‘Plus que jamais’ est un film qui est sorti dans les salles dans un contexte qui se voit malgré lui être foncièrement particulier. C’est l’un des tous derniers films que Gaspard Ulliel a tourné de sa vie, et le tout dernier long-métrage où il est présent au casting à sortir dans les salles. L’acteur et mannequin français avait brutalement perdu la vie au début de l’année 2022, le 19 janvier, des suites d’un tragique accident de ski. Les hommages s’étaient alors multipliés pour l’homme qui avait exposé à plusieurs reprises ses talents d’acteurs, en jouant dans des films comme ‘Juste la fin du monde’ de Xavier Dolan, ‘Saint Laurent’ de Bertrand Bonello, ‘Un Long Dimanche de Fiançailles’ de Jean-Pierre Jeunet ou encore ‘La Princesse de Montpensier’ de Bertrand Tavernier. Pour le grand public, il était le visage bien connu et l’égérie de longue date de la marque Chanel et avait tourné plusieurs pubs pour l’un de leurs parfums. Il y a un peu plus d’une semaine, l’acteur aurait fêté ses 38 ans.

Gaspard Ulliel, Vicky Krieps

C’est alors non sans une pesante émotion que le film avait fait sa première mondiale au 75ème festival de Cannes en mai 2022, dans la section ‘Un Certain Regard’. Sans même le savoir, Gaspard Ulliel tirait définitivement sa révérence au cinéma ainsi qu’à son public. Un adieu sans conteste déchirant, encore plus au vu du sujet de son ultime long-métrage, très lié à la mort tout en exposant au spectateur la beauté de la vie et du monde qui nous entoure. ‘Plus que jamais’ arrive-t-il donc à bien exposer et exécuter son sujet ?

DES PENSÉES INTÉRIEURES ET DES SENTIMENTS QUI ENVAHISSENT LA FORME DU FILM

La force du film réside sans aucun doute dans le jeu d’acteur de Vicky Krieps, qui interprète le personnage principal, Hélène. Elle vit à Bordeaux avec son mari Matthieu (Gaspard Ulliel) depuis des années, avant d’être diagnostiquée d’une maladie grave. Comme l’apprend le spectateur au fil du long-métrage, il s’agit de la FPI, ou fibrose pulmonaire idiopathique, maladie qui fait se rigidifier les poumons et donc empêcher leur bon fonctionnement. On suit alors cette femme souffrante, du point de vue physique comme mental, ne sachant réellement comment vivre avec cette maladie. Hélène est plongée dans une profonde déprime, qui l’isole des autres tout autant d’elle-même. Cette souffrance et cet isolement se font ressentir jusque dans la forme du film. Au début du film, mais aussi à plusieurs reprises lors de la première moitié de celui-ci, on nous montre des plans où apparaissent une femme ayant l’air abattue, parfois tête baissée, qui se succèdent avec d’autres plans qui semblent provenir du point de vue d’une personne se trouvant juste sous la surface de l’eau. Le message est alors clair : cette femme malade a clairement la tête sous l’eau et ne parvient pas à en sortir. Hélène ne réussit pas à accepter sa maladie, à vivre avec, et en éprouve de la douleur.  En plus d’être affligée et coincée, elle est également affreusement seule. Son propre mari ne parvient pas à la comprendre : Mathieu ne comprend pas son désir de ne pas vouloir se battre, et comprend encore moins sa notable et étonnante passivité quand on lui apprend qu’elle va peut-être bénéficier d’une greffe et guérir. Au début du film, une soirée entre amis à laquelle assiste le jeune couple tourne au fiasco lorsque Hélène s’enfuit brutalement de l’appartement où elle a lieu. Là encore, les plans et la manière dont ils sont composés mettent l’accent sur l’isolement du personnage principal. La caméra est parfois resserrée sur elle, sur son visage, sur lequel on peut lire sa tristesse. Aussi, la femme apparaît beaucoup dans l’ombre lorsqu’elle se trouve à la cuisine par elle-même, alors que ses amis sont à son opposé, vers la lumière. Ils échangent quelques phrases banales pour tenter de s’intéresser à elle et l’intégrer dans leur discussion, mais sans succès. Vicky Krieps interprète alors parfaitement cette jeune femme seule, triste et affaiblie qui semble étrangère à son entourage mais aussi à elle-même et son propre corps qu’elle ne parvient pas à dompter depuis sa maladie. C’est un fait qui est très notable, notamment pendant des scènes intimes avec son mari où elle finit par apparaître en très mauvaise forme. 

