Avant d’être un réalisateur reconnu, René Laloux a eu beaucoup de vies : moniteur, sculpteur, marionnettiste, peintre… Et surtout, fan de romans de science fiction qui deviendront sa principale source d’inspiration. Ses films sont alors tournés vers la philosophie, des symboliques et des concepts qui échappent à l’Homme ou le surpassent. Son but est de faire réfléchir au travers de dessins parfois enfantins et d’un univers coloré et esthétiquement attrayant. Ainsi, René Laloux offre une filmographie haute en couleurs mais également en réflexion.

Décédé le 14 mars 2004, alors âgé de 74 ans, René Laloux laissait derrière lui quelques petits chefs-d’oeuvres d’animation qu’il est toujours bon de (re)découvrir.

Cette rétrospective ne concerne que les films dont René Laloux a été le réalisateur. Il a en effet, été scénariste pour d’autres oeuvres.

Ce sont d’abord des hommes qui se sentent plus seuls, plus abandonnés que les autres.

Les Dents du Singe
Les Dents du Singe, 1960
René Laloux
Les dents du singe, 1960

René Laloux travaillait dans un établissement psychiatrique : la clinique de Cour-Cheverny avant de se consacrer au cinéma. Ce film d’animation est en réalité une activité artistique pour les patients. Ainsi, le scénario, les décors et les personnages ont été écrits et conçus par l’ensemble des malades. Les Dents du Singe raconte la création d’un film, dont l’histoire est celle d’un dentiste qui arrache les dents de ses patients les plus pauvres pour les revendre aux plus riches. Un singe un peu spécial décide un jour de remédier à cette supercherie. Avant tout un moyen d’expression pour les patients, ce court-métrage coloré et rythmé et aussi une manière pour René Laloux de présenter ces malades, leur univers pour ainsi mieux les connaitre et les comprendre. On note cependant l’aspect brouillon et un fil conducteur légèrement décousu dont les dessins hasardeux complètent cette sensation d’amateurisme.

C’est donc un mélange de prises de vue réelles et d’animation qui constitue Les Dents du Singe, offrant un nouveau regard sur les cliniques psychiatriques mais portant aussi à la réflexion sur les classes sociales et leurs écarts.

L’Homme. Principale ressource : la mort.

Les Temps Morts
Les Temps Morts, 1961
René Laloux
Les temps morts, 1964

Premier court-métrage professionnel de René Laloux (avec les dessins de Roland Topor), Les Temps Morts porte déjà les convictions et la ligne directrice qui animeront la carrière de ce réalisateur. Ce film en noir et blanc est un mélange de prises de vue réelles et d’animation dont le but est d’interroger mais aussi de dénoncer la violence, la guerre et surtout leur absurdité. Au travers de ces images, on découvre une critique assumée du côté obscure de l’humanité : la mort et son besoin de la provoquer et ce dès notre plus jeune âge. C’est alors grâce à différents portraits, grâce à différentes histoires que René Laloux nous conte sa vision pessimiste de l’Homme. Les choix esthétiques sont judicieux et appuient la lourdeur et la gravité du propos, parfaitement accompagnés par les mots acerbes d’une voix off au ton grave et captivant.

Avec Les Temps Morts, René Laloux entre dans la cour des cinéastes philosophes, qui aiment autant qu’ils ne détestent l’espèce humaine.

Les Escargots, 1966
René Laloux
Les escargots, 1966

Ce film, aux dessins particuliers et sans aucun dialogue, est aussi absurde que captivant. Un jardinier tente de faire pousser ses salades, en vain. Ce n’est que son désespoir et ses larmes qui vont alors rendre ses plantations gigantesques et ainsi attirer des escargots géants. Véritables destructeurs du nouveau monde établi par le jardinier, ces animaux vont aller jusqu’à détruire l’entièreté de la ville. Mais où veut en venir ce film ? Très bonne question. Aussi drôle qu’effrayant, Les Escargots laisse planer le doute sur ses intentions : un message de résilience et d’espoir ou au contraire, le signe d’un monde qui s’écroule face à ce qu’il a lui-même créé ? À vous d’en juger. Ce court-métrage connait également un travail sonore important et sublime qui accompagne les dessins singuliers de Roland Topor. Les musiques sont entrainantes, rythmées et racontent à elles seules les émotions et l’ambiance derrière les scènes, devenant ainsi un acteur majeur de ce film d’animation muet.

Les Escargots arrive lentement à nous convaincre dans son scénario malgré un effort sonore et un visuel intéressant.

Il me sauva la vie et du même coup associa mon sort au sien.

