À l’occasion de la récente sortie de Mission Impossible 7 : Dead Reckoning Part 1, PelliCulte revient sur un héros tragique des temps modernes, un casse-cou qui n’en fait qu’à sa tête. Pourtant, c’est ce qui fait de lui un personnage iconique, que le public chérit. Analyse d’un Ethan Hunt en roue libre.
Partie I : création d'un espion
Le personnage d’Ethan Hunt naît en 1996, la même année que le premier film de la saga reconnue Mission Impossible, adaptée de la série culte du même nom. Dès son origine, l’espion est une anomalie par rapport au matériau de base. En effet, celui-ci n’existe pas dans la série originelle. Le film de Brian de Palma reprend toutefois ouvertement plusieurs noms de personnages issus de celle-ci. Pourtant, Ethan Hunt en deviendra l’étendard, évoluant au fil des épisodes en même temps que l’âge de son acteur, Tom Cruise.
Contrairement à James Bond, le personnage n’a jamais changé et ne changera sûrement jamais de visage. Cela n’est pas à sous-estimer. Ainsi, il rejoint les personnages cultes qui vieillissent à l’écran en même temps que leur spectateur, à l’image d’Indiana Jones, d’Harry Potter ou, dans un autre registre, d’Antoine Doinel. L’attachement éprouvé envers le héros est sans cesse décuplé puisqu’il dépasse le simple objet cinématographique. Quand un film Mission Impossible se finit, on sait qu’Ethan Hunt continue de vivre pour réapparaitre dans le prochain opus. La seule différence réside dans le fait que son expérience flâne, parallèlement à celle du public.
Au travers de ses (més)aventures, Ethan Hunt se retrouve sans cesse désavoué, abandonné par l’état qui l’a créé, en contradiction avec le système établi. C’est le fantasme de l’être qui s’oppose aux institutions pour le bien collectif, refusant le côté personnel pour devenir une figure de transgression, et de ce fait, de liberté totale. Après sept films, son personnage fonctionne encore grâce à cette imprévisibilité. Celle-ci est accompagnée d’une garantie qui offre aux spectateurs un idéal protecteur, réconfortant et rassurant, surtout dans le monde dans lequel on vit actuellement.
Paradoxalement, à chaque fin de film, Ethan Hunt retourne à l’IMF comme une absurdité vitale. Il se laisse ainsi appartenir de nouveau à l’agence Mission Impossible. Ce rétro-pédalage illusoire est révélateur d’un besoin d’ordre, d’une nécessité d’encadrer un tel individu qui pourrait devenir dangereux dans la vraie vie. Ethan Hunt, tel un héros tragique, se retrouve enchaîné à revivre encore et encore la même situation. Il n’a pas l’autorisation de vivre, il ne peut que courir pour sauver le monde. Comme par magie, il regagne chaque fois l’espoir en ce qui l’entoure.
Cette incohérence que le public occulte inconsciemment démontre aussi que le studio ne peut pas séparer son matériau de base, à savoir l’agence Mission Impossible, de son personnage principal, qui en a fait sa popularité. Là où James Bond pourrait se permettre de raccrocher et de vivre une autre vie, Ethan Hunt est bloqué dans cette vie de violence, trahison et de tension infinie. En réalité, le compte à rebours ne s’arrête jamais pour lui.
Ce qui est particulièrement remarquable, c’est qu’Ethan Hunt est en constante réécriture de lui même, protagoniste « méta » changeant selon le style et le réalisateur de chaque opus. Nous le rencontrons comme jeune intrépide, fougueux et influençable avec Brian DePalma. Puis, sous la direction de John Woo, c’est tout le contraire : il évolue en star d’action voulant se la jouer années 80 à coup de ralentis, devenant ridiculeusement invincible. J.J Abrams l’humanise à nouveau en apportant une intimité et une fragilité au personnage, plus tard exploité par Brad Bird et Christopher McQuarrie. Ils feront de lui un véritable chef d’équipe, où chaque personnage de sa team permettra de mieux le connaître. Alors, les récents films feront apparaître un sous-texte plus qu’intéressant. Ils élaborent effectivement une sorte d’étude du personnage, rassemblant la psyché de tous les Ethan Hunt afin de lui offrir la conclusion qu’il mérite.
partie II : la persona de tom cruise
A l’origine, le mot latin Persona désignait le masque que portait les acteurs de théâtre. Il est désormais utilisé pour étudier la représentation que peuvent se faire les spectateurs d’un acteur se confondant avec ses propres rôles. La Persona n’est en effet qu’un masque social, une image qui finit par se mêler à l’identité du sujet. Lorsqu’on s’intéresse vraiment à Ethan Hunt, on se rend compte qu’il n’a pas spécialement de psychologie ou de background. Il se révèle être un Mister Nobody.
