Dès son deuxième film, Mounia Meddour nous confirme son statut de cinéaste prodige. Ses films, complètement fracturés de prime abord, nous apparaissent en fait tout d’un coup, formant des ensembles lumineux, drôles et rafraichissants, renfermant en parallèle des tons graves et sérieux, là où le contexte n’est pas un prétexte, mais bel et bien le centre névralgique des récits. Houria, cri de guerre et de révolte d’une Algérie en souffrance, discours endiablé témoignant d’une vie, d’une ville, d’un pays, d’une Histoire… Houria est muette. Par la danse, on nous montre le corps et ses blessures. C’est une activité qui n’existe que par elle-même, qui n’a pas besoin d’autre chose pour s’émanciper : elle aussi est muette.

RÉALISME CONTRASTÉ

A première vue, les films de Mounia Meddour ne semblent pourtant pas si uniques que ça. Le réalisme des images nous saute aux yeux, tout semble découler des codes acquis par le visionnage de nombreuses œuvres similaires. Les films de Mounia Meddour, et notamment Houria, arborent en fait une vision réaliste bien plus nuancée et originale, frôlant parfois l’opposition complète avec le genre.

Ce qui me fascine le plus dans ces films, c’est l’impression de pouvoir tracer une ligne continue du premier au dernier plan sans jamais perdre la continuité de l’histoire. C’est le raccord clair et logique entre chaque séquence, entre chaque image, qui participe à établir une fluidité hors du commun dans la narration (admirablement remise en cause par deux fondus au noir très remarquables). Cela lui permet surtout de choisir le sujet principal de ses films, c’est-à-dire les personnages. Très peu d’importance est accordée aux décors, la caméra ne se focalise que sur les acteurs à l’écran. Ce sont toujours eux qui définissent leur environnement, qui le font évoluer, et qui permettent à Mounia Meddour de parler de la grande Histoire en racontant la petite. Cela vient d’ailleurs faire écho avec le regard complètement féminin que porte la réalisatrice sur Houria. Je ressentais l’inconfort de la glissière de la fenêtre qui appuyait contre ma nuque et pourtant, le soulagement de la pluie sur mon visage, les cheveux qui s’alourdissent en se gorgeant d’eau… (ma capacité à vous décrire le plan montre bien à quel point le film vous marque de manière sensorielle). Cela fonctionne sur l’intégralité du métrage.

Houria s’éloigne aussi tout de suite du film classique de la bande qui s’entraide pour guérir ou accomplir quelque chose (on a déjà vu ça). La réalisatrice morcèle violemment son récit, changeant sans cesse sa direction d’attaque, et trouvant alors sa stabilité dans son chaos. Le tout est thématiquement très sobre (en opposition avec l’effervescence plastique du film, j’y reviendrai), puisque la quête est mentale. Nul besoin d’une résolution grossière, un petit symbole est suffisant pour résoudre arcs et conflits en bonne et due forme.

LA PLURALITÉ ARTISTIQUE

Mais le plus gros atout de Houria, est que l’on sent que le film a été réalisé par quelqu’un de vivant, ayant ses souvenirs et ses goûts. Ça a l’air bête dit comme ça, mais dans chaque seconde du film, on ressent la personnalité de sa réalisatrice, on comprend qui elle est, ses goûts, son histoire, sa vie. Cela s’incarne dans la pluralité artistique que le film met en scène. Déjà par les choix de musiques (de Beyoncé à Felicità en passant par Maria Callas), mais aussi dans les moments de vie qu’elle nous fait ressentir (car comme dit plus haut, on ne voit pas les choses mais on les ressent). On ressent le lavage des cheveux, le dressage du dessert, les blessures… on comprend que toutes ces scènes ont été vécues par quelqu’un, cette même personne réalisant le film. C’est ça qui le rend unique, une qualité que j’aimerais retrouver plus souvent au cinéma.

Houria est une véritable mosaïque de couleurs et de sensations. Le découpage incisif contraste avec la douceur de la caméra qui vient danser avec les personnages ou épouser leurs ressentis. C’est une fresque alliant parole, danse et langue des signes, un deuil qui s’étend plus loin que son personnage et qui, au travers du psyché d’Houria, contamine le décor global du film. Houria s’avance fièrement dans la mer, et flotte dans l’eau entourée de sa grande robe blanche, incarnation divine.

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