Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque vendredi chez eux, et chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !


LE POUR

ANTOINE C.

1917, quand la technique offre l’intensité

Après une aventure bondienne mi-figue mi-raisin, Sam Mendes revient à Hollywood et à ses premiers amours. Formaliste magnifique, le réalisateur radingois décide ici de s’intéresser au film de guerre, genre à l’identité marqué, en y imposant une technique marquée : celle du plan-séquence.

Ce choix ne semble pourtant pas sur la papier évident : dans un genre aussi brut, organique et rythmé que celui du film de guerre, le plan-séquence, sur le papier, dénote, de par les interrogations sur l’adaptation d’une telle forme sur un format de 2 heures. C’est sans compter sur l’habileté de Mendes à créer une inter-dépendance entre le scénario et la forme : le premier semble construit pour le second, mais le second n’oublie jamais qu’il doit avant tout servir le premier. En évitant d’asphyxier son récit par sa technique, Mendes réussit donc à créer un ensemble cohérent qui, s’il est tout de même friable par moments, n’en reste pas moins d’un immersif remarquable, tenant en haleine de bout en bout.

Mais ce qui est le plus impressionnant peut-être, ce n’est pas cette dualité, mais bien ce qui fait le trait d’union entre cette forme et ce fond. George McKay tient le film sur ses épaules et s’affirme avec plaisir comme une immense révélation, surnageant au milieu des glorieux seconds rôles. Car 1917, étonnant soit-il, est également (et avant tout) un film d’acteurs : en l’espace d’une scène, nombreux sont ceux qui scotchent la rétine, nous transmettre comme la caméra ne peut le faire l’horreur psychologique d’un conflit trop souvent oublié au cinéma. L’émotion y est ici primaire, organique, permise par le regard voilé et simple d’une photographie se soustrayant à ce qu’elle imprime lorsqu’elle l’estime nécessaire (comme une chanson au milieu des bois…)Pourtant, force est de constater que 1917 semble s’imposer son propre plafond de verre : aussi merveilleux soit-elle, on ne peut jamais se détacher de ce tour de force technique : comme Blade Runner 2049, la qualité en plus, le travail de Deakins constitue la force et la faiblesse d’une oeuvre qui est perçu, pendant et après, comme le tour de force d’un plan-séquence magistral. Car en étant trop dépendant de sa technique, le film, aussi qualitatif soit-il ne pourra jamais s’élever sans limite. Et quand on voit l’immense qualité intrinsèque de l’oeuvre, on se dit que c’est bien dommage, tant la guerre n’avait pas connu une dimension aussi organique et intense depuis le Soldat Ryan.


LE CONTRE

THOMAS G.

1917, ou la technique vampire de l’émotion

Comment filmer la guerre au cinéma ? Comment rendre compte de sa violence autant que de son absurdité ? A ces questions, il est autant de résultats que de cinéastes. Pour Sam Mendes, réalisateur jamais hissé au même firmament que les cadors de sa génération tels que Christopher Nolan, la réponse est “simple” et tient en une technique : le plan-séquence. L’illusion de la continuité, l’expression du Temps irrémédiable : cela semblait parfait pour retranscrire l’horreur de la Première Guerre Mondiale. Mais au-delà de la technique impeccable, il conviendra de reconnaître l’échec du long-métrage sur son facteur clé : l’émotion.

Il serait en effet absurde de ne pas reconnaître à Sam Mendes et à son équipe un talent de réalisation impeccable. Le pari était osé, et sur un plan technique, il est réussi : le film impressionne, et sur chaque centimètre de la pellicule s’imprime une indéniable maestria visuelle. Cette réussite, on la doit également en grande partie à Roger Deakins, directeur de la photographie légendaire à l’oeuvre sur certaines oeuvres de Sam Mendes comme Les Noces Rebelles ou Skyfall mais également chez Denis Villeneuve sur Prisoners et Blade Runner 2049 pour ne citer qu’eux. Sublimant son image (notamment des scènes de nuit élégamment éclairées), il offre au film sa patte si particulière et apporte ce semblant de réalisme assez confondant.

Et “semblant” n’est pas utilisé au hasard. Car si le film acquiert grâce à sa mise en scène une force symbolique assez forte, celle-ci cause aussi au film son regrettable échec, l’empêchant d’entrer au Panthéon des oeuvres de guerre. Car, si Sam Mendes considère le plan-séquence, et sa continuité, comme vecteurs de réalisme, l’Histoire du cinéma aurait tôt fait de lui donner matière à débat. Mais nous rentrons ici dans des considérations épistémologiques bien trop complexes pour être simplement abordées.
De fait, et de manière assez dommageable, ce plan-séquence, réussi au demeurant, semble parfois se gargariser de sa propre audace, et phagocyte l’émotion justement par une continuité qui empêche la prise de conscience émotionnelle. Jamais l’action ne s’arrête, et si, à quelques brefs instants, le film s’autorise quelques parenthèses affectives, jamais il n’aura l’impact nécessaire à ce que le spectateur soit ébranlé devant lui. 
Et si, naturellement, le spectateur se laisse prendre au jeu et ressortira du film les yeux écarquillés par une prouesse technique indéniable, le Temps, impitoyable, fera son office. Et s’il ne manquera pas d’un corps solide, 1917 manquera définitivement d’une âme.

Auteur/Autrice

Partager l'article :

Leave a comment