C’est là que Tom Cruise entre dans l’équation : il nourrit le personnage d’éléments qui dépassent le cadre de production du film. Par exemple, la mégalomanie reconnue de l’acteur s’accorde avec celle de l’espion qu’il incarne. Voyant toujours les choses en plus grand, en plus spectaculaire, il ne recule devant aucune difficulté pour se mettre en avant face à l’action. Ethan Hunt attire pour ce qu’il parvient à faire et non pour ce qu’il est vraiment. Au fil des long-métrages, il se fond de plus en plus dans la peau de Tom Cruise. Christopher McQuarrie a particulièrement joué avec cet aspect dans Dead Reckoning, livrant une véritable ironie face à ce personnage méta (le montrant autant comme un magicien que comme un vrai cascadeur).
Évidemment, le désir de sensations fortes du spectateur et la volonté extrême de Tom Cruise de réaliser des cascades de plus en plus folles sont liées. Cette motivation unique donne au personnage une importance et le font devenir une sorte d’héritier de Buster Keaton ou Jackie Chan. Un détail essentiel à l’ère des écrans verts qui remplacent toute vraisemblance dans les films d’actions actuels.
partie III : ethan hunt existe dans nos vie
Enfin, il est intéressant de clôturer cette analyse du personnage par une partie plus personnelle et philosophique. Celle-ci est réfléchie à partir d’interprétations pouvant expliquer la raison pour laquelle le héros de Mission Impossible résonne autant chez certains d’entre nous. À l’image du frisson procuré par les courses poursuites d’un Indiana Jones, Ethan Hunt possède une ténacité similaire qui force chaque fois le respect, celle de faire face à ce qui semblerait irréalisable. Néanmoins, ses actions sont motivées par bien plus qu’une nécessité. C’est plutôt un véritable désir de foncer vers l’impossible qu’Ethan Hunt affiche. Il ne renonce jamais devant l’adversité. Ses difficultés lui donnent paradoxalement plus de carburant pour d’affronter un prochain danger.
C’est dans cet aveuglement volontaire que le personnage peut inspirer, et encourager à foncer tête baissée avec ferveur dans ses projets quotidiens. Cette réflexion pouvant sembler de prime abord basique ou niaise met pourtant en avant la naïveté qui manque à notre société. Ne serait-ce qu’un état d’esprit pouvant se résumer par des concepts simples, amenant à une main tendue, invitant chacun à courir aussi vite qu’un Tom Cruise sans regarder en arrière.
En effet, au travers des films de la saga et particulièrement dans le septième, le spectateur réalise à quel point la vie amoureuse d’Ethan Hunt a été douloureuse. Les mêmes tragédies semblent se reproduire encore et encore, accentuant l’idée qu’Ethan Hunt ne peut qu’être surhumain et qu’il doit renoncer à l’Amour. Pourtant, le protagoniste ne flanche pas. Il évolue sans montrer de faiblesses ou de traumatismes dans ses missions suivantes.
Alors que le personnage reste le même au fil des films, Ethan Hunt semble ouvrir constamment un nouveau chapitre avec le même zèle et le même optimisme que d’antan. Cette attitude, certes très fictionnelle, peut toutefois mener à une façon d’envisager les évènements de la vie d’une façon inédite. Par exemple, sous forme de saisons d’une même série télévisée (représentant notre existence), où le poids des souvenirs aura une incidence sur notre personnalité. Cela ne nous bloque pas pour autant dans la suite de notre histoire.
Ainsi, comme relevé précédemment, dû à son background de personnage épuré, Ethan Hunt représente un héros d’action à travers lequel il est aisé de se projeter. Devant plus qu’un simple fantasme, les spectateurs ont l’espace d’imaginer son passé ainsi que la liberté de transférer leurs propres sentiments dans sa psyché. On donne le pouvoir au public de construire sa propre interprétation du personnage. Une image qui ne correspond pas forcément à un stéréotype figé, mais qui les mélange tous consciemment et intelligemment pour permettre à son spectateur de s’inventer en lui. De ce fait, nous sommes tous des Ethan Hunt. Vous êtes Ethan Hunt.
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