rouge cannois à l’occasion de la présentation de Asteroid City, toujours à l’affiche. “J’ai la chance de travailler avec beaucoup de mes acteurs favoris, alors dès que je termine un film, je les rappelle pour jouer dans le suivant” s’est-il réjoui. À l’instar de John Ford, Wes Anderson s’est entouré d’une troupe d’acteurs fidèles à son art au fil des films : “Quand je travaille sur un film, j’apprécie l’idée de faire de mon casting une grande famille. On vit ensemble, on dîne ensemble,…en fait on ne se quitte jamais”. Selon lui, ces conditions donnent à l’expérience du tournage une dimension affective, renforçant ainsi la cohésion d’équipe de part et d’autre de la caméra.

Une connivence qu’il tient à prolonger lorsque ses films sont sélectionnés à Cannes, comme il le raconte. « On a tendance à séjourner à plusieurs kilomètres de Cannes, où les acteurs peuvent déambuler sur la plage sans craindre les paparazzis ». Comment rejoignent-ils la Croisette dans ce cas ? Tel un moniteur de colo, Wes Anderson transporte sa petite troupe à bord de son bus personnel, équipé d’une kitchenette et de sièges confortables. Le public est amusé par l’anecdote et Thierry Frémaux ravi d’entendre les réponses aux questions qu’il n’a jamais osé lui poser, sous sa caquette de délégué général du Festival de Cannes.

Wes Anderson
À mi-chemin entre artiste et technicien, Wes Anderson s'impose comme un architecte du septième art. © 20th Century Fox

l'expérimentation de la radicalité

De nature humble et discrète, cet américain aux apparences de dandy refuse de faire les choses à moitié, de ses moyens de transport à ses plans, à la symétrie et l’esthétique toujours plus viscérale. Créatif, rigoureux et précis, à mi-chemin entre artiste et technicien, Wes Anderson s’impose comme un architecte du septième art. De fait, ses oeuvres sont ponctuées de décors, de costumes et de détails qui font la singularité de son cinéma. C’est précisément ce qui connecte ses films entre eux, bien que cela ne soit pas intentionnel. « Quand je fais un film, je ne pense jamais à moi-même et mon style. Mon objectif est de raconter des histoires. Peut-être que ma manière de faire est identifiable, mais c’est complètement involontaire« . Lorsqu’il tourne en stop-motion (Fantastic Mr.Fox et L’Île aux Chiens), la méticulosité de son processus créatif est d’autant plus sollicitée. Ainsi, L’animation lui a permis de concevoir sa mise en scène autrement, repoussant un peu plus les limites de son imagination au fil des films. 

Si l’on pourrait croire l’inverse, c’est le processus d’écriture du scénario que Wes Anderson s’astreint à prioriser dans sa check-list. Toutefois, il ne peut s’empêcher d’imaginer la mise en forme de ses idées, afin qu’elles soient perceptibles pour le spectateur. « Quand je fais un film, j’ai toujours peur d’aller trop loin et de perdre le public. Le plus important pour moi c’est de communiquer avec lui » précise-t-il. D’ailleurs, le réalisateur avait coeur à satisfaire les interrogations des spectateurs au sujet de de son travail, au moyen d’un échange qui ne semblait pourtant pas au programme de la soirée.

Henry Sugar
Pour la seconde fois, Wes Anderson porte une épopée de Roald Dahl à l'écran. © Netflix

sur les traces de road dahl

Cette intention traverse l’intégralité de sa filmographie, de Bottle Rocket, à Asteroid City. En ce qui concerne La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, ce sont plutôt les mots de Roald Dahl auxquels il a choisi de donner grâce, après Fantastic Mr. Fox en 2009. Coutumier à la plume de l’écrivain, Wes Anderson a laissé mûrir l’idée d’adapter ce conte pendant plus de quinze ans : « Ces mots ont créé en moi toute une mythologie alors que je n’avais que sept ans. J’étais anxieux de ne pas réussir à les transmettre à travers ma mise en scène » confie Wes Anderson, avant de laisser nerveusement l’auditorium seul à seul avec son nouvel opus,  projeté sous l’autorisation de Netflix.

Ses amateurs ne seront pas dépaysés, car cette oeuvre entremêle somptueusement les obsessions du cinéaste. Parfaitement centrés, les personnages racontent l’histoire face caméra, tandis que les décors se meuvent derrière eux, aussi promptement que s’écoulent leurs mots. Dans la peau de son père spirituel, l’un des plus importants collaborateurs de Wes, Ralph Fiennes. À ses côtés, quatre de ses compatriotes britanniques composent un casting relativement inédit chez le réalisateur. Ceux qui prêtent leurs traits aux personnages décalés de Roald Dahl ne sont autres que Ben Kingsley, Dev Patel, Benedict Cumberbatch et Richard Ayoade.

En résulte un tour de force de narration et de mise en scène, à la fois délicat et chirurgical. De surcroît, La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar parvient à tirer profit de son moyen format, on en redemande. Belle aubaine ! Cette formidable adaptation s’accompagne de trois autres court-métrages tirés du recueil de Roald Dahl, lesquels ne sont pas en reste. À l’issue de la projection, les applaudissements révèlent un constat collectif : le tandem Wes Anderson/Roald Dahl brille par ses exploits. Si bien que Didier Allouch, journaliste cinéma reconnu et traducteur de la soirée, l’érige en adaptateur officiel des fables du romancier, non sans émouvoir le metteur en scène.

Voilà deux heures que Wes Anderson a saisi la main de son public pour un voyage dans les méandres de son univers, entre secrets de tournage et inspirations. Place maintenant à la projection de son plus célèbre tableau, celui qui a hissé le cinéaste sur les plus hautes marches du cinéma contemporain : The Grand Budapest Hotel. Tandis que certains quittent la salle pour espérer croiser le regard de leur idole à l’extérieur, d’autres acceptent volontiers de continuer à se faire bercer par la fantaisie andersonienne.

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar réalisé par Wes Anderson est disponible sur Netflix depuis le 27 septembre.

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