Dix ans après la sortie de son documentaire Stories We Tell, Sarah Polley revient derrière la caméra pour adapter le livre Women Talking de Miriam Teows sorti en 2018. L’histoire s’inspire de faits survenus dans les années 2000 au sein de la communauté mennonite en Bolivie. D’innombrables filles et femmes sont droguées et agressées sexuellement durant leur sommeil. Au sein de la communauté, ces agressions sont d’abord attribuées à des démons, puis après avoir été surpris en train de commettre ces viols, huit hommes sont arrêtés et emprisonnés. Le récit raconte l’après, quelle décision les femmes de la communauté doivent-elles prendre ? Doivent-elles pardonner, rester et se battre ou partir ?

Une unité féminine indivisible

Le film ne nous donne pas de repères spatio-temporels, en tout cas pas tout de suite, ce qui permet de raconter des événements précis mais de manière à ce qu’ils puissent être mis en perspective de façon universelle. Le seul cadre qui nous est donné est cette communauté isolée et recluse de toute modernité dirigée par les hommes de manière très autoritaire. Les femmes n’ont aucun droit, elles n’ont pas accès à l’éducation et ne peuvent pas s’exprimer, la seule chose à laquelle elles peuvent se rattacher est leur foi. Elles sont oppressées et on le ressent sans que le film ait besoin de forcer pour nous le montrer. Une simple introduction narrée par la douce voix off de Kate Hallet en contraste avec la dureté de ce qu’elle évoque.

Quand on ouvrait les yeux, avec des blessures partout, les anciens disaient que c’était l’œuvre de fantômes ou de Satan, ou qu’on mentait pour attirer l’attention, ou que c’était l’imagination sauvage des femmes. Ça a duré des années, pour nous toutes.

Le “on” utilisé lors de cette introduction accentue bien cette idée que ces agressions sont universelles. Elles sont toutes victimes qu’importe qui elles sont ou ce qu’elles font. Ce point appuie le fait qu’aucune n’est responsable de ce qui leur arrive (même si c’est un point que l’on ne devrait pas avoir à appuyer…). Malgré leurs avis et points de vue qui pourront différer tout au long du métrage, elles ne forment qu’une seule et même entité indivisible qui essaye de lutter contre cette oppression qu’elles subissent.

Women Talking 1

Un huis clos féminin

Women Talking n’est autre qu’un huis clos d’1h44, pendant lequel huit femmes vont débattre de leur situation et vont essayer de trouver une solution pour en sortir. Le récit laisse tous les points de vue être abordés et défendus en mettant en place des personnages féminins divers qui ont chacunes leur histoire et leur ressenti face à leur condition mais qui restent avant tout des femmes. Le film met en scène un casting de haut vol avec en tête une Rooney Mara délicate et touchante, une Claire Foy déchaînée et une Jessie Buckley virulente (et une Frances McDormand plus que discrète mais que l’on prend avec plaisir).

Un point très important dans le métrage est que les hommes ne sont pas montrés. On n’aperçoit pas leur visage, on n’entend pas leur voix, on ne voit pas leurs actes, et pourtant on ressent constamment leur présence et leur poids à travers ce que vivent ces femmes. Le fait de ne pouvoir identifier aucun des agresseurs va encore une fois appuyer cette idée d’universalité et aider l’identification. Sarah Polley décide que les hommes n’ont pas leur place au sein de ce récit, elle va donner entièrement la parole à des femmes qui n’ont jamais eu leur mot à dire et on va enfin les écouter…

Le film n’essaie pas de démontrer une quelconque vérité, de défendre un point de vue plus qu’un autre, il montre au contraire que chacun peut vivre des actes d’une telle violence de manières différentes, selon leur âge, leur caractère, leur ressenti. Le but principal du film est de laisser l’opportunité à des femmes de débattre et d’exprimer ce qu’elles pensent et ressentent face à ces violences, tout en nous poussant nous, spectateurs, à avoir un visionnage “actif” et à réfléchir de notre côté à notre propre vision du sujet. Le récit ne peut que résonner en nous et nous faire réfléchir à notre propre quotidien et au monde qui nous entoure. Que pouvons nous faire ? Quelles est notre responsabilité ? Et qu’aurions nous fait à leur place ?

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