Réalisateur : Todd Haynes (Carol, I’m not there)

? Casting : Mark Ruffalo (Shutter Island, Zodiac), Bil Camp (The Night OfJoker), Anne Hathaway (Interstellar, Le Diable s’habille en Prada) Tim Robbins (Les Évadés, Mystic River)… 


Genre : Thriller 


Pays : USA


Sortie : 22 novembre 2019 (États-Unis) / 26 février 2020 (France)

Synopsis : Robert Bilott est un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques. Interpellé par un paysan, voisin de sa grand-mère, il va découvrir que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par une usine du puissant groupe chimique DuPont, premier employeur de la région. Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l’usine, il va risquer sa carrière, sa famille, et même sa propre vie…

Dark Waters, la nouvelle œuvre de Todd Haynes, fait partie de cette catégorie de films américains sortis en fin d’année de l’autre côté de l’Atlantique, échouant à la course aux Oscars et n’ayant, par conséquent, pas la même visibilité que ceux ayant trouvé les faveurs de l’Académie. Bien que n’ayant pu séduire cette institution, certains peuvent s’avérer de très bonnes surprises, comme le dernier film de Clint Eastwood Le Cas Richard Jewell. Dark Waters fait clairement partie de ces surprises. Six ans après le très beau Carol, et trois ans après son Musée des Merveilles passé plutôt inaperçu, Haynes signe un film d’une grande efficacité sur le combat d’un homme affrontant une entreprise bien trop puissante et abordant des thématiques sociales qui sont chères à l’auteur.

Le film se distingue principalement par son atmosphère. Lorsque Robert (Mark Ruffalo) découvre la ville située à côté de l’entreprise DuPont, Haynes film d’une manière inquiétante, nous faisant penser au début d’un film d’horreur, où le spectateur est introduit à une petite ville américaine en apparence normale mais qui semble cacher quelque chose. La réalisation est lente, les mouvements de caméra sont vagues, le metteur en scène pose l’ambiance. Et il le fait dès l’ouverture de cette séquence avec un fait subtil, quand Robert fait coucou à des enfants passant en vélo, l’un d’entre eux répond d’un grand sourire aux dents noires. La chose est rapide, ni la caméra ni le jeu de Mark Ruffalo n’appuie sur ce détail, à un point où le spectateur se demande si il n’a pas tout simplement mal vu l’action. Cette ville en Virginie-Occidentale est comme en suspend, comme un monde froid cachant une sordide affaire. À peine arrivé, on souhaite déjà au protagoniste de quitter l’endroit le plus rapidement possible.

Credit : Mary Cybulski / Focus Features

La photographie, brillamment exécutée par Edward Lachman (chef-opérateur attitré de Todd Haynes), joue le jeu du macabre. Celle-ci va dans des teintes très sombres, noyant ensemble noir, gris ou bleu foncé. Cette couleur imprègne entièrement l’image à certains moments, comme si le PFOA lui-même dévorait l’image. Les bureaux sont souvent montrés comme sans vie par la photographie, les lumières éclairent souvent peu ou mal. Néanmoins tout la photographie n’est pas similaire dans son traitement de la couleur, on peut notamment relever plusieurs teintes dorées nous faisant penser au travail de Lachman sur Carol.

Cette ambiance générale nous conduit à la paranoïa qui tourmente le héros comme le spectateur. On est néanmoins loin des tourbillons hystériques d’incertitudes causés par une paranoïa venant dévorer l’œuvre comme Coppola avait pu le faire dans Conversation Secrète. Ici, la paranoïa s’apparente bien plus à de la peur, une peur rationnelle et mesurée nous offrant néanmoins certains moments de tension, comme cette scène où Robert n’ose pas tourner les clés de sa voiture, cliché récurrent dans les thrillers politiques et films criminels, nous faisant penser en premier lieu à Ray Liotta dans Les Affranchis. La paranoïa peut également être d’ordre émotionnel, comme lorsque Robert insiste auprès des infirmières pour savoir si son nouveau né a les yeux déformés, en effet le PFOA infecte directement l’enfant alors qu’il est encore dans le ventre de sa mère, comme si DuPont empoissonnait une génération future d’ores et déjà malade.

