Comment représenter la mort ? Comment mettre en image cet état ou plutôt son cheminement final ? C’est au travers d’une trilogie que Gus Van Sant, père de Will Hunting et adepte d’une esthétique pure, a décidé de nous montrer cette destiné commune à chacun, parfois brutale, parfois attendue, parfois impensable… Mais inévitable.


Matt Damon & Casey Affleck
- Gerry de Gus Van Sant

Réalisateur : Gus Van Sant (Good Will Hunting)

Casting : Matt Damon (Seul sur Mars) & Casey Affleck (Manchester By The Sea)

Genre : Drame

Sortie : 20 septembre 2002 (Grèce), 3 mars 2004 (France)

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Synopsis : Deux hommes, nommés tous deux Gerry, traversent en voiture le désert californien vers une destination qui n’est connue que d’eux seuls. Persuadés d’atteindre bientôt leur but, les deux amis décident de terminer leur périple à pied. Mais Gerry et Gerry ne trouvent pas ce qu’ils sont venus chercher ; ils ne sont même plus capables de retrouver l’emplacement de leur voiture. C’est donc sans eau et sans nourriture qu’ils vont s’enfoncer plus profondément encore dans la brûlante Vallée de la Mort. Leur amitié sera mise à rude épreuve.

Hey, Gerry, the path.

Gerry
L’intrigue
Gerry de Gus Van Sant

Gerry et Gerry. C’est tout ce que nous saurons sur ces personnages durant tout le film, d’ailleurs, il est fort probable que ce ne soit que des surnoms. Ainsi, Gerry connait une profondeur scénaristique toute relative, à la fois vide et perturbante. L’intrigue semblant tourner autour d’une quête vaporeuse et mal orchestrée, dérive vers un survival movie désertique où finalement, il n’est pas nécessaire de savoir grand chose. Ce vide est alors anecdotique et conforte l’idée que Gerry et Gerry sont les maitres de ce film, dont les réponses n’appartiennent qu’à eux.

Cependant, en changeant constamment d’objectif pour ses personnages (une « chose » dans la montagne, de l’eau, Gerry, la route) jusqu’à ne plus presque plus pouvoir l’atteindre, Gus Van Sant nous exprime ici que le seul cheminement vers lequel ces hommes vont, le seul qui, en dépit de toute autre chose, est la finalité de l’humain, n’est autre que la mort. Ainsi, le spectateur voit se profiler l’inévitable dont malgré sa forte suspicion, il fera semblant de ne pas comprendre, continuant inlassablement de marcher dans le désert avec ces jeunes, espérant qu’ils retrouvent leur chemin. Et quand bien même, le moment fatidique sera arrivé, c’est au tour du génie de Gus Van Sant de détruire les derniers piliers de la réflexion du spectateur en faisant de Gerry un meurtrier. Sans raison particulière, sans explication possible.

Le film laisse alors une sensation de manque, de lenteur et de longueur, d’absence de réponses où la seule chose tangible et qui en réchappe n’est autre que la mort de Gerry, qui semble avoir toujours été la quête dans ce long-métrage. Gus Van Sant symbolise alors le « rien », il met en image l’impossible où la beauté du vide prend tout son sens.

l’ESTHÉTIQUE & la réalisation
Gerry de Gus Van Sant

On peut facilement affirmer que l’esthétique ainsi que les choix de réalisation dans Gerry répondent fortement aux codes cinématographiques des documentaires, bien qu’il s’agisse d’une fiction. Les intentions de Gus Van Sant sont très clairement de nous montrer Gerry et Gerry dans cet environnement désertique, montagnard et hostile mais avec un regard neutre, distant et observateur. Ainsi, il n’y a pas de montage expressif, de caméra subjective ou de cadrages hors-normes : l’objectif de Gerry n’est pas d’orienter le spectateur vers une réflexion mais de lui montrer la réalité telle qu’elle est, sans artifice ou prise de position. C’est sans doute ces choix qui renforcent la sensation de rien, puisque sans un dynamisme particulier marquant dans le sujet et dans son traitement – ce à quoi nous sommes tous habitués avec le cinéma de fiction actuel – il nous est difficile d’y voir de la consistance et de nous rassasier.