Terr
La Planète Sauvage, 1973
René Laloux
La planète sauvage, 1973

Il s’agit du premier long métrage d’animation de René Laloux, avec les dessins de son complice Roland Topor. Avec cette adaptation assez libre du roman de science fiction Oms en série de Stefan Wul, le réalisateur reprend le squelette de l’histoire pour le manipuler à sa guise et raconter sa vision du monde « après les Hommes ». Sur une planète nommée Ygam, vivent des créatures humanoïdes bleues aux yeux rouges dont la connaissance et l’intelligence ont atteint des sommets : ce sont les Draags dont la méditation est leur moteur. Et les enfants draags raffolent de petites créatures : les oms autrement dit les humains, réduits à l’état d’animal de compagnie suite à la destruction de leur planète. Nous suivons alors Terr, « animal-jouet » de Tiwa et son parcours vers l’émancipation, dont la voix off accompagne tout le film.

Ce film aux dessins subtiles, pastel et d’une grande précision interroge sur la place de l’Homme sur la Terre et de la manière dont il impacte son environnement. Il n’est pas difficile de faire le rapprochement entre ce long métrage et l’exploitation, l’esclavage. Un sujet complexe que René Laloux exploite à son maximum, allant de la maltraitance à l’extermination pure et dure. Au travers du combat de Terr, le réalisateur français pousse le spectateur à réfléchir à sa propre condition, à son mode de vie. Véhicule d’un message fort camouflé par des dessins enfantins, ce film offre une leçon d’humanité, de tolérance et de respect qu’il est nécessaire de transmettre.

Avec La Planète Sauvage, René Laloux signe son premier long métrage profond et beau que ce soit dans les visuels, dans le scénario ou dans la musique : quand la poésie et le militantisme s’épousent.

Fermez les yeux Humains et ouvrez votre esprit.

Jad
Les Maitres du Temps, 1982
René Laloux
Les maîtres du temps, 1982

René Laloux s’entoure cette fois-ci de Moebius, célèbre dessinateur de BDs, pour mettre en image une adaptation du roman L’Orphelin de Perdide de Stefan Wul. C’est en amoureux de la science fiction que ce réalisateur laisse son art s’installer pour nous offrir un long-métrage attendrissant et intéressant. Suite à une attaque de frelons, un père et son fils (Piel) partent dans une course poursuite conduisant à un accident. Le père décède après avoir envoyé un message vocal à un ami pour venir secourir son fils. S’entreprend alors une course contre la montre pour sauver le petit Piel, seul. C’était sans conter sur les maîtres du Temps qui vont donner au spectateur une fin épique, inattendue et parfaitement exécutée.

Comme à son accoutumée, René Laloux prend un malin plaisir à philosopher autour de concepts plus grand que l’Homme, presque insondables et inimaginables. Ce film repose sur notre perception – et celle des personnages – du temps et de l’espace : en quelques sortes, cela remet en question notre idée même de l’univers et de son fonctionnement. Jouant sur ce que nous savons et pensons savoir, le réalisateur exploite la notion de temporalité pour donner à son film un final émouvant proche du génie. Certains passages traduisent une notion plus terre à terre : la dictature et la perte d’identité. Ce sont des sujets importants pour René Laloux, qui reviendront dans un prochain long métrage. Cependant, c’est toujours avec un grand amour pour l’Homme et un humanisme certain que ce réalisateur transporte le spectateur dans son univers de science fiction, notamment grâce à des personnages attachants et à cette fin douce amère.

Avec ce film, les maîtres du Temps ne sont pas les seuls à maîtriser la timeline : René Laloux en est un expert. Ce long métrage est aussi beau à regarder qu’à écouter.

Heureusement, en fin de compte, l’ordre et le bâillon ne gagnent pas toujours.

La Prisonnière
La Prisonnière, 1985
René Laloux
LA PRISONNIÈRE, 1985

Ce court métrage n’a pas beaucoup de valeur dans le coeur de René Laloux qui juge « l’animation et la mise en scène mauvaises », ne rendant pas justice au dessinateur Philippe Caza. Il est certain que la réalisation est un peu brouillonne à comparer de ses oeuvres précédentes mais La Prisonnière réussit tout de même à nous transporter dans l’univers poétique et singulier de René Laloux.

Deux jeunes orphelins fuyant une terre hostile se retrouvent dans un temple où règnent les gardiens du silence, ainsi nous raconte une voix off légèrement désagréable – qui disparait rapidement -. La suite sera muette, laissant place à la musique et à quelques bruits de vagues lorsque les enfants échappent à la surveillance de ces gardiens. Le titre La Prisonnière fait référence à une femme, enfermée en haut d’une tour de la cité mais c’est également un titre métaphorique pour la prison qui s’est construite autour de ces enfants qui, en voulant échapper à une destiné tragique, se sont retrouvés enfermés et murés dans le silence.

Avec cette oeuvre, René Laloux exprime la complexité d’un monde où la violence et le chaos ne sont pas bons mais où le silence et l’autorité totale ne le sont pas non plus.

