Le samedi 29 janvier, la trentième édition du festival international du film fantastique de Gérardmer a rendu sa sentence. La Pietà a remporté le Grand prix (mais aussi le prix du public ainsi que le prix du jury jeunes). En quasi simultanéité, la Cinémathèque française s’est offert le luxe, au grand plaisir de tous les cinéphiles parisiens, de reprendre la programmation du festival le temps d’un week-end allongé (du 1er au 5 février). En clôture de ce festival à distance organisé par la Cinémathèque, La Piedad, La Pietà dans sa version française, était diffusée dimanche 5 février.
Lili et Mateo entretiennent une relation mère/fils fusionnelle. Menée à son paroxysme, la relation est alors chamboulée lorsque la maladie apparaît soudainement dans le couple.
Une esthétique pas comme les autres
La réalité mise en scène par Eduardo Casanova (réalisateur) est à l’image de la relation entretenue par Ángela Molina (Lili) et Manel Llunell (Mateo) : sombre, voire suffocante, autant pour les protagonistes que pour les spectateurs. La dépendance des deux personnages amène à noircir l’atmosphère mais également l’image. Mateo a un âge avancé, est un jeune adulte, et ne peut sortir seul sans l’aval de sa mère. Lorsque la maladie apparaît, la souffrance est même partagée. Émotionnellement certes mais également physiquement comme si les deux personnages étaient malades.
La musique, sciemment composée, accompagne cette ambiance glauque à souhait. Le réalisateur réussit le pari de gêner, de choquer mais également de rendre le résultat esthétique. Une prouesse technique !
La scène de la deuxième mise au monde de Mateo est le parfait reflet de cet ensemble. Ce soir-là, un spectateur quittera même la salle. Un sentiment de malaise est directement projeté dans la salle mais dans ce même temps, la séquence est follement bien réalisée. Nécessaire dans la construction du film, la scène permet d’affirmer une fois de plus ce lien indéfectible, ce lien de sang mais aussi ce lien toxique qui vit entre cette mère et son fils.
La présence presque trop pesante du rose esthétise encore plus les scènes. Lili possède une passion débordante pour cette couleur qui s’immisce partout. Jusqu’à peindre un téléphone (factice), elle impose cette couleur comme un des codes qu’elle impose à son fils unique.
Un parallèle fort intéressant
Le film oscille entre cette histoire centrale (présupposée en Espagne) et une histoire annexe se déroulant à plusieurs milliers de kilomètres en Corée du Nord. Mais qu’est-ce qui les lie ?
La réponse est largement avancée avant la fin du film : l’aspect dictatorial de Lili. En effet, Lili aurait finalement une relation (avec son fils) proche de celle d’un dictateur nord-coréen avec son peuple. La pression psychologique est la même. Mateo, qui tente parfois de s’échapper de ce monde oppressant, finit toujours par retomber dans les bras narcissiques et angoissants de sa mère. En effet, quelques lueurs d’espoir apparaissent à l’écran. Des lueurs d’espoir que tentent d’approcher Mateo, que le spectateur aperçoit, mais qui sont vite dissipées par l’omniprésence étouffante de Lili. Elle fera tout pour le garder auprès de lui.
Tout comme un dictateur, Lili se rend indispensable dans la vie de Mateo : le faire manger, le faire dormir à ses côtés, le garder constamment dans son champ de vision. En l’infantilisant, elle se rend donc essentielle à ses yeux.
Une Pietà michelangelesque
Deux Pietà apparaissent au cours du film. La première, à l’image de celle de Michel-Ange, présente Mateo dans les bras de Lili dans un halo de lumière. La deuxième présente Mateo qui maintient sa mère.
Ces dispositions mettent de nouveau en avant ce lien indéfectible conté tout au long du film. La Pietà de Michel Ange présente Marie tenant Jésus dans ses bras. Proches de la mort dans les deux cas, les personnages sont représentés comme des divinités. Ici, Mateo et Lili forment un unique personnage. Têtes rasées, ils vont même à se confondre physiquement. Comme si les deux personnages n’existaient que par association. Ils n’existent pas par eux-mêmes mais par la relation qu’ils entretiennent. Telle une hydre à deux têtes, Lili qui possède la tête intelligente (qui maitrise le reste du corps), Mateo et Lili ne forment qu’un pour le meilleur mais particulièrement pour le pire.
Eduardo Casanova réussit à mettre le spectateur dans la peau de Mateo. Le spectateur est broyé par cette mise en scène asphyxiante. La photographie démontre un certain perfectionnisme dans la tête et l’imaginaire du réalisateur. Le spectateur entre donc dans les griffes de Lili pendant les 84 minutes du film. C’est ainsi que la “magie” opère. Deux très bons acteurs, une mise en scène de haute voltige et une photographique bariolée de rose permettent à la Pietà de remporter le Grand Prix de la trentième édition du festival international du film fantastique de Gérardmer. Le spectateur entre même dans ce couple plus que pervers, quitte à former une hydre à trois têtes. Une nouvelle fois, Gérardmer ne déçoit pas !
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