Après sa première entrée en compétition en 2019, Jessica Hausner renouvelle sa candidature à la Palme d’or cette année avec Club Zero. Dans une œuvre au style esthétique hors du temps, la réalisatrice autrichienne questionne notre époque via la responsabilité des adultes vis-à-vis des enfants. 

Miss Novak rejoint un lycée privé où elle initie un cours de nutrition avec un concept innovant, bousculant les habitudes alimentaires. Sans qu’elle éveille les soupçons des professeurs et des parents, certains élèves tombent sous son emprise et intègrent le cercle très fermé du mystérieux Club Zéro. Délaissés et incompris par leurs parents dont certains vivent hors du continent, les élèves érigent Miss Novak en figure maternelle bienveillante.

Si Club Zero s’ouvre sur une mise en garde quant aux troubles alimentaires, ce sujet n’est qu’un prétexte pour traiter de problématiques plus ancrées dans la chair sociétale. Parmi les diverses pistes de lectures rendues possibles par cette satire sociale, Hausner fait notamment le constat d’un gouffre générationnel séparant les parents des enfants.

"L'échec des parents est systémique"

Pour illustrer cette déconnexion, l’intrigue se déroule dans un internat. Ce choix suggère d’autant plus une délégation de leur responsabilité de leurs enfants aux enseignants, dans une relation basée sur la confiance. Pourtant, sans éveiller l’ombre d’un soupçon, Miss Novak manipule les enfants et exacerbe la distance qui les sépare de leurs parents en leur inculquant une idéologie en marge de la société. En réalité, cet écart générationnel trouve son origine dans la notion de méritocratie sur lequel repose notre système, enseignant un dévouement au travail toujours plus contraignant. En travaillant sans cesse, les parents n’ont pas le temps ni les moyens de veiller sur les enfants, notamment à distance.

Dans Club Zero, l’échec des parents à sauver leurs enfants des griffes d’une professeure aux penchants sectaires, reflète une problématique systémique. La totale confiance que les parents accordent aux enseignants menace-t-elle leur rapport avec leurs enfants ? Comment faire autrement si les parents n’ont tout simplement pas la possibilité d’assumer davantage de responsabilité dans une société qui repose sur le travail et la réussite ? Une hypothèse parfaitement retransmise par les paroles de la directrice de l’école du film « les parents n’ont pas de temps à consacrer à leurs enfants, si bien qu’il est de notre responsabilité de leur donner l’attention et l’affection dont ils ont besoin ». 

Club Zéro
En proposant une forme de vie alternative, Miss Novak séduit la jeune génération.

"L'Alimentation consciente" comme idéal

Chacun imprégné d’un cadre de vie prospère grâce à la fortune familiale, ces enfants ont pour point commun d’être à la recherche d’un idéal. En initiant une forme de vie alternative, Miss Novak leur offre cet idéal : c’est précisément ce qui aura pour effet de rendre la quête des parents de sauver leurs enfants inespérée. Parce que les convictions que Mlle Novak convergent avec leur envie d’ailleurs, elle peut ainsi les manipuler pour mieux les séparer de leurs parents.

À cela s’ajoute le désir d’appartenance à un groupe, dont il est difficile de se défaire. Dans Club Zero, les élèves de Miss Novak réagissent différemment à son enseignement. Si certains sont convaincus d’entrée de jeu, d’autres quittent le groupe lorsqu’ils estiment que cela va trop loin. Et puis, il y a le personnage de Ben. S’il refuse d’abord d’appliquer les règles de « L’Alimentation Consciente » dictées par Miss Novak, il finit par s’y soumettre, comme dominé par cette mentalité de meute.

Une déclaration politique

Satire sociétale rude et transparente, Club Zero pointe surtout du doigt les dérives sectaires d’une jeunesse en quête de sens et d’identité. Partout dans le monde, on observe que les jeunes générations protestent de plus en plus contre la façon dont nos dirigeants gouvernent le monde. Il se battent pour un avenir aléatoire et tentent de maîtriser leur existence pour y trouver un sens. Malgré des soulèvements importants contre le pouvoir, il semble impossible d’obtenir des mesures efficaces contre le changement climatique par exemple. Pour espérer se faire entendre, certains recourent à des méthodes plus radicales. C’est ce que raconte Club Zero : l’idéologie draconienne de Miss Novak est notamment justifiée par la lutte contre la société de consommation et le réchauffement climatique. Manger de moins en moins sauverait la planète, et repousserait donc l’échéance de l’humanité.

Plus qu’une simple punition pour les parents, le refus de s’alimenter traduit une forme de déclaration politique et une résistance extrême vis-à-vis de la société. Toutefois, la grève de la faim peut aussi évoluer en addiction, comme le dénonce le film. En modifiant la quantité de nourriture consommée, on glisse dans un état d’euphorie qui prête l’illusion d’être tout-puissant. Contrôler ce que l’on mange, c’est dominer son corps et son esprit. Pour les adeptes du Club Zéro, « L’Alimentation Consciente » constitue ainsi une première façon de dompter leur avenir pour lequel ils craignent tant. 

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