Le Cercle Rouge, polar français de 1970 réalisé par Jean-Pierre Melville avec Alain Delon, André Bourvil, Yves Montand….

Avant-dernier film de Bourvil, qui décédera une semaine après la sortie du film, Le Cercle Rouge est aussi et surtout une des oeuvres phares de son réalisateur, un polar à la française où le casse d’une bijouterie sera le point culminant de l’inéluctable et tragique destinée qui relie nos protagonistes.

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Le Cercle Rouge
, c’est donc avant tout la rencontre fortuite entre plusieurs individus que le destin s’est amusé à réunir : Corey (Alain Delon), tout récemment sorti de prison ; Vogel (Gian Maria Volontè), un criminel en cavale ; le commissaire François Mattei (André Bourvil), homme de police intègre à la poursuite de Vogel ; et Jansen (Yves Montand), ancien flic désabusé. Face à Matteï, tous trois vont s’allier et organiser le casse d’une bijouterie.

Et ces étiquettes qu’on leur accole, au choix celle de truands ou de flic intègre, elles représentent précisément toute la tragédie du film. Jean-Pierre Melville construit ses protagonistes comme des archétypes d’eux-mêmes, des statues de cire coincées dans des stéréotypes de personnages et qui donc ne peuvent que subir ce destin auquel ils sont condamnés. Mais chacun est bien content de le subir, ce destin : alcoolique, Jansen retrouve bien vite ses esprits quand la possibilité d’endosser ce rôle de truand s’offre à lui ; Corey et Vogel ne cherchent jamais à en sortir ; et Matteï ne sort jamais de son rôle de commissaire même s’il endosse un court instant celui de malfrat.
Les personnages ne sont que des enveloppes vides, des poupées que Melville se fait un malin plaisir de mener là où le genre lui ordonne de les emmener. Mais loin de nuire à la construction de son récit, cela lui donne plutôt une force évocatrice débordante et un formidable point d’appui pour un récit somme toute classique mais qui devient alors bien plus tragique.

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Et là où le réalisateur de L’Armée des ombres est bien plus malin, c’est qu’il adapte également sa mise en scène et l’atmosphère de son film à l’idée d’un destin inéluctable. Certaines scènes sont ainsi répétées plusieurs fois (comme l’arrivée de Matteï à son domicile) comme pour exprimer l’idée d’un temps cyclique et qu’il est impossible de contrôler. Cela se voit également dans les lieux traversés par les mêmes personnages, comme une idée de temps suspendu, aux environnements toujours quasi identiques. Jean-Pierre Melville crée un monde en suspens, froid, vide de monde. Là où d’autres réalisateurs ne l’auraient pas jugé nécessaire dans une histoire policière, le cinéaste prend le temps d’installer l’atmosphère de son film, quitte à ralentir sa narration. Mais cela n’immerge que plus le spectateur dans un monde dont il espère ne pas faire partie aujourd’hui.
Toute l’atmosphère du film, à la fois poissarde et feutrée, participe de cette sensation d’un monde réglé comme du papier à musique, et où tout le monde participe à la construction d’un monde sur des stéréotypes de représentation. Le bar que fréquentent tour à tour Corey et Matteï, hormis par les tenues des danseuses, n’évolue pas d’un iota. La répétition de plusieurs scènes, comme nous l’avons dit, participe d’un sensation d’irréalisme, d’un monde auto-suffisant et probablement en train de s’écrouler.
Un monde mécanisé, aux territoires désaffectés, que nos personnages vont venir bouleverser.
Un monde silencieux, où la musique n’a quasiment pas sa place. Se mettant parfois en accord avec la scène (comme lors du casse) ou par petites touches, les compositions d’Éric Demarsan participent de ce dérèglement des rapports humains.

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Mais que serait Le Cercle Rouge sans son casting d’exception ? Tous livrent une performance remarquable, Bourvil en tête, qui prouve encore une fois son talent d’acteur dramatique alors même qu’il était atteint d’un cancer sur le tournage. Mais cette pléthore d’acteurs n’est pas seulement là pour attirer les foules : elle est surtout un outil du réalisateur au service de son histoire. Car qui de mieux que de grandes stars pour incarner une image, une silhouette, une icône ? Tous se terrent dans un mutisme, mais leur talent fait le reste : imper, cigarette, chapeau, toute la panoplie du parfait truand et/ou policier est là.
Ce n’est pas tant le personnage lui-même que le mythe qu’il incarne qui intéresse Melville. Ce mythe, il est surtout un moyen pour le réalisateur d’exprimer toute la vacuité d’un monde qui crée des modèles d’humains aux comportements, actions, vêtements décidés de manière mécanique selon les stéréotypes d’une société sclérosée. Et c’est là que ces têtes d’affiche sont essentielles car elles donnent un film sa grandeur et surtout permettent au spectateur de saisir instinctivement à qui il a affaire et comment les personnages vont être liés (tels Vogel et Corey, liés par une symétrie visuelle dès le début du film). Leur talent éclatant est ce qui donne au film toute sa saveur, et renforce l’idée d’un monde figé.

Jean-Pierre Melville prouve donc encore, pour ceux qui en doutaient, que le film policier est un genre qui n’a pas encore livré tous ses secrets et que son cinéma, malgré ses quarante ans d’âge, n’a rien perdu de sa superbe.

 

 


Note 

4/5

 

Un polar magistral porté par des acteurs de génie. Jean-Pierre Melville livre un film d’exception sur des archétypes au destin tragique, portés par une société sclérosée qui pousse à la mécanisation des individus. Du grand, très grand cinéma français.


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