Mais c’est également ce qui fait la force de ce long-métrage. Dans une maitrise de cet art quasi parfaite, Gus Van Sant va nous offrir des plans séquences d’une longueur ahurissante et d’une profondeur de champ déconcertante. C’est ainsi par cette technique de prise de vue que le spectateur est happé dans le film ; du fait de plans très longs, la temporalité des personnages et celle du spectateur s’aligne jusqu’à n’en faire plus qu’une ainsi le réel des personnages est le réel du spectateur : ils partagent la même temporalité. Immergé dans Gerry dès la première séquence en voiture, c’est aussi un moyen de garder toute neutralité pour Gus Van Sant et ainsi de « laisser vivre » ses personnages durant ces plans parfois interminables. C’est également avec un montage « invisible » et des cuts distants que cette sensation de prise de vue réel et de documentaire se renforcent : le rythme lent prolonge le sentiment de temporalité sans coupure et donc de réalisme temporel.

Gerry de Gus Van Sant

L’esthétique s’accorde donc avec la réalisation réaliste et neutre dont Gus Van Sant fait part dans ce film. Proche d’un documentaire sur la flore désertique, ce sont les « décors » et l’environnement qui sont essentiellement mis en avant ; de part les grandes profondeurs de champs mais également par des plans américains ou des plans larges dans lesquels les véritables acteurs sont les montagnes, les herbes, le ciel… puisque les personnages sont réduits à de minuscules points noirs traversant cette beauté naturelle, presque écrasés. Un moyen aussi pour Gus Van Sant de réduire l’importance et la place de l’Homme sur cette planète face à l’environnement qui l’entoure.

C’est une envie de vrai, de concret et de tangible qui s’émane de l’esthétique de Gerry : sans lumières artificielles, sans décors artificiels et presque sans musique. Ainsi, il crée un écrin qui s’étend à perte de vue, synonyme de liberté mais dans lequel Gerry et Gerry sont perdus, comme deux tâches dans un tableau. Cependant, grâce à certains plans rapprochés, comblant ce vide que placent des scènes sans dialogue, simplement belles visuellement et symbolisant l’errance, la solitude et la perte, Gus Van Sant arrive à capter l’émotion pudique et maladroite au travers, toujours, d’une certaine longueur touchante.

À partir de ces différents procédés, Gus Van Sant tend à plonger le spectateur dans ce désert, tel un observateur impliqué et ancré dans la réalité de Gerry et Gerry, où la nature et le rien sont harmonieux et beaux et où la moindre émotion est décuplée par ce vide, cette absence d’action et où malheureusement l’impensable ne fait que ressortir encore plus dans ces paysages naturels et pures.

Le son
Gerry de Gus Van Sant

Ce qui se dégage le plus de ce film, qui s’emploie déjà à sortir de l’ordinaire, est sans nul doute son travail autour du son. Pensé, conçu et enregistré comme un acteur à part entière, il est l’outil principal dans la création d’ambiance : il est même parfois mis plus en avant que les personnages eux-mêmes. Ainsi, dans un souci de réalisme, la prise de son est directe et surtout, mise en valeur par le manque de dialogues entre Gerry et Gerry – qui finalement est remplacé par celui de la nature -. C’est alors une sublimation de l’environnement, une nouvelle envergure offerte à l’arrière plan qui s’installe alors au devant de l’écran pour magnifier les images et donner de l’intensité tant aux personnages, par leurs bruits de pas ou leur respiration, qu’à l’espace en lui-même avec le vent, les pierres, les feuilles…

Ainsi, l’absence presque total de musiques extradiégétiques favorise ce côté documentaire et inclusif pour le spectateur, plongé à la fois par le traitement de l’image et par le son dans la dimension de Gerry. Cela participe également à la création de cette atmosphère vide où rien ne se passe, en longueur comme les recherches interminables dans les montagnes, où seul le bruit léger du vent et parfois de roches alimente la sphère sonore d’une scène déjà vide de sens pour un spectateur qui ne comprend pas ce que les personnages cherchent.

Le son a notamment un pouvoir dynamique qui construit l’énergie que la scène dégage. Par exemple, la première séquence, en voiture, est accompagnée d’une musique pop légère qui invite à l’évasion, au voyage et dont la coupure, au profit de bruitages sonores naturels, marque bien le changement d’atmosphère. Malgré un sentiment de lenteur et de longueur général au film, c’est grâce au son que certaines scènes gagnent en rythme et en intensité. Ainsi, la scène de marche, en plan serré sur Gerry et Gerry, de profil, connait un tempo rapide, orchestré par leurs bruits de pas, réguliers et synchronisés, un peu comme une mélodie entrainante. On ressent alors le déterminisme, l’envie d’aller au bout de leur quête et ce simplement avec des cailloux écrasés par des semelles de chaussures. Gus Van Sant, avec Gerry, rend justice à la beauté et au pouvoir du son ambiant et naturel, tout en sachant utiliser la musique à son avantage.

