À l’occasion de la récente sortie du dernier long-métrage de Just Philippot, Acide, PelliCulte s’intéresse à son précédent film. Objet décalé et ambitieux, La Nuée a valu à son réalisateur une véritable reconnaissance critique et publique en 2021.

Virginie (Suliane Brahim) a du mal à concilier sa vie d’agricultrice avec celle de mère célibataire. Pour faire vivre sa famille et éviter la faillite de sa ferme, elle se consacre corps et âme à l’élevage de sauterelles comestibles. Petit à petit, Virginie commence à développer un lien étrange et obsessionnel avec elles

une obsession assumée

Tout d’abord, au vu de son synopsis, il est impossible de ne pas penser à la probable principale inspiration du film, à savoir le grand cinéma torturé de David Cronenberg. Maître du morbide, du trash et de l’horreur, Cronenberg n’a cessé de créer des personnages en proie à une obsession, perdant peu à peu la possession d’eux mêmes jusqu’à s’en retrouver transformer (mentalement mais aussi physiquement, de la manière la plus littérale possible). La spirale infernale dans laquelle se retrouve piégée Virginie tient de cela, sans oublier l’utilisation de la figure de l’insecte pour faire émerger l’épouvante, comme avait pu le faire David Cronenberg notamment avec La Mouche

La différence, ici, est que l’on se trouve dans du cinéma français, dans sa forme la plus ambitieuse. En effet, le réalisateur Just Philippot ne se perd pas une seule seconde dans son processus, n’oubliant jamais que l’essence de son récit se cristallise dans cette famille dysfonctionnelle d’agriculteurs. En particulier la relation mère-fille qu’il représente d’une justesse poétique, ce qui lui permet d’accentuer les enjeux autour de son climax, déchirant. 

La Nuée
L'un des rares moments de complicité familiale dans La Nuée. © The Jokers

Même si l’ombre de Cronenberg plane sur le film, le réalisateur de La Nuée parvient tout de même à trouver son propre équilibre. Il est nécéssaire de saluer l’originalité de cette proposition sincère, mêlant la sensibilité de son auteur à des idées formelles maîtrisées. Le scénario ne se contente pas bêtement de tomber dans l’horreur puisqu’il possède, en sous-texte, un véritable propos non seulement social mais aussi écologique. Derrière une apparente simplicité se cache donc une grande densité alléchante, surtout lorsqu’elle est aussi captivante. 

La Nuée rejoint alors le cercle restreint de films d’horreurs français réussis, parvenant à établir un contexte d’épouvante (Les sauterelles mutantes) autour d’une situation intime (la relation mère-fille), véritable noeud dramatique du récit. Cette intention scénaristique est ce qui permet de rendre le genre de l’horreur plus profond et émotionnel, comme ont pu le prouver les productions A24 comme Midsommar de Ari Aster ou le très récent La Main réalisé par les frères Philippou. 

Un équilibre effarant

Dans La Nuée, le réalisateur ne joue jamais sur la surprise, préférant miser sur le suspens du « comment ? ». En effet, le spectateur se doute dès le début que la fin de l’histoire ne sera pas joyeuse pour Virginie et sa famille mais reste toutefois intrigué par le déroulement gradatif des enjeux. Il sait qu’on ne peut revenir en arrière, qu’avancer au travers de ce chemin tortueux sera la seule solution. Et ce n’est un secret pour personne, cette descente aux enfers fait mal. Car oui, durant le temps de ce voyage de 1h41, les personnages entrent dans nos coeurs. 

Venons-en maintenant aux vedettes du film, les sauterelles. Sans être utilisées gratuitement ou de manière excessivement brutale, elles deviennent rapidement omniprésentes par le montage, les faisant presque devenir spectatrices de la tragédie qui est en train de se jouer. Montrées par de nombreux gros plans jonchant le film, elles rappellent que le danger entoure constamment les personnages et permet de créer, à partir de quelques insectes, une menace universelle qui semble infinie. Il est souvent difficile de trouver l’équilibre fragile entre réalisme et morbide mais Just Philippot y parvient avec les honneurs, sans tomber dans la facilité du gore. 

La nuée
Les sauterelles, menace du long-métrage, se nourrissent du sang. © The Jokers

Le cinéaste n’hésite jamais à adapter son rythme, préférant prendre son temps avant de dévoiler toutes ses cartes. Ces moments de pause, contemplatifs, permet à ses personnages autant qu’à son spectateur de souffler, mais rajoute également du poids à leurs doutes, reculant l’inéluctable tout en replaçant les enjeux au centre du récit d’une manière subtile et personnelle.

Enfin, la force du film tient dans son casting, en particulier le talent de son actrice principale Suliane Brahim, complètement crédible, arrivant à être à la fois fragile et effrayante, tout cela avec nuance !  L’alchimie qu’elle entretient avec les jeunes acteurs jouant ses enfants marche bien, donnant une véritable consistance au film. Il est d’ailleurs dommage que la figure du fils disparaisse soudainement du récit pour son climax, alors qu’il aurait pu créer une source d’angoisse supplémentaire pour le spectateur. Le long-métrage se termine d’ailleurs dans une atmosphère sombre et apocalyptique, intelligemment éclairée par Romain Carcanade, un directeur de la photographie qu’il faudra suivre au vu de la qualité générale de ses images. 

 

La Nuée de Just Philippot, actuellement disponible sur Netflix. 

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