NIMIC DE Yorgos Lanthimos : un court intense

Yorgos Lanthimos revient avec un tout nouveau format : le court-métrage et c’est avec son identité très marquée propre à la « Weird Greek New Wave » que ce réalisateur réussit une nouvelle fois à nous plonger dans une histoire – courte – d’horreur psychologique.

Intrigue : suspension consentie d’incrédulité

L’univers de Yorgos Lanthimos et ses thématiques de prédilections s’inscrivent dans le courant de la « Weird Greek New Wave » : montrer la souffrance d’une société, les instabilités et troubles des personnages et ainsi jouer sur la vraisemblance de l’intrigue.

– Pour comprendre un peu mieux ce mouvement, rendez-vous dans la première partie de cet article consacrée à Yorgos Lanthimos. –

C’est bien ce que ce réalisateur grec réussit à amener dans NIMIC en mettant en scène la thématique du « doppelgänger » – un sosie ou un double d’une personne vivante -. Ce concept répandu dans le folklore allemand et nordique va alors connaitre une version plus « grecque » et « weird » : une version Lanthimos.

Ainsi, un père de famille plutôt banal se retrouve nez-à-nez chez lui avec une femme, rencontrée dans le métro, qui prétend être lui face à sa femme et ses enfants. Le doppelgänger est alors l’opposé total de sa définition première, prenant à revers les attentes du spectateur. Ayant déjà demandé un certain détachement du réel de la part du public, Yorgos Lanthimos va alors pousser cette invraisemblance à l’extrême et signer définitivement ce film : le père de famille va… Nous vous laissons le découvrir par vous-même.

NIMIC de Yorgos Lanthimos

Tout se joue donc sur la suspension consentie d’incrédulité du public : allez-vous accepter ou non que cette histoire puisse être plausible ? Et donc, être plongé dans une intrigue psychologique tordue et irréelle du début jusqu’à la fin. Adepte de la non-explication, le réalisateur offre un degré d’invraisemblance très fort à NIMIC et il a raison : en douze minutes, l’impact doit être immédiat et constant.

Yorgos Lanthimos réussit en peu de temps à retranscrire son ADN scénaristique au travers de personnages singuliers et impactants et à créer un mini-univers en boucle, bloqué dans le métro new-yorkais, à l’intérieur d’une filmographie déjà particulière.

NIMIC de Yorgos Lanthimos

ESTHÉTIQUE : CLARTÉ RIME AVEC ÉTRANGETÉ

Si l’intrigue est pesante et quelque peu sombre, Yorgos Lanthimos signe une nouvelle fois une esthétique très claire et épurée : tout est ordonné, symétrique – tel un magasine du géant suédois -. Mais alors que cette clarté est souvent synonyme de pureté, de douceur et de calme, dans NIMIC, elle instaure une atmosphère étrange où tout est parfait voire trop parfait. Ainsi, la luminosité est glaciale, les personnages vides tels des mannequins et presque déshumanisés : la vie n’a pas l’air d’exister à l’écran.

Les choix visuels de Yorgos Lanthimos ont un impact à l’écran assez important et dans NIMIC, c’est avec les mouvements de caméra qu’il a décidé d’animer cette esthétique du grandiose et de la perfection. En effet, l’énergie de ce court-métrage ne fait aucun doute : panoramiques, zooms, travellings… C’est également avec un montage dynamique et des changements d’échelles de plans rythmés que l’intrigue prend vie. Ainsi, tout est expressif dans NIMIC et provoque une multitude de sensations : Yorgos Lanthimos veut perturber le spectateur, déstabiliser ses sens et provoquer l’étrangeté de l’intrigue dans ses techniques de réalisation. Cela lui permet également d’orienter le regard du spectateur et de l’immerger dans le film avec une caméra fluide et aux mouvements réalistes et fréquents.

NIMIC de Yorgos Lanthimos

SON : L’ACTEUR INVISIBLE

Le travail sonore fait partie de l’identité du réalisateur grec et NIMIC n’échappe pas à la règle. S’il y a peu de personnages dans ce film, le son en est un des acteurs. Les sphères sonores créées pour ce film prennent une place primaire – elles sont omniprésentes – mais également parce que leurs sonorités dissonantes sont marquantes.

La musique heurte le spectateur dès les premières secondes avec une harmonie dramatique et lourde ; instaurant une ambiance quelque peu déstabilisante. Ce thème sera exploité tout au long du film. Dans les films de Lanthimos, la musique n’est pas un simple outil, elle devient sculptrice et connait sa propre dynamique. Pouvant parfois paraitre indépendante aux images, c’est cette expressivité singulière qui souligne le « weird » dans le film.

Jouant sur l’intensité passant d’un subtil accompagnement d’ambiance à l’acteur principal d’un plan, le violoncelle instaure une tension persistante et une gravité à chaque scène. La dissonance sonore, passant de tons graves à tons aigües, de bruits fluides et légers à la lourdeur de l’orchestre participe intrinsèquement à l’inquiétante étrangeté de NIMIC.

NIMIC de Yorgos Lanthimos

NIMIC : QU’EST-CE QUE ÇA VEUT DIRE ?

Ceci est une réflexion personnelle et non officielle.

NIMIC est l’acronyme de plusieurs termes anglophones qui ne semblent pas correspondre avec le film – à moins que l’industrie musicale irlandaise ou que le centre d’information sur la sécurité des munitions de l’OTAN ne soient en réalité le sujet sous-jacent du court-métrage -.

En réalité, le mot « nimic » est roumain et signifie « rien ». On peut également noter la ressemblance visuelle et phonétique entre « nimic » et « mimic ». En anglais, le mot « mimic » signifie « imitateur ». Ainsi, le titre NIMIC pourrait être un jeu de mots entre ces deux termes : « rien » et « imitateur » – ce qui est légèrement plus plausible que les munitions de l’OTAN -. En effet, tout le film porte sur une imitatrice qui ne ressemble en rien à sa victime : une imitatrice du rien ou l’art d’imiter quelqu’un qui ne nous ressemble pas ; de revisiter le « doppelgänger ».

Excuse me. Do you have the time?

LE PÈRE

Avec NIMIC, Yorgos Lanthimos nous offre notre petit shot de « Weird Greek New Wave » et installe son univers dans un condensé de douze minutes de suspension du réel où visuels et musiques magnifient une narration angoissante dans un monde pourtant si palpable.

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