Elephant de Gus Van Sant

? Réalisateur : Gus Van Sant (My Own Private Idaho)

? Casting : Elias McConnell (Paris, je t’aime), Alex Frost (Calvin Mashall), Eric Deulen

? Genre : Drame

? Sortie : 3 octobre 2003 (Italie), 23 octocre 2003 (France)

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Synopsis : En ce jour d’automne, les lycéens, comme à leur habitude, partagent leur temps entre cours, football, photographie, potins, etc. Pour chacun des élèves, le lycée représente une expérience différente, enrichissante ou amicale pour les uns, traumatisante, solitaire ou difficile pour les autres. Cette journée semble ordinaire, et pourtant le drame couve…

So full and fair a day I have not seen.

Alex
l’intrigue
Elephant de Gus Van Sant

Elephant trace le portrait de lycéens dans une journée qui devait s’annoncer lambda. On suit alors plusieurs jeunes dans leur parcours au sein de l’établissement ; au fur et à mesure du film, ce n’est pas seulement les personnages que nous découvrons mais également le lycée dans lequel ils évoluent. John, Elias, Acadia, Nathan, Carry, Eric, Alex, Michelle, Brittany, Jordan… tant de portraits effleurés pour illustrer, parfois grossièrement, des adolescents mais également représenter l’éclectisme des parcours de vie de cette génération. Ce que nous offre Gus Van Sant, au sujet de ses personnages, est suffisant pour se créer une toile et un fond solide pour appréhender le reste du film. C’est alors en tant qu’observateur que le spectateur plonge dans ce lycée où une inquiétante étrangeté prend place.

Cet aspect de toile tissée est un élément central dans Elephant. En effet, les portraits sont dépeints un à un, dans leur environnement respectif : le terrain de sport, le gymnase, la salle de photographie… puis grâce à un jeu parfait sur la temporalité, Gus Van Sant arrive à mélanger ces étudiants qui ne se connaissent pas ou peu et à les faire se croiser, se mêler, se mélanger au fur et à mesure de l’avancée scénaristique. Ainsi, grâce un stratagème de « en même temps », « pendant ce temps-là » mais également de retours en arrière, les chemins distincts de ces étudiants ne vont en former qu’un et amener à une seule et même fatalité, un seul et même évènement – qu’ils appréhenderont tous de manières différentes – : la tuerie. Ainsi, chaque personnage forme une pièce de puzzle dont la fusillade est le résultat final. Gus Van Sant emmène donc le spectateur sur le fil des tueurs, annonçant l’impensable progressivement et laissant peu de place au doute quant à la fin du film, cependant, il arrive à « jouer » avec la mort une dernière fois et de manière inattendue et brutale avec un coup de feu qui a lui seul traduit le non-sens et la violence d’un tel acte, prenant ainsi le spectateur aux tripes, encore une fois. Ce sadisme certain sera d’ailleurs la dernière note à ce scénario complexe.

Toujours dans une approche presque documentaire, Gus Van Sant recherche le besoin de montrer plus que de juger ou d’orienter la pensée du spectateur. Il présente les personnages, la situation selon différents points de vue pour donner à son public une vision d’ensemble, neutre et d’observation afin que le spectateur exprime sa réflexion face à ce tableau réaliste et immersif.

Le titre Elephant fait référence à quelque chose de conséquent en face de nous, dont nous sommes conscient mais que nous préfèrerions occulter ou simplement que nous faisons semblant d’ignorer. C’est donc avec ce film que Gus Van Sant critique la mauvaise gestion gouvernementale américaine sur les violences dans les écoles, notamment suite à la tuerie de Columbine en 1999, qui avait chamboulée le monde entier et dont le réalisateur prendra comme inspiration.

l’esthétique & LA RÉALISATION
Elephant de Gus Van Sant

Elephant est construit comme un labyrinthe dont les couloirs du lycée forment les passages et malheureusement, où la sortie n’est atteinte que par peu de gens, faisant des tueurs les minotaures de ce film. Ainsi, le cheminement et l’exploration sont au coeur de l’esthétique de ce court-métrage, dont la symbolique est aussi poétique que fataliste.