 

Cependant, tout change à partir de la seconde moitié du film, qui commence peu après la première heure. Suite à sa découverte d’un blog tenu par un homme norvégien lui aussi atteint d’une maladie grave qui se surnomme lui-même ‘Mister’, Hélène ressent le besoin d’aller à sa rencontre dans son pays, et ainsi, d’effectuer une sorte de retraite spirituelle pour penser à son état et sa vie personnelle. Non sans la désapprobation de son mari Matthieu, elle se lance dans un long voyage avant d’arriver à sa destination. Auparavant prise au piège d’un petit appartement bordelais, Hélène reprend goût à la vie au grand air et dans de magnifiques paysages norvégiens qui sont montrés par le biais de beaux plans larges. Au départ assez bousculée par ce grand changement (elle dit elle-même ne pas réussir à trouver le sommeil à cause de la lumière, chose qui lui attire les moqueries de son hôte discret), l’audience a l’impression de découvrir une tout autre personne à l’écran. La jeune femme semble avoir repris goût à l’existence et baigne dans la lumière, ne fait qu’un avec la nature sur les plans généraux qui la montre parcourir la nature. Instant très symbolique : la malade parvient plusieurs fois à plonger dans l’eau, d’y rester un bref instant à la surface avant de revenir sur la terre ferme. C’en est fini des plans montrant une femme perdue et qui a la tête sous l’eau. Ici, elle est bel et bien revenue à la surface, semble aller mieux, et plus que tout dompter son corps. 

 

C’est pourquoi la décision prise par le personnage principal dans la dernière partie de ‘Plus que jamais’ paraît choquante voire paradoxale pour le spectateur. Ce dernier prend alors pleinement conscience que le film qu’il est en train de voir est à propos de la fin de vie, avec un personnage qui décide de faire ses adieux et accepte sa mort prochaine. Hélène ne souhaite pas être sauvée, guérie ou comprise. Avec la reprise de contrôle de son corps et la reprise de son goût à la vie, elle comprend et décide qu’elle veut pleinement en profiter avant que tout ne soit fini et ainsi achever son existence sur une bonne note. Pas question de passer par l’hôpital pour une greffe qui risque de ne pas fonctionner ou de l’affaiblir pour un bon bout de temps. La femme accepte son destin et même plus, le prend en main et décide de profiter de sa fin de vie. Elle est heureuse, n’est plus étrangère à elle-même et se réconcilie et se trouve sur la même longueur d’onde que son mari le temps d’un adieu. Un moment d’intimité entre le jeune couple pour leur dernier au revoir est d’ailleurs immensément émouvant et déchirant, et est en total opposition avec les autres scènes du même genre survenues dans le film où Hélène n’était plus que l’ombre d’elle-même.

UN SCÉNARIO, UNE EXÉCUTION ET DES PERSONNALITÉS TROP ABSTRAITES ET SIMPLISTES ?

Malgré tout, tout n’est pas réussi dans ‘Plus que jamais’. Malgré l’excellente alchimie entre les personnages de Vicky Krieps et Gaspard Ulliel, force est de constater qu’à part le personnage principal, Matthieu et les autres protagonistes se révèlent être assez pauvrement écrits. Les amis du jeune couple font quasi office de figurants : on ne connaît pas leur nom, ni qui ils sont, ils n’ont aucun caractère et aucun réel dialogue phare n’intervient lors de la fameuse scène du dîner. Tout cet instant sert uniquement à mettre l’accent sur le délaissement de la jeune femme, et creuser un écart entre valides et ‘mourants’, comme les deux malades -Hélène et Mister- se qualifient. Il en est malheureusement de même au sein du couple principal. Le personnage de Matthieu n’est absolument pas nuancé, et on a droit à une relation avec des opinions totalement manichéennes : Hélène a des opinions complètement inversées à celles de son mari, et inversement, ce qui révèle une écriture des protagonistes assez faible. Une nouvelle fois, la jeune femme est juste mise en opposition avec son mari qui n’est pas d’accord avec elle. Il n’a pas d’autres traits de personnalité et opinions en dehors de sa désapprobation. L’existence du personnage de Mister, elle aussi, peut être remise en cause. Bien qu’il fait office de premier élément déclencheur et qu’il permet à Hélène de se sentir comprise pour la toute première fois, il est plutôt effacé après l’arrivée de la jeune femme en Norvège. Cette dernière aurait pu tout aussi bien vivre son aventure seule sans que rien de notable ne soit changé dans le long-métrage.

 

On peut aussi déplorer une écriture du scénario trop simpliste et académique au niveau de la thématique de la mort et de la fin de vie. On nous sert une énième histoire qui reprend plus ou moins les traditionnelles étapes du deuil, avec un personnage qui passe d’une profonde dépression pour aller jusqu’à l’acceptation. Beaucoup d’éléments, comme les réelles pensées de l’entourage à propos de la maladie de la jeune fille, sa relation avec Matthieu et l’acceptation de la mort en elle-même, sont uniquement effleurés alors qu’ils méritaient d’être sans doute plus traités en profondeur. Le scénario aborde beaucoup de choses sans trop réellement s’attarder dessus pour rester très simpliste sans réelle originalité, ce qui est malheureusement regrettable.

‘Plus que jamais’ est donc une belle ode à la beauté et aux plaisirs de l’existence, malgré le thème central de la maladie et de la fin de vie. Fâcheusement, le tout dernier rôle de Gaspard Ulliel est loin d’être l’un de ses plus mémorables, même s’il reste lui aussi juste dans son jeu d’acteur. Vicky Krieps, quant à elle, est très convaincante dans son rôle de jeune femme qui part explorer de nouveaux horizons en quête de sens dans son parcours de personne malade.

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