Triplé gagnant pour Pinocchio en l’année 2022. Un combo curieux mais pas si gagnant que ça, quand les deux tiers de ces sorties ne sont que dégueulis à moitié ou totalement en images de synthèse. Bravo à Guillermo Del Toro pour avoir justifié à lui seul le phénomène, dans son emploi très malin du conte original, pompé jusqu’à la moelle.

Le mythe de bois

Et oui, vous n’êtes pas sans savoir que le mythique Pinocchio en a bavé, tout étalé sur une fine pellicule, dont seule la superficialité transparaît de sa bobine. Depuis Disney en 1940, pas moins de 24 long-métrages ont repris sa figure ou son histoire encore et encore, du Bouratino de Léonide Netchaev jusqu’au remake insipide de l’année dernière. Il doit bien y avoir quelque chose d’unique à raconter ici, de puissant mais de bien caché, pour qu’autant de monde se prête au jeu.

Les thèmes, très forts, de Pinocchio sont assez connus, mais trop souvent survolés pour être évidents : le deuil d’un père, le créationnisme, la volonté insubmersible d’une jeune âme naïve, la lutte du miroir dressé avec l’enfant disparu, etc. Le récit se focalise sur la reconstruction et la revendication de l’individu aliéné, de sa relève allégorique, de son émancipation d’être non-humain puis sa reconnaissance. Récit initiatique assez magnifique aux tons sombres voire horrifiques, il se prête d’autant plus à l’animation, puisque le degré de lecture se multiplie : d’un être fabriqué de la main de l’homme, Pinocchio devient la création des animateurs qui à leur tour, l’utilisent à des fins de divertissement. Artisanal et manipulable. Un cycle assez ironique en fait.

La meilleure itération de cette histoire est celle toute aussi connue d’Astro Boy (Mighty Atom) créée en 1952 par le génie Osamu Tezuka. Dans ce contexte de science-fiction, le Pinocchio est au cœur des questionnements méta-physiques de la condition humaine et robotique, puisqu’il s’agit ici d’un robot construit à la suite de la mort du fils de son créateur. Soucis du détail en plus, Astro est doté d’armes de destruction massive ainsi que de pouvoirs défiant l’imagination : son père le dote de ces artifices dans le but d’être certain que son fils puisse se défendre et ne jamais mourir. Astro est mis face au choix de qui il veut devenir : celui qui tire, ou celui qui décide de ne pas tirer. Ainsi, de son propre chef, l’intelligence artificielle choisit de défendre les autres et de participer activement à l’égalité homme-machine. Absolument bluffant de contextualité S-F.

aux Pays des merveilles

Si je vous parle de tout ça, c’est pour que vous compreniez combien le récit italien est fondateur, même carrément hégémonique. Si l’animation colle très bien aux thèmes, Del Toro démontre tout de suite sa sensibilité et sa compréhension de l’œuvre dès sa note d’intention : l’intérêt plastique de la Stop-Motion. Mais si vous savez, cette technique d’animation d’objets réels image par image. Exit Henry Selick et Harryhausen, si Del Toro réitère avec cette qualité, nous avons un nouveau champion. Je disais donc que choisir de raconter l’histoire en Stop-Motion est un parti pris qui correspond à 100% aux thématiques du récit, tournant autour de la création artisanale de base. Une manœuvre vraiment intéressante, surtout que la technique est assez bluffante : fluidité, couleurs et modèles, tout le film transpire le savoir-faire et l’amour pour cet univers. Del Toro ne rivalise pas d’ingéniosité avec ce qui s’est déjà fait (coucou Coraline) mais va au contraire jouer sur les perspectives et les valeurs d’échelle pour rendre son film plus fantastique (l’immense forteresse très très fasciste des ténèbres, la porte menant à la chambre de la Mort). C’est dans la texture et l’architecture de ses mondes que Del Toro construit cet imaginaire, sa caméra placée très souvent là où elle pourrait l’être dans un live-action.

Sujets qui fâchent (humour)

C’est évidemment dans le fond que le film brille : Del Toro (re)politise Pinocchio dans le contexte des Chemises Noires. Mussolini et son Italie de la guerre sont au premier plan et rajoutent, dans ce qui pourrait être un océan d’écueils politiques, une goutte ici et là d’épice, pour approfondir ce thème de la destruction Humaine et la vacuité de leur espérance vitale. L’aventure de Pinocchio est constituée d’étapes clés : sa naissance, la rencontre avec le monde du Cirque, son exploitation, le monde des enfants déviants, puis l’affrontement contre la baleine Monstro et son sacrifice. Toutes sont détournées et réinterprétées avec malice, pour correspondre au fameux contexte. Dans cette Italie profondément catholique, notre pantin ne comprend pas comment cette statue de bois de Jésus n’est pas elle aussi rejetée quand lui est pointé de doigts furieux. L’immonde propriétaire du cirque l’exploite pour monter un spectacle qui tient plus de la propagande fasciste incitant à l’engagement militaire. Épisode qui sera vécu ensuite par Pinocchio quand il sera enrôlé de force dans ce jeu macabre qu’il ne comprendra pas, meilleure séquence du film dont la maestria narrative m’aura remué.

Monstre de cinéma

N’oublions pas que le cinéma de Del Toro aime les monstres et adore le mythique. L’élément le plus hallucinant, bien que discret, du film reste ce cycle de la vie auquel Pinocchio est confronté. Immortel, chaque vie qui lui est prise lui est rendue après sa visite au monde des morts. Del Toro prend le parti de lier deux êtres pouvant être considérés comme les Fées Bleues, une qui protège les règles qui lient la vie à la mort, l’autre voguant d’une âme en peine à une autre. Non seulement la justification de la naissance de Pinocchio est totalement valide, mais surtout ce jeu créationniste paraît dangereux, presque contre-nature, puisque plus que de bonheur il n’engendre souffrance. Ainsi, c’est lorsque le pantin décide de lui-même de briser sa propre condition d’immortel non-Humain qu’il devient de ce fait un petit garçon. Son sacrifice est un élément de résolution de son arc de personnage, établi dès le début par son aspect contre-nature, relié aux croyances des légendes religieuses italiennes d’époque. Tout est étudié profondément pour correspondre à la version parfaite du personnage.

Tout n’est pas réussi et le film n’est même pas ma version préférée de Pinocchio, mais il se hisse aisément parmi les plus belles prises de risque récentes. Un film qui ne néglige aucun aspect du personnage et qui l’embellit sous bien des angles, avec un catalogue magnifique de personnages (Mr Cricket et Geppetto en tête). Sublime récit d’un morceau de bois devenu fils, dans un monde où les pantins de la guerre ne voient même pas leur fils.

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