D’emblée, ce qui intrigue chez Les Magnétiques, c’est le visage que revêt ses années 80. Parce qu’il s’agit d’un portrait, celui cabossé et bien de chez nous, d’une jeunesse en perte de vitesse dans une époque pleine de changements. Rares sont les œuvres actuelles qui nous présentent des « eighties » sombres, rurales et inquiétantes, alors que la plupart se contente de nous les agiter sous le nez sans plus de propos derrière. Non, ici, la toile de fond n’est pas là par hasard, si bien que le film devient plus qu’un simple parcours initiatique, il agit presque comme un témoignage. Ça, c’est beau.  

LE RÊVE D’UNE GÉNÉRATION EN COLÈRE

Dès l’ouverture, il est question de changement. De révolution. De par ce terme j’entends presque la résolution d’une époque, avec ses idées et ses pensées, une transition douce amère dont le protagoniste ne semble pas apprécier la teneur. À contre-courant, ce solitaire idéologique qu’est Philippe semble encaisser sans broncher. C’est en quelque sorte tout le personnage qui nous est déjà résumé ici. Son isolement, d’abord social puis tout à fait physique sur la fin, traduit une sorte de refus, de blocage consenti, face à toute opportunité bienvenue : il implore intérieurement une vie meilleure, loin et dorée, mais se la refuse afin d’aider son frère Jérôme, dont il est le fan invétéré. Cette thématique du film sera d’ailleurs le point d’orgue de l’histoire, la relation des deux hommes et les positions qu’ils occupent l’un pour l’autre s’inversant au fil du récit. Idolâtrant son frère, lui qui a une si belle énergie, Philippe s’oublie presque, ainsi que son talent qui est pour le coup la véritable origine de la force de son émission.

Ainsi, cette déconnexion est celle d’un jeune homme plein de rêves mais qui n’as pas grandit auprès de personnes qui s’en rendent compte, ou qui même ne lui accordent ce type de regard. L’arrivée de Marianne dans sa vie, la copine de son frère, va tout changer, puisqu’elle le lui accordera, elle, ce regard. Un tabou s’établit entre eux, ils se cherchent tout en le sachant, une lutte fantôme qui permet à Philippe de grimper dans sa propre autorité, de gagner en assurance et ainsi, prendre la place métaphorique de son frère au sein de son propre monde dont il devient à la fin le roi.

S’EXPRIMER PAR LE SON

Je ne sais pas bien d’où provient cette colère chez Philippe, ni pourquoi ce contexte précis, d’où ma supposition de valeur de témoignage. Parti pris réussi, mais il serait insultant d’omettre ce que la forme apporte au fond, puisqu’il s’agit de la meilleure trouvaille du film. La passion du protagoniste est le montage sonore, la prise audio et sa transformation, sa distorsion. Deux scènes pivots contiennent d’impressionnantes mises en place d’un système sonore, très bien filmées et montées, qui présentent Philippe sous son meilleur jour, celui dans lequel on rêverait de le voir vivre. Vibrant, génial, il maîtrise les bruitages et les objets qui l’entourent pour créer des musiques, à l’aube du remixage audio donc. Ces deux moments mettent en avant un segment incontournable du cinéma, le son tout simplement. George Lucas disait que « le son est la moitié de l’image ». Principe bien trop souvent oublié, ici tout à fait bienvenue aux vues de la thématique du film. Cependant, ces moments ne sont que très peu nombreux. Je ne saurais dire s’il s’agit d’un acte résolu de la part du réalisateur que de ne pas donner aux spectateurs satisfaction de voir Philippe créer autour du son, afin de lier le fond dans la forme sur le même sujet, à savoir la frustration de ne pas aller au bout du rêve du personnage (sujet en suspend à la fin du film); ou bien s’il s’agit d’un manque de temps. En tout cas, à mon humble avis, un habillage sonore plus stylisé et plus présent aurait fait gagner au film une saveur sans précédent, dans la veine d’un Sound of Metal voire peut-être d’un Baby Driver.

UNE SORTIE IMPORTANTE

C’est à l’occasion de la sortie physique du film sur les réseaux de distribution que j’écris ces lignes. Car même si le film a reçu déjà de nombreuses récompenses, je suis persuadé que sa présence dans les rayons de nos magasins préférés est un fait qu’il ne faut surtout pas oublier. Les Magnétiques est un film sombre mais qui comporte une vraie touche de lumière sur sa conclusion. Un message fort, bien dit et surtout très important pour tout artiste en devenir : même si les rêves meurent rapidement et que gérer sa créativité est difficile, devenir adulte ne signifie pas qu’on doit les oublier. Au contraire, ce sont nos passions qui nous font avancer, tenir et apprendre. Notre curiosité n’est stimulée que par l’envie et les épreuves que nous pouvons subir, aussi dures soit-elles, servent à nous forger une opinion. Car rien ne nous est fondamentalement obligé. Si l’envie absolue de partir nous terrifie, il n’en est rien de mal, au contraire, assumons-là et soyons heureux ainsi. Embarquons dans le train aux côtés de Philippe pour un voyage vers nos envies, qui se révèlent souvent être nos besoins qu’on aurait masqué de force.

Au final, je n’ai pas adoré Les Magnétiques. Mais c’est un film qui m’est devenu important, qui a grandi en moi après le visionnage, preuve d’un grand film s’il en est. Récit méticuleux d’une France rurale difficile, faux biopic de tout artiste « mort-né », le film est un contraste d’espoir et de pessimisme, animé de la plus honorable des intentions et qui s’en donne les moyens, qui nous pose cette ultime question : est-ce moi qui suis fou ou tous les autres ?

La bande-annonce :

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