À l’occasion de la sortie du très beau poster du film Joker : Folie à deux, annoncé pour le 2 octobre 2024, revenons sur la carrière du cinéaste ayant réussi à saisir toute la complexité de ce personnage insaisissable, à la fois attrayant et effrayant. 

Son nom ne vous est peut-être pas encore familier mais cela ne saurait tarder. Il suffit de prononcer les cinq lettres du titre de son dernier film pour éclairer les visages et percevoir une bribe de la folie de son personnage éponyme, le Joker. Créant la surprise à tous les niveaux, le réalisateur Todd Phillips continue d’œuvrer dans l’ombre, coincé entre la reconnaissance et la gloire. Il faut dire qu’Hollywood est un endroit dangereux, où l’on y rentre aussi rapidement que l’on en ressort. 

Aujourd’hui, il n’a plus le droit à l’erreur, conscient que les attentes sont désormais à leur paroxysme. Mais Todd Phillips n’a jamais eu peur, et ce depuis le début de sa carrière. A la fin des années 90, il quitte l’université de New-York, où il suivait des cours de cinéma, quelques mois avant l’obtention de son diplôme. Il réalise alors deux documentaires qui le feront émerger : un premier film en 1994 sur le célèbre punk GG Allin, suivi de Frat House en 1998, une évocation de la vie étudiante qui lui vaudra le Grand Prix du jury au Festival de Sundance, rien que ça !

En 2005, lors du World Poker Tour, une série de tournois de poker, Todd Phillips atteint la table finale de l’étape de Los Angeles. Il finit 5ème et gagne 240 000 dollars. Une question nous traverse l’esprit : Et si Todd Phillips avait plusieurs tours d’avance sur nous ?

© The Montecito Picture Company

Un début dans la comédie américaine

Fasciné par l’univers inconfortable des jeunes adultes, Todd Phillips traitera de cette thématique durant toute la première partie de sa carrière avec un même genre de film grand public : la comédie américaine. Surfant sur le succès de American Pie, il sort Road Trip, racontant l’histoire d’une bande de potes essayant à tout prix d’intercepter un colis destiné à la petite copine du protagoniste, contenant par inadvertance la sextape qu’il a enregistrée avec l’une de ses amantes. De la comédie bien grasse et trash donc, bien loin de ce que le spectateur a pu admirer dans Joker. Mais patience, tout vient à point à qui sait attendre…

S’enchaineront Retour à la Fac, Starsky et Hutch (premier bide pour cette tentative d’adaptation  cinématographique d’une série télévisée culte) et enfin L’école des dragueurs, à ce jour le plus grand échec du réalisateur (déception à la fois public que critique aux Etats-Unis, le film n’obtiendra qu’une sortie technique en France, soit dans un nombre de salles très limité). En plus d’être enfermé dans une catégorie à Hollywood, l’avenir cinématographique de Todd Phillips est incertain. C’est à ce moment-là qu’arrive un petit miracle, qui lui laissera sans doute la plus grosse gueule de bois.  

Visionnage des folies de la veille © Warner Bros

Le succès de very bad trip

En 2009 survient le grand succès commercial de sa carrière, un long-métrage qu’il n’a pas écrit, pour la première fois, mais seulement réalisé. Chaque spectateur se souvient de ses premières réactions devant le réveil difficile de cette équipe attachante de personnages. Diablement efficace tant au niveau du rythme, de son politiquement incorrect que de son incroyable casting qui révèlera Bradley Cooper au grand public, Very Bad Trip est désormais reconnu et grandement apprécié dans la sphère cinéphile. L’intelligence du film est d’avoir laissé la place au hors-champ, à l’imaginaire tout en amenant le récit à Las Vegas, lieu mythique où rien ne semble impossible. Todd Phillips crée le film à partir d’un fantasme, touchant à la fois un sentiment universel sans tomber dans le too much , ce qu’il fera malheureusement dans les suites, d’une toute autre qualité même si elles restent divertissantes. 