Credit : Mary Cybulski / Focus Features

Une œuvre prenante et maladif dont Mark Ruffalo est le cœur. Il a d’abord été envisagé de voir le point de vue de DuPont à certains passages avant de recentrer toute la trame narrative sur Robert Bilott, nous découvrons ainsi petit à petit les rouages et atrocités commis par l’entreprise en même temps que lui. On évolue avec le point de vue d’un homme faisant partie et défendant un système dont il découvre toutes les failles. Cette montée dans l’horreur est une surprise pour lui, il ne peut imaginer de telles choses. Mark Ruffalo nous prouve qu’il est encore capable d’interpréter des rôles de composition, durant une partie de sa carrière compliquée, ayant certains rôles très intéressants démontrant un vrai talent (Spotlight, Foxcatcher, tous deux lui ont valu une nomination aux Oscars) mais souvent moqué pour son interprétation d’un Hulk catastrophique dans le MCU. Ici son personnage est assez atypique, constamment avachi et pris de tremblements. Ruffalo nous fait parfaitement sentir l’honnêteté et la simplicité de cet homme. Celui-ci est accompagné et encouragé tout au long de son enquête par deux figures, d’abord Tom Terp, le supérieur de Robert, campé par Tim Robbins qui n’a plus rien à prouver, et puis Anne Hathaway, cantonnée à un rôle de simple épouse, qui est en surjeu constant, enchaînant les tirades en pleurs à la façon de Viola Davis dans Fences. Cherche-t-elle à rendre moins banal un rôle secondaire pour décrocher une nomination aux Oscars ? Enfin Bil Camp se montre très bon dans son imposant rôle de fermier à l’accent prononcé et aux fortes manières paysannes, pouvant être considéré comme cliché, il nous dresse le portrait d’un homme fière et déterminé à obtenir justice.

Todd Haynes donne, comme dans toute son œuvre, une dimension sociale à son film. Il nous montre ici un capitalisme sans tête, dévorant tout sur son passage. En refusant de montrer le point de vue de DuPont, le film déshumanise totalement le mal, il n’est qu’entité, existant justement en opposition à l’humain. Peut-on vraiment savoir ce que pense le PDG de DuPont lorsqu’il a sous ses yeux l’image de l’enfant au visage déformé à vie par le PFOA que lui tend Robert ? Haynes nous introduit également aux différences de classe, comme dans Carol, mais nous démontre surtout comment un individu ne peut en apparence rien contre un système entier. Le capitalisme est un deuxième poison dans le film. Malgré toutes les atrocités dévoilées, la population proche de l’usine Teflure, principale victime de l’affaire, reste du côté de DuPont car celui-ci est le premier employeur de la région. On voit bien ici l’asservissement total de la classe prolétaire, l’entreprise peut leur faire subir n’importe quoi, elle les tient de toute manière. Le metteur en scène nous montre une société sur un rapport de domination.

©Le Pacte

L’homme ne fait pas le poids face à l’institution, elle est bien trop lourde, trop vaste. Cette idée est symbolisée pas tous les cartons que doit trier Robert, jamais il ne pourra le faire, il ne peut s’attaquer à quelque chose d’aussi gros. Et pourtant il le fait. Un homme peut bel et bien défier une institution. Haynes nous livre en réalité une œuvre sur l’espoir, la foi, notamment chrétienne comme montrée dans le film, mais surtout la persévérance. Robert se bat uniquement avec son sens du devoir et la conviction de faire quelque chose de bien. L’homme persévère face à l’entité et au fil des combats il peut finir par gagner.

« Still there »

Robert Bilott

Note

Note : 7 sur 10.

7/10

Dark Waters nous prouve encore que Todd Haynes est un des meilleurs réalisateurs américains indépendants de sa génération. Son film est inquiétant et montre avec intelligence les dérives du capitalisme. Bien que d’un classicisme évident l’œuvre est à voir, ne serait-ce que pour un Mark Ruffalo comme on aimerait le voir plus souvent.

https://www.youtube.com/watch?v=UITUmy3xiq4

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