L’utilisation de travellings (circulaires, latéraux, en profondeur) et de la caméra à épaule permet de suivre ces lycéens, tournant le dos la plupart du temps, dans des plans d’une grande fluidité et d’une certaine lenteur/longueur – mais sans lourdeur -. Nous les observons alors marcher dans des couloirs parfois obscurs, d’où la lumière n’est accessible qu’en fin de parcours : ils s’avancent inlassablement vers leur destin tragique, s’enfonçant vers la mort avec une certaine insouciance. Ce sentiment de détresse et de vulnérabilité est renforcé par ces plans montrant la nuque des personnages, véritable point sensible chez l’Homme.

Si Gus Van Sant réussit à prodiguer une certaine poésie, c’est avant tout un réalisme qu’il veut partager. Ainsi, l’esthétique lumineuse est naturelle, jouant sur les vitres, les fenêtres et les éclairages déjà présents dans le bâtiment. C’est également au travers de plans fixes et longs que ce réalisme s’opère : les personnages évoluent naturellement, comme si la caméra avait simplement été posée là puis oubliée.

Elephant de Gus Van Sant

Si scénaristiquement le réalisateur s’est voulu proche du documentaire, c’est également le cas pour son esthétisme. Outre le fait que les décors et que les ambiances soient concrètes et vraisemblables, c’est aussi au niveau des plans, des cadrages et du montage que la magie apparait. En effet, on retrouve de nombreux plans séquences qui traduisent une temporalité réelle, en accord avec celle du spectateur. En plus d’être un outil immersif donc, cela permet d’appuyer sur l’envie de neutralité, sans coupure ni opération de l’Homme. S’alignant alors sur la temporalité du public, grâce à plusieurs longs plans, Gus Van Sant l’engage vers l’univers d’Elephant, faisant du spectateur un observateur impliqué et presque actif, positionné au plus prêt de ses personnages et dans le « feu de l’action ».

Documenter le public sans jugement ni orientation d’idée sont les maitres mots de Gus Van Sant qui s’emploie même jusque dans le montage à garder cette neutralité et cette vision d’ensemble. Ainsi, on peut noter un montage alterné (alternance entre différentes scènes qui se déroulent en même temps), faisant du montage un outil scénaristique et d’observation, bien que peu présent. Cette absence/présence du montage où les cuts sont infimes souvent éloignés permet de garder le spectateur ancré dans la temporalité du film.

le son
Elephant de Gus Van Sant

Bien que les étudiants forment les acteurs principaux de ce long métrage, il est également possible d’affirmer que le son en lui-même est un personnage à part entière. Son traitement puriste confère une ambiance réaliste tout au long du film. Centré principalement autour des bruits ambiants, des bruits concrets et réels sans underscoring, mickeymousing ou rajout thématique, son pouvoir de construction d’atmosphère n’en est que plus renforcé et immersif : le réalisme sonore plonge le spectateur dans le même climat que les personnages.

Ainsi, la séquence qui illustre le mieux l’expressivité du son en prise direct n’est autre que celle de la fusillade. Le silence est alors porteur de tout suspens dont les bruits ambiants tels que les pas, les cris, le vent, les tirs… n’en ressortent que plus terrifiants et prenants. Accroché à la gorge du spectateur, l’absence de musique d’ambiance, de musique thématique de suspens ou d’action, ne fait que resserrer les sentiments morbides que se dégagent des visuels.

Et quand bien même Gus Van Sant s’oriente vers une musique, c’est dans un choix dérangeant et dissonant qu’il effectue ce changement de sonorité, renforçant la sensation d’étrangeté et d’urgence. Cette séquence n’en parait alors que plus longue puisqu’une fois encore le réalisateur joue sur le vide, le rien et sa symbolique du danger immédiat, gardant le spectateur au coeur d’une horreur sans mot, sans musique parasite : sans rien.

Gus Van Sant n’utilise presque pas de musiques d’ambiance ou de musiques extradiégétiques mais arrive à les manier avec intelligence, apportant un décalage sonore et visuel que les bruits ambiants et naturels ne pourraient provoquer puisque trop ancrés dans le réel. On peut prendre pour exemple la scène de sport où les étudiants courent sur le terrain, rigolent, parlent et dont le choix musical de notes graves au piano pose une ambiance lourde et pesante, presque triste comme un présage sur les prochains évènements. Dans une autre mesure, Gus Van Sant apporte de la poésie et de la légèreté avec le passage de La Lettre à Élise de Beethoven, reprise pas Eric qui contraste alors avec les plans funèbres de ce jeune homme et le jeu video auquel joue Alex dans la même pièce.

