Présenté cette année au festival international du film d’animation d’Annecy, Le Château solitaire dans le miroir, nouveau film de Keiichi Hara (Colorful, Miss Hokusai) et adaptation du roman éponyme de Mizuki Tsujimura, débarquera dans nos salles ce mercredi 6 septembre.

Il est certaines fois des films qui nous surprennent. Sous leurs faux airs passe-partout, il y a ce quelque chose d’habité, de vivant, qui vous tient en haleine. Le Château solitaire dans le miroir est de ces films qui surprend par son impact.

Ce qui suit est une analyse, elle se base donc sur des éléments surprises de l’intrigue. ALERTE SPOILERS.

© “Lonely Castle in the Mirror” Film Partners
© “Lonely Castle in the Mirror” Film Partners

Discord

D’entrée, il est évident quel sera le thème principal de l’œuvre : le harcèlement scolaire.

Adapté du livre du même nom, on assiste au quotidien chamboulé de Kokoro, jeune collégienne maladivement incapable d’aller en cours, alors que son miroir la transporte dans un château étrange peuplé de sept invités de son âge. Personne ne le sait mais cette épreuve, tant mystique qu’humaine, est mise en place dans le but de rassembler, consoler et reconstruire.

Le groupe est constitué de japonais, collégiens eux aussi, tous en soucis d’intégration à cause de forces extérieures qui échappent à leur contrôle. Tous subissent, s’isolent, fuient leur vie. L’hôte du château leur énonce un dilemme : celui qui trouve la clé qui y est cachée gagne un vœu, mais tout souvenir de l’aventure s’efface. Dans ce cas-là, qu’est-ce qui prévaut ? Une victoire automatique et facile, ou bien le souvenir d’avoir rencontré les seules personnes qui pourraient nous soutenir ?

On peut trouver ici un parallèle très intéressant avec les réseaux sociaux. Tout comme sur un téléphone, Kokoro peut entrer et sortir du château à sa guise, converser avec la personne de son choix au sein d’un groupe dissimulé, confortable, en rentrant de l’école à la place de réviser. Tout comme ils peuvent briser quelqu’un, internet et les réseaux sociaux peuvent aussi rassembler des personnes autour d’un sujet, ou en l’occurrence, un problème.

© “Lonely Castle in the Mirror” Film Partners
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Déclenchement du cœur

L’aspect le plus attendu de Le Château solitaire dans le miroir est son sous-genre fantastique. Une esthétique semi-féérique, qui relève presque du conte, tant dans ses visuels que dans les références qu’il emprunte au folklore de chez nous, occidentaux. Intégrer des éléments enfantins à des évènements traumatiques est un moyen fort, bien qu’un peu convenu, de relever le niveau horrifique de la chose.

Ici, les contes utilisés sont Le Petit chaperon rouge ainsi que Le Loup et les Sept Chevreaux. L’élément commun est, vous l’avez deviné, la figure du loup. Sa présence plane sur l’ensemble du film, l’hôtesse des lieux portant elle-même un masque à cet effigie. On explique surtout qu’un loup rôde au-delà de 17h00 et qu’il dévore ceux qui enfreignent cette règle.

Toute règle est faite pour être brisée, on comprend vite que rester plus longtemps se traduit par se résigner à ne pas retourner dehors. Lorsqu’un faux monde devient notre seul refuge, c’est que nous nous sommes perdus en chemin. C’est ce qui finit par arriver à la camarade de Kokoro, qui implique la mort de tous ceux présents sur place. Seule Kokoro survit, et devra trouver la force de montrer l’exemple à ses amis dans le besoin.

Ainsi le foreshadowing est de mise tout au long du film, beaucoup d’éléments rappelant le loup et le conte, le loup n’étant aussi qu’une projection de ceux qui martyrisent ces enfants au collège, cruels à l’appétit vorace. Ici, le loup tue l’innocence. Kokoro parvient à sauver les autres parce que c’est celle qui s’est sauvée la première, en faisant face à ses problèmes dans la vie, épaulée par une mère, une amie et une tutrice pleines d’affection. À l’image des chevreaux qui se cachent du prédateur, la jeune fille n’a plus peur et fait face.

© “Lonely Castle in the Mirror” Film Partners
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puzzle de vies

Le Château Solitaire dans le miroir enchérit davantage son récit d’un mystère tiroir, qui ne trouve une résolution qu’à la toute fin. Le groupe d’ami ne parvient pas à se rencontrer dans la vie réelle et toutes les suppositions sont évoquées. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que bien qu’ils fassent partie du même collège, ils ne sont pas de la même époque. Céder au désespoir serait facile, mais on réalise alors que cette connexion est bien plus grande.

À la fin, la camarade restée trop tard que sauve Kokoro continue sa vie de l’autre côté du miroir. On la voit grandir et devenir dans son futur, qui est le présent de Kokoro, une tutrice qui se bat pour le bien de ses élèves. Image symbolique hyper puissante, sensorielle, qui n’est pas sans rappeler les meilleurs moments du cinéma de S-F basé sur le voyage temporel. On réalise que chaque chose est liée, que c’est important, parce qu’une bonne action en entraine une autre. C’est comme ça qu’on avance, en se montrant bon.

Le film dévoile sa meilleure carte lors de la révélation de l’identité de l’hôte du château, mais ça, vous devrez le découvrir vous même en salle !

Cette poésie qui aurait pu presque passer pour une bête reprise d’un Ghibli à tant occidentaliser le fantastique se révèle totalement justifié. Par bien des aspects, dans sa vraie nature, celle de la toute fin, le film de Keiichi Hara rappelle l’animé Angel Beats !, slice of life dans lequel des lycéens piégés dans l’au-delà doivent réaliser leur rêve de leur vivant pour réussir à partir. Ce sont des œuvres qui semblent destinées à quelques adolescents patraques, mais qui touchent au plus profond des tripes avec un message universel incandescent : comment m’apaiser ? Pourrais-je un jour être heureux ?

© “Lonely Castle in the Mirror” Film Partners
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Le fond de la forme

Une photographie terne, morne, qui semble presque mal maîtrisée pour une production de ce calibre. Il n’en est rien vous vous en doutez, c’est justement par le biais de ce genre de détail que s’infiltre la narration. À la fois brute et suggestive, la mise en scène semble trop sage pour un film d’animation, qui plus est pour un sujet de ce type, qui appelle d’habitude à bien plus de folie visuelle, pour imager tout le stress et la colère des personnages. Aussi, la direction artistique laisse sérieusement à désirer, quasiment neutre du début à la fin, elle ne pourra jamais hisser le film au rang des plus grands.

Heureusement, c’est lorsque certaines choses se débloquent chez la protagoniste que le film sort des sentiers battus et s’amuse des couleurs, lumières et musiques. Et au final, l’histoire est si bien racontée qu’on en arrive à penser : peu importe. Véritable fait d’arme pour un film d’animation.

Le Château solitaire dans le miroir est un must-see de cette rentrée 2023. À vous de jouer pour qu’il ne passe pas inaperçu, car on a là un film qui sera sûrement un futur classique. Charmant, lugubre, classique et un peu virtuose, il vous rappellera que vous avez bien des sentiments.

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