Suite à ce succès planétaire, Todd Phillips écrira Date limite, long-métrage reposant sur les mêmes éléments comiques que Very Bad Trip et allant jusqu’à reprendre l’un des acteurs principaux. Suivront le deuxième et troisième opus de Very Bad Trip, qui remporteront tout de même de belles recettes. 

C’est à cette période que Todd Phillips fera ses premiers pas en tant que producteur, vraie bonne idée qui lui apportera expérience et liberté créative. Il produira le désormais culte Projet X ainsi que A Star is Born, réalisé par son collègue et ami Bradley Cooper, révélation également en tant que réalisateur. En un peu plus d’une décennie, Todd Phillips est de retour sur le devant de la scène, les étoiles sont de nouveau alignées rien que pour lui…Il ne manque plus que la véritable vedette entre en scène. 

La consécration Joker

L’étude de cas de Todd Phillips prouve à lui seul qu’il faut éviter à tout prix d’entrer dans les « cases » d’Hollywood et qu’il est en réalité possible d’en sortir. Le vrai bon choix du cinéaste a été de s’auto-produire afin de bénéficier d’une liberté créative quasi-totale. Son thriller War Dogs amorce le tournant de sa carrière ainsi que son envie d’entrer dans un cinéma que l’on peut qualifier de plus psychologique. 

Joker, c’est d’abord une surprise. Un Lion d’or à la Mostra de Venise qui fera tourner toutes les têtes vers cet ovni cinématographique. Une standing ovation de dix minutes qui fait saliver les fans de comics mais aussi les cinéphiles du monde entier. Et enfin, une consécration avec la nomination à l’Oscar du meilleur réalisateur, suivi de la victoire pour son grandiose acteur principal, Joaquin Phoenix, qui partira avec la statuette. 

Le coup de maître aura été de s’emparer, non sans risques, d’un personnage aussi adulé de la pop culture, un vilain, un marginal ; tout en le détachant de Batman, son némésis auquel il est normalement associé. Mieux encore, le spectateur sera coincé dans sa tête, adoptera son point de vue pendant l’entièreté du film, l’obligeant à ressentir l’injustice que subit Arthur Fleck. Le récit livre alors subtilement une critique acerbe de la société contemporaine. 

Un Joker pas si souriant © Warner Bros

Un joker miracle ? Qu'en sera-t-il de sa suite ?

Todd Phillips impressionne autant dans sa narration que dans sa mise en scène. Son cadre devient plus réfléchi, non plus seulement à but comique mais accompagnant véritablement l’évolution psychologique du personnage. Le cinéaste témoigne d’une vraie réflexion sur ce qui est montré et sur ce qui ne doit pas l’être. Cet objet cinématographique intrigue, de par son rythme lent bien sûr, qui marque une rupture avec la tendance actuelle des films grand public, mais aussi dans le flou qu’assume le cinéaste, ne livrant pas toutes les réponses à son spectateur. Todd Phillips délaisse les paroles pour se consacrer au rapport image-son, comme le prouve la relation entre la composition musicale et le dégradation mentale du Joker.

Donnant à voir une représentation sortant de l’habitude hollywoodienne, Joker inspire et bouscule le monde des adaptations de comics. Mais au-delà de ça, il interroge sur les nouvelles envies et exigences du public, qu’il soit américain ou international. Ce tour de force permet à Todd Phillips la reconnaissance mais nous sommes en droit de nous poser la question : est-ce un coup de chance inespéré ou le premier pas d’une grande carrière cinématographique ? 

Réponse le 2 octobre 2024 avec la sortie de Joker : Folie à Deux, dont les rumeurs annoncent une nouvelle prise de risque. Un film musical se passant presque entièrement dans l’asile d’Arkham et mettant en scène Lady Gaga dans le rôle d’Harley Quinn. 

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