Elephant est une douceur brutale où le fatalisme lent, poétique et beau est mis en image pour illustrer le cheminement vers la mort de ces lycéens.

Elephant de Gus Van Sant

À noter : le jeu vidéo de tirs Gerrycount auquel Alex joue reprend une scène de Gerry puisque Gus Van Sant n’a pas reçu les autorisations de prendre les visuels du jeu vidéo existant. On y repère donc les personnages de Gerry et Gerry – Matt Damon et Casey Affleck -.

Last Days de Gus Van Sant

? Réalisateur : Gus Van Sant (Milk)

? Casting : Michael Pitt (Funny Games U.S), Luka Haas (Inception), Asia Argento (Isole), Scott Patrick Green (The Curse of la Llorona)

? Genre : Drame

? Sortie : 13 mai 2005 (France)

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Synopsis : Blake, artiste replié sur lui-même, fléchit sous le poids de la célébrité, du succès et d’un sentiment d’isolement croissant. Réfugié dans une maison au milieu des bois, il tente d’échapper à sa vie, à son entourage et à ses obligations. Il regarde, écoute, et attend la délivrance.

I lost something on the way to wherever I am today.

Blake
L’INTRIGUE
Last Days de Gus Van Sant

Last Days est un film sur l’errance et la mort de l’âme avant la mort du corps. Ainsi, nous voyons déambuler, avec certaines fulgurances d’esprit, Blake dont l’envie et la volonté de vivre semblent mourir un peu plus chaque jour. Ce long métrage s’appuie sur les derniers jours de Kurt Cobain, sous les traits d’un rockeur mort-vivant qui cherche un sens à son existence.

Ainsi, on suit Blake errer dans sa grande demeure, dans les bois, marmonner quelques mots inaudibles et dénués de sens et jouer de la musique, la seule chose qui le maintien un tantinet conscient. Nous assistons en réalité à la descente lente et douloureuse d’un être qui ne veut plus être sur Terre et dont la quête n’est autre que la mort. Impuissant et simple voyeur, le spectateur regarde – tout comme ses amis – l’isolement et la perdition de l’être qui existe encore physiquement mais dont l’esprit est déjà bien enterré.

La vie défile devant ses yeux et ce personnage semble même hors du film, hors de sa propre réalité ayant moins conscience de ce qu’il se passe chez lui que le spectateur. C’est d’ailleurs avec une envie de malléabilité temporelle que Gus Van Sant s’est amusé – maladroitement et de manière brouillonne – à découdre son récit pour ensuite l’étoffer à coup de retours en arrière et de multiplications d’une même scène. Tout comme Blake, nous perdons le fil de son histoire.

Last Days apporte à peine du contenu à ses personnages secondaires, qui paraissent vides, inutiles mais qui mettent en valeur la pureté de l’être de Blake : on note une romanisation de la descente aux Enfers du rockeur, de la chute inévitable vers la mort. Cette romanisation proche du glamour mais qui penche plus vers la spiritualité, s’affirme jusqu’au dernier plan où poétiquement l’âme de Blake quitte son corps au travers d’un reflet de fenêtre, un peu comme Jésus, dont il est fait mention dans une scène précédente.

L’esthétique & la réalisation
Last Days de Gus Van Sant

Ce long métrage comme ses prédécesseurs connait cette envie de montrer une réalité et une vérité dans jugement et ainsi toucher les caractéristiques cinématographiques du documentaire. Gus Van Sant tend à partager une vision de neutralité sur le processus d’auto-destruction de Blake grâce à une présence de caméra subtile, souvent fixe, laissant les personnages évoluer dans le cadre.

Utilisant les plans séquences et les longs plans, Last Days immerge, à petites doses, le spectateur dans sa réalité temporelle malgré les modalités de changements de temps. Dans cet optique de plongée du public, on peut noter la présence de la caméra à épaule et de la steady-cam qui permet de suivre avec fluidité le personnage, à sa hauteur et ainsi d’être impliqué dans son environnement. C’est également un moyen de renforcer une émotion, telle que la vulnérabilité lorsque c’est le dos de Blake qui est mis en avant.

