L’Intendant Sansho, film dramatique japonais de 1954, réalisé par Kenji Mizoguchi, avec Kinuyo Tanaka, Kyoko Kagawa, Eitaro Shindo… 

Sort en version restaurée le 05 novembre 2019, chez Capricci. 

Synopsis : XIe siècle. Un gouverneur de province est exilé pour avoir pris le parti des paysans contre l’avis d’un chef militaire. Contraints de reprendre la route de son village natal, sa femme Nakagimi et ses enfants Anju et Zushio sont kidnappés par des bandits de grand chemin. Nakagimi est déportée sur une île, tandis que les enfants sont vendus comme esclaves à l’intendant Sansho, un propriétaire cruel.

Plus qu’un simple cinéaste, Kenji Mizoguchi est l’incarnation même de l’artiste. Avec lui, la beauté se fait évidence, elle ne s’impose jamais au regard mais convie le spectateur à mettre tous ses sens en éveil. Elle est une force, presque sacrée, qu’il convient de respecter. Elle est une offrande faite aux échoués de la vie afin de les guider vers le chemin du bonheur. Elle est le vecteur des émotions humaines, bouleversant l’homme dans son cœur comme dans ses certitudes. La communion, qui en découle, entre l’artiste et son public se fait d’autant plus facilement que le langage choisi est éminemment universel. Le beau, par exemple, se décline à l’infini, devenant aussi bien esthétique, technique qu’émotionnel, irradiant aussi bien le fond que la forme de l’œuvre. Le cinéaste devient, l’espace d’un instant, l’égal d’un Michel-Ange ou d’un de Vinci, en composant d’impressionnantes fresques, finement détaillées. Il est également le poète qui fait rimer les émotions entre cadrages millimétrés et plans-séquence majestueux. Il est aussi le musicien qui fait vibrer vos âmes en composant cette petite ritournelle, si simple et pourtant si poignante… Il est l’artiste, complet et indépassable, transformant un grand mélodrame en immense fresque humaniste et poétique, à l’instar du fameux Intendant Sansho.

Il existe, sans doute, deux freins majeurs à l’adhésion du spectateur occidental à cette œuvre. La première semble évidente, et elle est récurrente chez Mizoguchi, c’est sa dimension très « japonaise », profondément ancrée dans la culture locale (que ce soit par ses références au théâtre nô ou à l’histoire nippone), qui peut facilement rebuter. Fort heureusement l’essentiel du film se trouve porté par une grande histoire humaine, follement universelle. La seconde est peut-être un peu plus troublante, c’est la lenteur du rythme qui demande un petit effort d’adaptation. Celle-ci se justifie car Mizoguchi, qui n’a jamais été un cinéaste de l’action (cf Le Héros sacrilège où les scènes de combat sont les moins bien réussies), se plaçant plutôt du côté de l’émotion et de l’humain : la violence étant maintenue en hors cadre, c’est le pouvoir suggestif des images qui est utilisé. Et le résultat est saisissant : comme en témoigne cette scène dans la maison close où la froideur du visage de l’homme ne fait que mettre en relief l’effroi lisible sur les visages féminins. En une poignée de secondes, tout est dit ! Et puis ce rythme est également une invitation au voyage : c’est celui effectué par le personnage principal, Zushio, qui va prendre une dimension initiatique en lui permettant d’accéder à la vertu ; mais c’est également celui réalisé par le spectateur dans un univers éminemment poétique.

Avec Mizoguchi, l’image est toujours porteuse de sens : 

  • Elle est tempête émotionnelle, nous ballottant au gré des flots entre grandes cruautés (esclavagisme, marquage au fer et autres joyeusetés) et infime tendresse (avec, en point d’orgue, un final d’une beauté renversante).
  • Elle se substitue brillamment aux mots ou aux futiles explications : la vision d’un Sansho paradant au milieu de ses assujettis annonce très bien le thème de l’injustice sociale. Celle nous montrant un Zushio filmé à la même hauteur que les esclaves, véhicule merveilleusement bien le discours égalitaire du cinéaste.
  • Elle se fait ode élégiaque envers la nature : le décor devient le subtil reflet du ressenti des personnages (c’est la brume qui tombe lors de la séparation d’une mère avec ses enfants, c’est la boue dans laquelle pataugent les esclaves…). L’élément liquide va acquérir ici une force hautement symbolique : le tumulte de l’eau renvoie à l’idée de la mort (ou de la séparation), tandis que son calme apparent nous indique la plénitude vers laquelle convergent les protagonistes. La scène du sacrifice est sans doute la plus formidable : la sérénité de la femme se fond avec celle du lac. La limpidité de la mise en scène se confond avec la détermination du personnage. L’acte qui nous est décrit se dote alors d’une force surnaturelle, on comprend ainsi que son onde de choc suffise à remettre l’homme sur le droit chemin.

Car, comme c’est bien souvent le cas chez Mizoguchi, l’homme n’est rien sans la femme. Aussi étrange que cela puisse paraître, L’Intendant Sansho est un film très masculin, l’intrigue étant battit autour du personnage de Zushio. Seulement, ici, on parle de l’homme afin de mieux évoquer la femme : notre jeune héros, livré à lui-même, va rapidement s’égarer. Il va oublier les belles valeurs paternelles, changer plusieurs fois de nom comme s’il ne savait plus qui il était, allant même jusqu’à pactiser avec le « diable » Sansho. Heureusement pour lui, la femme est là pour lui ouvrir les yeux et l’aider à grandir. C’est la sœur qui rappelle ses racines humanistes à son frère ; c’est une mère (magnifique Kinuyo Tanaka) qui est à la fois gardienne des traditions et garante de l’unité familiale. Elle est une figure immense pour Mizoguchi, c’est par son sein que les enfants grandissent, c’est dans son ombre que le destin de l’homme s’élabore. Elle est ainsi la muse parfaite pour inspirer à l’artiste la plus belle des œuvres !


Note

9/10

Sublime drame épique, magnifique réflexion sur l’âme humaine et l’amour filial, L’Intendant Sansho est sans conteste l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. À retrouver en version restaurée, dès le 05 novembre 2019, chez Capricci.


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