Critique de Lucas :

L’Année du requin fait partie de ces films OVNI qui valent le coup d’œil même si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Car c’est avant tout une proposition originale de la part des frères Boukherma, une tentative qui s’éloigne de ce que le spectateur a l’habitude de voir. Il est d’ailleurs assez dommage que le long-métrage n’ait pas été plus médiatisé, c’est à peine si on a pu en entendre parler, et cela malgré son pitch accrocheur et tendance. D’autant plus avec cette ambition de la part des cinéastes français de porter une histoire de requin à l’écran. Là où l’on peut craindre le sujet complètement usé par les trop nombreuses œuvres qui l’ont adapté. Il n’en est rien de L’Année du requin qui échappe à toute catégorisation pour s’envoler dans les recoins où on ne l’attend pas.

La mise en scène des frères Boukherma adopte des cadrages et des focales loufoques évoquant Terry Gilliam, ce qui donne au film un vrai caractère et beaucoup d’identité, quitte à parfois pousser le bouchon trop loin et sembler un peu forcé. Mais c’est véritablement dans les moments de tension que les choix de réalisations des cinéastes marquent. En effet, fait rare à souligner dans les grosses productions françaises, l’action tient complètement la route. Offrant de belles séquences qui dresseront les spectateurs sur leurs sièges grâce à un montage incisif particulièrement efficace.

Malgré le fait que l’on peut percevoir une certaine économie de budget, elle est très bien gérée, toujours mise au service de la narration. Seul point noir de ce côté là : les plans sous l’eau trop sombre et absolument illisibles qui deviennent assez redondants au fil du film, n’arrivant jamais à égaler la mise en scène d’un Spielberg quand il s’agit de faire vivre un requin par la caméra. Egalement, au vu de l’importance du sonore dans ce genre de récit, on aurait pu imaginer bon nombre d’idées musicales inventives qui resteront un doux rêve. La bande originale ne se montrera jamais à la hauteur, classique au possible, et encore moins lorsque le morceau « La Kiffance » se fait malheureusement entendre pendant quasiment les trois-quarts du film.

C’est dans son scénario que L’Année du requin arrive à vraiment tirer son épingle du jeu. Avec son lot de personnages secondaires atypiques, gravitant autour d’une héroïne forte et obstinée, interprétée par la grande et talentueuse Marina Foïs. Le choix de cette actrice pour jouer ce personnage de policière effrontée est parfait tant elle arrive à basculer de l’humour au drame en façonnant son visage. Véritable surface de contemplation, son expression faciale parvient à mélanger plusieurs émotions en même temps, ce qui rend son personnage plus complexe qu’il n’y paraît.

Le trio dont elle fait partie, même s’il repose sur des stéréotypes assumés, fonctionne bien à travers le récit et représente une des forces du film. On regrettera toutefois l’absence d’incidence du personnage de Kad Merad dans l’intrigue, relégué à la fonction d’homme au foyer. Même si l’on apprécie l’échange de sexe pour les rôles de ce couple, il est vraiment dommage qu’il ne serve à n’être qu’un obstacle scénaristique, accentuant le conflit intérieur de l’héroïne.

Là où le film vise le plus juste, c’est lorsqu’il révèle un sous texte éjectant son spectateur de la confrontation bête et méchante humains vs requins en venant justement interroger la nature humaine dans ses réactions les plus primaires. À la fin de son premier tiers, les cinéastes brouillent les frontières en concentrant quelques scènes sur la manière dont le personnage de Marina Foïs est accusée à tord d’être la responsable d’une faute qui ne dépendait pas d’elle.

Le spectateur s’étonne à questionner l’impact émotionnel que peuvent transmettre quelques mots sur les réseaux sociaux ainsi que reconnaitre cette habitude de l’humain de désespérément chercher une manière de légitimiser un drame en trouvant un coupable. Mais à force de s’éparpiller, le long-métrage viendra aussi creuser sa propre tombe, notamment avec deux frères jumeaux vengeurs ridicules qui interviendront à un moment du récit pour ensuite en être purement et simplement éjectés. Ou par cette fin paraissant assez rushée, sûrement par peur de perdre le rythme du film.

Pour autant, L’Année du requin n’en reste pas moins une plutôt bonne comédie collectionnant tous les clichés de la côte Landaise et donc du Sud, parfois en faisant naître un sentiment de too much rappelant l’humour britannique. Le nouveau film des frères Boukherma transmet son envie de brouiller les genres et de créer un ovni dans le paysage cinématographique français. Même s’il y arrive particulièrement bien, le spectateur peut avoir la sensation que ce jeu autour des genres ne sera jamais entièrement assumé. Est-ce que l’on est dans une parodie des Dents de la mer ou dans un véritable drame où chaque action peut coûter une relation ? Le film semble rester constamment dans un entre-deux, n’arrivant pas à se décider, ce qui donne la désagréable impression que même les réalisateurs ne savaient pas comment définir leur œuvre.

Ainsi, L’Année du requin est un sympathique, mais maladroit, hommage aux films de requin. L’expérience qu’offre le film en changeant constamment de ton est plaisante à vivre et reste une proposition cinématographique rafraichissante, même si la maîtrise du long-métrage n’égalera pas celle de leur précédent film : Teddy. Cette mise en danger reste toutefois à saluer et prouve envers et contre tout que les comédies françaises populaires sont loin d’être uniformes et interchangeables. Et cette raison suffit amplement à se lancer dans le visionnage de ce film atypique et loufoque qui vous fera sourire, frémir tout en vous donnant envie de devenir gendarme maritime dans les Landes !

Critique de Thibault :

L’ouverture pose un doute, puis le film se poursuit et le sème. C’est un hommage décalé, mais affirmé au film de requin par excellence : Les Dents de La mer. Si les frères Boukherma usent d’un second degré hilarant et décalé pour faire leur « Spielberg » version comique, L’Année du requin n’a pas grand-chose d’autre à offrir.

Ces derniers s’étaient fait remarquer avec Teddy en 2021, qui se distinguait par son humour et sa subtilité bestiale. L’Année du requin est plus dans l’absurde assumé et la prise de risque, pas seulement dans l’hommage Spielbergien, mais aussi dans l’utilisation du second degré. La personnalité des Boukherma est bien illustrée et la façon de jouer de Marina Foïs et Jean-Pascal Zadi par exemple rappellent presque l’univers du génie de l’absurde par excellence : Quentin Dupieux. Bien sûr, l’intrigue est autrement constituée, mais les parallèles ne sont jamais bien loin.

C’est drôle et très bon public, même si le format fait très Fabien Onteniente, c’est un type de cinéma comique à encourager. On note cependant un gros ventre mou une fois la première demi-heure passée, avant que ça ne reprenne difficilement dans les dernières 20 minutes. La première résolution de l’intrigue arrive trop rapidement, ce qui met une difficulté pour la suite des événements. Et effectivement le reste brasse du vide et sur 1 h 26 que dure le long-métrage, il est plutôt curieux de rencontrer un tel problème. Mais on se console sur un ensemble drôle et original qui divertit et rappelle le premier grand blockbuster de l’histoire du cinéma.

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