Réalisateur : Roman Polanski (Le Pianiste, Rosamary’s Baby)
Casting : Roman Polanski, Isabelle Adjani, Melvyn Douglas…
Genre : thriller quasiment horrifique
Pays : France
Sortie : 26 mai 1976

Synopsis : Trelkovsky travaille dans un service d’archives et se lie difficilement avec ses collègues. Il visite un appartement inoccupé dans un quartier populaire de Paris et la concierge lui apprend que la locataire précédente s’est jetée par la fenêtre quelques jours auparavant. Trelkovsky s’installe dans l’appartement. Mais il est bientôt victime de multiples vexations de la part de ses voisins…

En cette période légèrement spéciale qui amène beaucoup d’entre nous à être enfermés voir isolés, parlons de la représentation et du traitement de l’enfermement au cinéma, aujourd’hui penchons nous sur la chose la plus sombre qu’il peut engendrer : la folie. Et voyons cela à travers Le Locataire de Roman Polanski.

Premier film du réalisateur tourné en France, Le Locataire est une œuvre sous forme de descente aux enfers où l’isolement et l’enfermement du personnage le fait sombrer tout au long du récit. Ici le lieu a une importance fondamentale. Le choix de Paris pour tourner le film semble assez judicieux, la ville a une architecture ancienne que Polanski arrive à rendre inquiétante, les immeubles ne sont pas trop hauts et les rues ne sont pas trop bondées comme à New-York, et les rues sont bien plus étroites qu’à Los Angeles. Elle a néanmoins un charme urbain qui aide à l’imaginaire crée par le réalisateur et une vie active qui enferme le personnage. Le Locataire se sert de l’essence même de la capitale, il l’utilise pour la rendre malsaine. C’est parfaitement illustré dans le premier plan du film, la caméra flotte dans les airs et nous montre une cour d’immeuble, il filme l’architecture haussmannienne sur une musique parfaite de Philippe Sarde qui rend le tout extrêmement inquiétant, l’œuvre s’ouvre sur une odeur de conte macabre, on comprend que le mal vient directement de ce bâtiment, le mystique vient s’emparer immédiatement de l’œuvre à travers ce mouvement vague de camera. D’ailleurs l’idée de ce bâtiment quasiment « maudit » représentatif du mal qui en veut à Trelkovsky (Roman Polanski) est exprimé à une autre moment, après que la concierge ait fait visiter l’appartement au personnage, celui-ci en sort et c’est la première fois que le spectateur voit l’extérieur, alors Trelkovsky se retourne et regarde le bâtiment, celui-ci est filmé en contre plongé, il apparaît alors comme une ombre menaçante.

Copyright Marianne productions
Trelkovsky (Roman Polanski)

Le Locataire est surtout un film extrêmement personnel pour son réalisateur, Polanski y tient pour la première fois le rôle principal. Trevlosky est Polanski. Le réalisateur, également scénariste du film, accentue cela en faisait de Trelkovsky un juif d’origine polonaise, comme le metteur en scène lui même. Durant tout le métrage la caméra le filme à hauteur d’épaule en le suivant dans ses déplacements. Clairement ici, la caméra, donc le réalisateur, est Trelkovsky qui est donc bel et bien joué par Polanski. Le film se passe en grande partie à la première personne. L’auteur nous invite à suivre le personnage principal, à le voir sombrer petit à petit dans une folie immense, une folie noire, macabre, se terminant dans le sang, où le héros ne peut tout simplement plus voir la réalité alors qu’il se martyrise encore lui même à cause de cette folie.

L’idée de réalité n’a par ailleurs pas réellement de sens. Rien n’est vrai ou faux dans l’œuvre, tout est continuellement mêlé d’un doute. La paranoïa s’inscrit dans chaque plan, dans toute l’ADN du film, tout devient flou et surréaliste. Le Locataire bascule entièrement dans le fantastique, non pas que le récit conté soit fantastique mais tout devient si vague et inqualifiable qu’on quitte tout simplement le réel, l’œuvre est dans un autre monde. Le fantastique se fait ressentir, il n’est pas dans l’histoire, il pénètre la moelle de l’œuvre.

