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4 janvier 1948 : Manifestation contre les accords Blum-Byrnes
  • Depuis les accords Blum-Byrnes de 1946, allégeant les quotas concernant les productions outre-atlantiques, le cinéma américain ne cesse de gagner du terrain (55.2% de part de marché en 2019) sur le marché français, penses-tu que ce soit une bonne chose ?

Ce qui est une bonne chose, c’est que les gens, en France, aillent voir des films. C’est surtout ça qui est important car le cinéma français est financé, en partie, grâce aux recettes des films en salles donc quand Le Roi Lion fait 10 millions d’entrées en 2019 il permet une grosse rentrée d’argent au CNC pour des films français. C’est un système qui utilise, finalement, le cinéma américain à son avantage. Le contrecoup de ce principe c’est que le cinéma français est un cinéma de « financement » et non pas de « recette(s) ».

Les films ne sont pas fait dans l’optique de se rentabiliser au box-office. Grâce aux aides et aux obligations d’investissement des chaînes de télévisions, les maisons de production se payent directement sur le financement. Les recettes engendrées par les salles ne sont donc pas primordiales. 3% des films français, diffusés en salle, sont rentables. C’est ridicule. Le bon côté est que le cinéma français n’impose pas un cinéma « commercial » où l’on recherche, avant tout, le succès, quitte à tomber dans l’excès comme le cinéma hollywoodien. On a un cinéma plus « artistique » mais ça a aussi éloigné le public du cinéma français. Depuis 20 ans, le cinéma français paie le prix fort de cette ambiguïté par rapport aux films de divertissement américains. Il est sous respirateur artificiel et vit en parallèle d’un cinéma américain qui, lui, a besoin de séduire du public pour survivre…

Les quotas auraient probablement obligé le cinéma français à dépendre plus de lui-même et donc faire un peu comme le cinéma coréen, à produire des films variés et attractifs dans des genres qui amène généralement le public en salle (polar, action, catastrophe). En France, seule la comédie a ce pouvoir d’attraction depuis 20 ans et c’est bien dommage.

  • Comment pourrais-tu expliquer que néophytes comme cinéphiles vont, généralement, préférer aller voir, au cinéma, un film américain plutôt qu’un film français ?

Évidemment, la première réponse qui vient en tête concerne les moyens que possède le cinéma américain pour proposer du spectaculaire et de « l’évasion ». Pour beaucoup l’évasion est affaire de voyage, d’époque. Il faut avouer que le cinéma français n’a pas une grande culture de Science fiction et a perdu toute une partie de son cinéma d’aventure notamment d’époque comme les films de capes et d’épées qui ne se font plus. Mais évidement, le rapport a la culture américaine vient de plus loin. Il vient de l’après-guerre et du flux constant qu’on a reçu de cette culture, qui colporte, chez nous, une image « cool » et cela depuis plus de 60 ans. Pour moi, c’est surtout ça, on a un scepticisme concernant le fait de se plonger dans une proposition d’évasion « à la française » car, je pense, on arrive moins à y croire . Tout est trop proche de nous et la distance ne fonctionne pas. Le cinéma américain est de base une évasion, même quand il filme un lycée. Donc, on accepte plus facilement d’aller plus loin, vu qu’on est déjà parti.

De plus, les américains ont cette capacité à produire du cinéma très naïf, un cinéma qu’on pourrait qualifier de « manichéen » ou de « cliché » avec ces héros sans failles qui gagnent toujours. En France on a un rapport plus honteux avec ça. On se sentirait con d’écrire des trucs comme ça… Alors qu’en fait, ça parle à tout le monde et surtout ça fait du bien. On en revient au fait de faire des films pour qu’ils soient vus par un plus grand nombre comme au US et a l’inverse en France où on va faire des films parce qu’un réalisateur a envie de raconter cette histoire. Ça crée des films plus personnels et atypiques mais forcément qui n’auront pas cet effet de phénomène de masse, surtout si en plus il n’y a pas les moyens qui suivent. Alors que par exemple en Espagne ou en Corée, les gros succès sont les films locaux et souvent des propositions de genre et même à grand spectacle. Ils le font pour plaire au public, sans pour autant le dénigrer…

Sinon, ça donne la TV française qui fait des programme pour « la ménagère » qu’elle méprise.

  • Le cinéma américain, élevé au rang de sauveur de l’industrie globale, est-il capable de pallier seul aux dégâts causés par le covid19 ?

J’aimerai vraiment que cette crise créer un effondrement du système. Je pense que le cinéma hollywoodien n’a plus grand chose à offrir dans son fonctionnement actuel et pire, ça phagocyte des générations entières en leurs substituant une identité pour leurs refourguer les marques et les icônes que leurs parents avaient aimés.

