Film pionnier et milestone du cinéma hong-kongais, L’Enfer des armes est un des premiers métrages de Tsui Hark lorsqu’il sort en 1980. Aujourd’hui considéré comme perle noire mêlant politique et film de genre, le titre ressort chez Spectrum Films à l’occasion d’une restauration inédite ! Nous avons eu la chance d’être sur place lors de sa projection au Festival Lumière de cette année 2023.

À Hong-Kong, trois amis lycéens vivent au quotidien des scènes de violence terribles, à l’école, dans la rue ou chez eux. Finissant par perpétuer eux-même ce chaos, ils attireront l’attention de Wan-Shu, une jeune femme extrêmement dérangée, qui les forcera à plonger dans des problèmes plus gros qu’eux.

L’Enfer des armes, c’est une tornade qu’on traverse avec difficulté. Capitale dans son cinéma, la folie outrancière du montage de Tsui Hark fait de lui un artiste à part, puisque cette frénésie servira toujours son propos. Cette patte, il l’applique à ériger un genre (Zu et les guerriers de la montagne magique) ou le désacraliser (The Blade) comme ce fut le cas du WuXia, le cinéma de chevalier héroïque chinois. Qu’en est-il de son utilisation ici ?

L'enfer des armes
Une tension de tous les instants. © Film Workshop

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Tout naît d’un fait divers à Hong-Kong, lorsque des enfants piègent un cinéma à la bombe. Bulle de tension, le Hong-Kong des années 70 est en proie aux doutes et à la honte, alors qu’il passe pour un sous-territoire aux yeux du monde. Tsui Hark le reconnaît aujourd’hui : « Nous Hong-Kongais n’avions plus d’identité propre, notre culture mixée à celle des occidentaux et voyageurs qui venaient s’amuser sur le chemin de la guerre du Vietnam. » Dans ce contexte, la jeunesse perd pied ainsi que ses repères. Lorsque ce cinéma, cette porte vers l’Art, est touché, le réalisateur décide de prendre les armes.

Cette histoire prend justement la forme de la traque d’armes occidentales, amenées au pays par des mercenaires américains, qui déverseront leur poison dans les veines de cette jeunesse folle. Durant la fin des années 70, ce coin de l’Asie était une destination de passage pour soldats et entreprises, trop occupés à se rendre au combat pour se soucier des contrecoups subis par les riverains. Il n’est donc pas anodins que les personnages américains du film soient totalement moqués, de par leur façon de parler, de jouer ou tout simplement d’exister à la caméra. Ridicules de bout en bout, ils ne sont que bouchers insouciants du mal qu’ils engendrent.

L’Enfer des armes est une dénonciation, une première prise de parole contre ces insurgés. Le film fait état en abusant des codes de cette insécurité, de cette colère, en abordant des sujets qu’on n’oserait jamais associer à l’adolescence d’habitude.

L'enfer des armes
Courir pour sa vie, ou fuir les lieux du crime ? © Film Workshop

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Le film suit trois jeunes adolescents qui, dans tout ce vacarme, sont pris de chantage par une jeune femme totalement folle et dangereuse. Ayant pour seul et unique but de détruire et faire du mal, elle va continuellement traquer le groupe, qui rechigne à la suivre mais s’exécute malgré tout. Comme s’il s’agissait d’un microcosme, où la cruauté est due mais pas totalement comprise, comme si les individus savaient et réalisaient le mal fait, mais ne pouvaient l’éviter.

Le cinéaste malmène ses personnages, de la même manière que ses personnages malmènent le film, donc le spectateur. La scène d’ouverture est la lobotomie d’un rat vivant par un clou, par exemple. On assiste à l’empalement d’un chat (on vous rassure, ça c’est pour de faux) qui avait le malheur de passer chez la protagoniste. Ce mal fait aux autres, il est aussi reçu avant d’être perpétué. Le destin de cette folle sera d’ailleurs un parallèle parfait avec ses exactions.

L’attrait du film réside dans cette fièvre de Hong-Kong à toujours faire en vrai. Lorsque l’on embarque la caméra pour rouler dans du feu, c’est pour de vrai. Pareillement lorsqu’il s’agit de donner à des jeunes acteurs des cocktails molotov. La réalité s’accroît pour ne plus être que celle du film, mais la nôtre. C’est ici le tour de force de Tsui Hark, on se prend de plein fouet cette haine, on la ressent.

L'enfer des armes

le bruit de la fureur

La pièce maîtresse du film réside dans sa fin. Alors que le trio de garçon fuit ses responsabilités et se cache dans un cimetière géant, les mercenaires et la police s’affronte pour mettre la main sur eux les premiers. Rien ni personne n’est épargné, d’autant que les enfants sont les premiers visés. L’un pleure et se cache, l’autre tente de se suicider en buvant de la mort aux rats, le dernier se retrouve menotté et fusillé par erreur par un de ses amis. Tous chassés, mutilés un à un, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le simple d’esprit, à présent détruit par la violence, l’esprit gâché par les armes.

Armer le monde et vous en ferez des cadavres. « L’avenir est un cimetière » répète Tsui Hark dans une interview vis-à-vis de son film. La vision d’un lycéen errant le fusil sous le bras au milieu des tombes des enfants victimes d’attentat est un message fort. Et lorsque l’on émerge de cette tempête de film, on en vient à détester ce calme amer.

L'enfer des armes

L’Enfer des armes est must-see pour tout curieux du cinéma, peu importe ses goûts (attention aux plus sensibles). Feu sacré d’un réalisateur incontournable, il marque au fer rouge l’histoire du cinéma de l’Asie comme un pamphlet furieux et courageux. Film à (re)découvrir au cinéma et en Blu-ray chez Spectrum Films dès l’année prochaine.

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