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L’enfer c’est les autres

La folie de Polanski dans le film vient des relations humaines qui le parcourent. Toute l’histoire tourne autour d’un voisinage et des relations entre les voisins, l’auteur exprime l’effet aliénant de la vie en société. La mesquinerie des habitants de l’immeuble dégage un côté malsain et ce malsain se glisse dans toutes les conversations entre les personnages. Dès le début cela nous est montré lorsque la concierge (Shelley Winters) rigole en évoquant le suicide de l’ancienne locataire. Les interactions avec les autres habitants vont être de plus en plus étranges, le récit bascule même pas moments dans l’absurde, la société est absurde pour Polanski. Il y a une peur évidente de l’autre, de vivre avec les autres, car vivre en société est terrifiant. L’auteur nous montre la petitesse et la xénophobie au sein de ce microcosme, chacun déteste littéralement son voisin. Cela le pousse à s’isoler et à sombrer au fil du récit, l’enfermement devient donc une réaction à l’aliénation sociale. Mais c’est la paranoïa qui prend alors le pas, l’enfermement met Trelkovsky dans un état effroyable, les autres sont alors une menace et sont prêt à tout pour lui nuire. Ils viennent l’atteindre dans son isolement, le chercher lui directement, dans cette scène où le héros se barricade pour ne pas se faire avoir, nous faisant inévitablement penser à une scène tiré d’un film de zombies. Les autres harcèlent Trelkovski, sont prêt à le dévorer entièrement. On peut y voir un lien direct avec la vie du réalisateur, lui qui a subit la pression populaire à de nombreuses reprises comme après l’assassinat de sa femme. Polanski exprime sa peur, il voit la société dans ce qu’elle a de plus mesquin, prête à détruire quelqu’un.

Mais il montre surtout sa peur en tant qu’étranger vivant à Paris, c’est un film sur la solitude, le héros est isolé à l’intérieur de cette métropole très vivante, il est incapable de s’adapter à ce pays étranger. Les personnages menaçants ne sont pas que des résidents, toute la ville semble en avoir après Trelkovsky. Lui même ne sait pas comment réagir comme on peut le voir dans sa relation avec Stella (Isabelle Adjani), il semble mal à l’aise, ne sachant où se mettre, c’est également visible dans la scène où il invite des amis dans son appartement. Trelkovsky, en tant qu’étranger, ne semble pas à sa place.

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L’enfermement vient participer à cette ambiance glauque du film. La mise en scène nous fait ressentir à quel point il est pesant pour l’individu. Comme dit précédemment la plupart des plans sont filmés hauteur d’épaule mais c’est également pour coincer le personnage dans le cadre, il semble être étouffé par celui-ci. Dans l’une des premières scènes lorsque la concierge lui fait visiter l’appartement, les deux protagonistes sont souvent ensembles dans le cadre, ce qu’il fait qu’ils dévorent entièrement le cadre qui semble trop petit pour eux, ils sont collés l’un à l’autre. Lorsque Trelkovsky discute avec le propriétaire, Mr. Zy (Melvyn Douglas), de la location, les plans sont de plus en plus serrés au fil de la conversation, le héros rentre dans cet enfermement. L’appartement est un décor menaçant, comme le montre un petit détail d’une grande importance au début du film, la porte ne veut pas s’ouvrir, le même procédé pour introduire un lieu inquiétant sera encore utilisé 40 ans plus tard par Polanski dans J’accuse (2019), lorsque Picquart n’arrive pas à ouvrir la fenêtre de son bureau. Le côté malsain de l’enfermement se fait ressentir tout au long du film jusqu’à ce que le protagoniste bascule dans une démence pure où son appartement semble par moment l’écraser totalement ou alors il est isolé au milieu du cadre, les deux murs sont visibles et le personnage semble coincé dans une petite boîte. Au contraire, dans une scène totalement fantasmagorique, Trelkovsky avance dans sa chambre qui semble immense, les décors sont agrandis mais surtout le génie du metteur en scène est d’allonger le temps, le plan dure et devient interminable, à chaque seconde qui passe la chambre semble s’agrandir encore un peu plus. Polanski est noyé dans la folie. Sa chambre s’étend ou écrase l’individu, l’auteur s’en sert brillamment pour nous faire ressentir ce délire dans lequel est plongé son personnage, englouti par ses peurs, les peurs de l’artiste lui même. Le lieu oppresse l’homme, c’est bien lui le véritable antagoniste du film.


Note

Note : 9 sur 10.

9/10

Le Locataire est une œuvre sombre et très personnelle, elle fait une catharsis des peurs de l’auteur sur la société et le rapport aux autres. En plus de nous plonger dans une descente aux enfers avec une mise en scène qui étouffe le protagoniste. Une vraie maestria


Auteur/Autrice

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