Hollywood est arrivé à la fin d’un 3eme cycle de répétitions (exemple parfait avec Star Wars) qui l’empêche de créer de nouvelles icônes et qui ne fait qu’amoindrir l’aura de celles qu’ils avaient créer avant, les réduisant à de simples machines à cash. Tout les univers qui ont été créés à partir des années 80 se sont fait écorchés cette dernière décennie. Ils ont perdus de leurs sens. Donc si cette crise permet à ça de s’arrêter et à forcer Hollywood à se réinventer totalement pour renaître, je suis pour. J’aimerai aussi voir l’émergence du cinéma de divertissement coréen en France. Ils ont des films totalement jouissifs et vraiment géniaux à nous montrer… Et cette crise, qui va potentiellement laisser la place à un autre cinéma en France, poussera peut-être le public vers cette proposition-là, enfin, s’il a la chance d’être diffusé. Il faut rappeler que les 2 plus gros succès coréens de l’année dernière n’ont jamais été diffusés en France sauf au Festival du film coréen. La route est longue.

Malheureusement je pense que le vrai gagnant de tout cela seront les plates-formes de SVOD. Netflix et Amazon vont absorber l’audience et combler ce besoin de cinéma et, notamment, ce besoin de cinéma américain à grand spectacle. Les gens ont pris l’habitude de rester chez eux et de quand même découvrir des nouveautés qui font parler… J’ai bien peur que la sortie cinéma ne soit plus vraiment dans les habitudes de beaucoup de monde après cette crise.

  • La récente, mais provisoire, fermeture du Grand Rex, un aveu de faiblesse ?

Forcément c’est un signal fort… Mais je pense que c’est à relativiser. Nous sommes en été, au mois d’août, à Paris qui souvent est un peu déserté durant cette période. Les gens ont été confinés durant 2 mois, je comprends qu’aller s’enfermer au cinéma ne soit pas une priorité. En plus, il n’y a pas de nouveautés « phares » qui poussent vraiment une grande partie des gens à y retourner. Donc il reste un public de niche, qui est allé aux rétrospectives que le Grand Rex a proposé depuis la réouverture. Actuellement, on est obligé de proposer des « vieux » films, de moins en moins populaires et donc ça combiné à l’été, explique cette fermeture. Mais je pense que dès la rentrée, ça ira beaucoup mieux.

  • Quelle est ton analyse concernant cette manie qu’ont les réalisateurs français, aussi bien d’aujourd’hui que d’hier, de vouloir absolument exporter leur art, de quitter la machine française pour tenter l’expérience hollywoodienne ?

Les réalisateurs français qui sont partis aux USA sont majoritairement ceux qui font du cinéma de genre. On a eu une vague de réalisateurs qui, dans les années 2000, sont partis après avoir réalisé un petit film de genre (souvent de l’horreur ou du fantastique) en France. Je pense à Xavier Gens, Moreau et Palud, Alexandre Aja ou encore Eric Valette. Ils ont eu l’opportunité de réaliser des films dans un domaine qui leur correspond et avec des moyens, là où en France c’était totalement bouché… A part Alexandre Aja, ça c’est pas vraiment bien passé pour les autres car le système n’est pas le même.

Le métier de réalisateur est très différent selon le pays. On a eu l’école Besson qui a elle aussi permis l’émergence d’un autre mouvement avec des mecs comme Letterier et Meggaton qui faisaient déjà du cinéma quasi-hollywoodien en France, pour Europacorp. Le changement n’a pas dû être si radical.

Après Hollywood ça reste la machine à rêve, l’industrie qui a fait les films qui font rêver la majorité du public et donc les cinéastes. Aller à Hollywood reste un rêve de cinéaste, je pense. Et surtout on se dit qu’on a les moyens de réaliser vraiment nos rêves. Le cinéma Français, même s’il bouge beaucoup depuis quelques temps, a manqué d’ambition et surtout de « genre » dans les année 2000. Ce qui a provoqué l’envie de beaucoup de s’exporter pour arriver à leurs fins.. Mais finalement peu y arrivent. En tout cas d’un point de vue personnel, je suis en admiration et c’est presque un plan de carrière, devant, justement, la carrière du suédois David F Sandberg qui a réussi à devenir un réalisateur hollywoodien grâce a un petit court métrage d’horreur tourné avec sa femme, dans son appartement en Suède, et qui 6 ans plus tard, se retrouve à réaliser Shazam pour 100 millions de dollars.

Quand l’industrie du rêve réalise le rêve américain.

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1 Comment

  • Stephane Michel
    On 21 août 2020 18 h 25 min 0Likes

    Excellente interview! Zoltan est tout autant aussi intéressant à lire qu’à écouter.

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