Gus Van Sant continue, dans ce film, son utilisation des éclairages naturelles et l’absence d’artifices, de plans expressifs au cadrage grandiose ou tape à l’oeil mais loin d’être dénué de sens et de poésie. Ce qui se dégage des choix esthétiques et visuels est ce sentiment d’enfermement et ce besoin d’échappatoire qui anime Blake. Ainsi, de nombreuses scènes comportent des fenêtres, de grandes ouvertures vers l’extérieur mais également des plans de nature d’une grande intensité sonore naturelle, ou encore au contraire condensent le personnage dans un endroit exigu et petit telle que la cuisine. On remarque ainsi, dans la séquence de composition, que malgré une certaine liberté de mouvements, d’évasion, Blake reste inlassablement enfermé dans cette maison – grâce à un travelling arrière dévoilant le personnage happé dans le décor, comme bouffé par la société et son environnement. C’est en jouant entre les contrastes de la nature et l’enfermement que Gus Van Sant symbolise le besoin de s’évader spirituellement mais également la souffrance et la pression que Blake subit.

Last Days est rythmé par des scènes également courtes et denses, donnant un certain dynamisme qui malheureusement n’arrive pas à animer le film, qui semble mourir en même temps que Blake.

le son
Last Days de Gus Van Sant

L’identité sonore de Gus Van Sant continue de s’ancrer dans cette trilogie avec un Last Days qui n’échappe pas à l’importance des bruits en prise direct et de l’absence de musiques d’ambiances bien que – film tourné autour d’un interprète – il est agréable de retrouver quelques compositions rocks qui animent et dynamisent le film. Si ces musiques ont pour ambition d’illustrer le travail de Blake, les bruits ambiants gardent leur rôle d’ancrage dans la réalité et de constructeur d’ambiance vraisemblable.

C’est d’ailleurs dans une des scènes de ce film qu’il prend une part importante, comme un second rôle auprès de Blake. Dans la séquence du feu de camp, la nuit, il est déjà visuellement notable que le brasier prend autant de place à l’écran que Blake donnant un rapport de force égal mais c’est bel et bien le son qui va amener la dominance au foyer. Ses crépitements répondent aux gémissements presque inaudibles de Blake jusqu’à prendre le dessus et occuper tout l’espace sonore. De manière générale, les bruits de nature sont les plus importants dans un souci de réalisme.

Gus Van Sant s’offre avec l’esprit tortueux de Blake, une nouvelle utilisation du son et ainsi décide de plonger le spectateur non pas dans la réalité du film, mais dans la réalité de Blake. Ainsi, il est possible d’entendre à « l’intérieur » de la tête de Blake où dissonances sonores, église, voix et brouhaha tournent en boucle, montrant bien les souffrances physiques et mentales qu’il subit. C’est d’ailleurs avec deux musiques francophones et assez perturbantes que Gus Van Sant décide d’ouvrir et de clôturer son film : de quoi laisser le spectateur troublé par ces choix lyriques en contraste total avec l’ensemble du film.

Last Days, petit dernier de la trilogie, exploite la facette la plus complexe de la mort et de son cheminement dans un écrin poétique et une utilisation du son intéressante mais dont les envies temporelles brouillonnes et le manque de profondeur ont étouffé le film.


Pour conclure, la Trilogie de la Mort de Gus Van Sant a su exploiter différentes représentations de la mort, dont l’identité reste la douceur brutale et le cheminement tragique inévitable, connectant entre eux les films d’un point de vue scénaristique. C’est également au travers de l’esthétique qu’une similitude se crée. Ainsi, Gerry et Elephant partagent des scènes similaires, tels que le jeu vidéo ou encore leur scène d’explication de leur plan en contre-plongée. C’est aussi une similarité dans l’envie de documenter, de montrer et non de juger afin de laisser une pleine réflexion au spectateur, qui alimente cette connexion : on retrouve donc un traitement de l’image et du cadrage qui se superpose entre les oeuvres tout en gardant une identité pleine à chaque film. Pour finir, Gerry, Elephant et Last Days sont un merveilleux hommage au son, bruitage et à la musique que Gus Van Sant a su rendre indispensables, remarquables et immersifs et ainsi, en a fait un acteur à part entière pour plonger le spectateur dans un sujet difficile et lourd.

La mort selon Gus Van Sant s’apparente à un cheminement inévitable où la beauté et la brutalité s’entremêlent et où le réalisme n’empêche pas la poésie et le symbolisme. Tous inspirés de faits réels, ces films transpirent le documentaire mais gardent une part de fiction romanesque : la réflexion n’en est que plus belle.

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