Ils me vénèrent et me croient Dieu, alors que je ne suis…

Le Métamorphe
Gandahar, 1987
René Laloux
GANDAHAR, 1987

D’abord connu sous le pilote de Les Hommes-machines en 1977, ce n’est que dix ans plus tard que René Laloux réalise cette adaptation du roman Les Hommes-machines contre Gandahar de Jean-Pierre Andrevon, sous le nom de Gandahar, les années lumières.

Dans le royaume de Gandahar, dirigé par un conseil féminin, règne une vie paisible en harmonie avec la nature, l’environnement – grâce, notamment à quelques modifications génétiques -. Aux frontières de ce royaume, reclus, vivent les Transformés : des victimes inoffensives de ces modifications génétiques. Un jour, un homme de métal noir vient semer la terreur aux portes du royaume. Ainsi, Sylvain Lanvère est envoyé pour découvrir ce mystère. C’est alors qu’il découvre une organisation quasiment militaire, aux mains d’un « super-cerveau » – résultat encore une fois, des expériences génétiques gadahariennes -, qui capture les gandahariens. Un combat assez spécial pour éviter une extermination s’opère alors entre présent et futur qui sont des notions abstraites et malléables dans ce monde.

Ce film est une dystopie connaissant une fin utopique. Le thème de Gandahar n’est pas sans rappeler celui brièvement mis en scène dans Les Maîtres du Temps : la dictature. Un sujet complexe que René Laloux exploite ouvertement mais toujours en gardant sa pointe d’humanisme et d’espoir. Certaines références, notamment visuelles, évoquent le nazisme, tel que le signe du bras, que reproduisent les hommes de métal. Avec ce film, le parallèle entre notre vision d’un dictateur assoiffé de pouvoir et ce « super-cerveau » assoiffé de vies pour survivre, se fait presque automatiquement tout en gardant cette part de mystère et de science fiction, propre au style de René Laloux. Comme son tout premier long métrage La Planète Sauvage, Gandahar procure ce questionnement sur l’Homme et son traitement de l’autre dans la société et de son environnement, sans offrir de vision pessimiste. La finalité réside souvent dans l’acceptation de son prochain, dans la tolérance et le respect : des combats qui sont encore les nôtres aujourd’hui.

René Laloux clôture sa liste de longs métrages avec Gandahar, mélange de ses inquiétudes envers l’Humain et de son amour pour celui-ci. Ce royaume bleuté est une belle métaphore de notre monde et de ses travers.

Wang-Fô parlait comme si le silence était un mur et les mots des formes destinées à le couvrir.

Le disciple
Comment Wang-Fô fut sauvé, 1988
René Laloux
Comment WanG-fô fuT sauvé, 1987

Ce court métrage, bien qu’il connaisse plusieurs points négatifs, reste sans doute le plus philosophique et symbolique des films de René Laloux. Dans cette adaptation de la nouvelle éponyme de Marguerite Yourcenar, on découvre, grâce à une voix off insupportable – proche de l’ASMR mal articulée – l’histoire d’un jeune homme et de son mentor peintre Wang-Fô, alors qu’ils sont emmenés prisonniers chez l’empereur. Le sujet de cet enfermement, et bientôt d’une lourde peine, est à la fois poétique et cruelle, notamment de part son absurdité. L’empereur ayant grandi éloigné de tout, n’avait comme seul représentation de son royaume les sublimes peintures de Wang-Fô. À la découverte du véritable monde, l’empereur fût déçu.

Comment Wang-Fô fut sauvé rend hommage à la peinture, à cet art visuel d’exception et notamment à son pouvoir d’évasion, d’imagination et d’influence. Au travers de l’histoire de l’empereur mais aussi du jeune disciple, qui a appris à visualiser son univers avec un regard plus ouvert, René Laloux représente les différentes facettes de la notoriété de la peinture. Il offre au spectateur une double vision sur ce que cet art peut procurer chez les gens, à la fois constructive pour certains et néfaste pour d’autres – qui ne le comprennent pas ou le comprennent de travers -. La peinture est un art puissant et libérateur qu’il est important d’apprendre à connaitre et à juger. Les dessins de Philippe Caza nous donne des plans d’une Chine médiévale poétique et à la fois terriblement réaliste et juste. Les voix, seuls conteurs de l’histoire, laissent à désirer de part leur manque de clarté.

Avec cette oeuvre d’animation douce et cruelle, René Laloux propose sa vision de la peinture, grâce à un double arc narratif poétique et lourd de sens : la peinture est un art puissant.


Si on ne devait retenir qu’une chose de ce grand réalisateur qu’est René Laloux, c’est son amour pour l’Homme… et pour la science fiction colorée.

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