SHÉHÉRAZADE DE JEAN-BERNARD MARLIN

Longtemps j’ai cru qu’il fallait faire un choix entre le style et le naturalisme… Comme je me trompais.

À 17 ans, Zach sort de prison. La rencontre avec Shéhérazade, une jeune prostituée, va lui offrir une chance de rédemption. Mais la purification ne se fera pas sans épreuves ni sacrifices.

Shéhérazade

C’est à travers une mise en scène épurée que Jean-Bernard Marlin nous raconte cette histoire. Une caméra portée à hauteur d’enfants, qui ne trahira jamais leur point de vue, un étalonnage discret jaune auréolin, c’est tout ce que la photographie déploiera comme artifice. Ce dispositif, simple d’apparence, lui permet d’ancrer son récit dans un certain degré de réalisme certes, mais cela lui laisse surtout le champ libre pour travailler avec soin sa direction d’acteurs. Et c’est là l’une des grandes forces de cette œuvre : la véracité des émotions portées à l’écran. Les acteurs ne jouent pas, ils vivent. Et pour cause, il est allé chercher des inconnus au parcours de vies intimement liés à ceux des personnages. Les acteurs sont si proches de leurs personnages qu’on pourrait croire que la rencontre avec ces derniers précède l’écriture du scénario.

Il ne cherchait pas des comédiens pour interpréter des rôles, il voulait des individus qui incarneraient ses personnages. Ce casting sauvage a permis de conserver une authenticité de la langue, le franc parlé marseillais. Les visages brisés de ces inconnus et l’œil discret de Marlin dépeignent une réalité sociale avec beaucoup d’honnêteté, sans tomber dans l’entomologisme. En filmant ses sujets à bonne distance, il nous révèle avec beaucoup d’amour et de pudeur les états d’âmes de ses personnages.

Shéhérazade

L’épure de la mise en scène permet aussi des heureux hasards comme lorsque Zach donne un coup dans une porte-miroir qui, dans son mouvement, nous offre un contre champ au sein d’un plan fixe. Est-ce que cet effet est intentionnel ? Peut-être juste la magie qui opère lorsque tous les éléments sont à leur place.

L’environnement brutal dans lequel évoluent nos héros est contrasté par de rares moments d’accalmie. Des scènes où une tendresse absolue envahit soudainement l’écran et offre une respiration bien méritée. Shéhérazade suçant son pouce, se rapprochant de Zach pour s’abandonner contre lui.

Malgré tout, Marlin ne perd pas de vue le rythme. Il travaille un tempo qui va crescendo au fur et à mesure que le récit s’intensifie. Une fois que le réalisateur a lesté son récit, que le spectateur est immergé dans sa diégèse, il peut alors dialoguer avec nous sur un plan plus élevé. Il nous propose un recul qui transforme cette chronique naturaliste en véritable fresque mythologique.

Shéhérazade

Pour cela Marlin travaille une iconosation des personnages qui s’accentue au cours du récit. Cela débute de manière inoffensive, un regard caméra discret de Zach à l’arrière d’un scooter, puis finit idolisé en contre plongée, soleil en amorce, cheveux attachés et purifiés, dettes payées œil pour œil. À la manière d’une tragédie grecque les corps sont marqués par des cicatrices qui symbolisent les épreuves endurées. Les humains, transcendés par leurs souffrances, se métamorphosent en héros. D’un individu violent et marginalisé à un citoyen responsable et intégré.

Il donne du poids à cette idée en insérant dans sa mise en scène des références artistiques classiques et antiques. Le thème musical propre à Zach est L’Estate de Vivaldi, écrit pour le concerto des quatre saisons.Dans une scène de confession nocturne, l’éclairage naturelle de la lune dévoile les visages dans un clair obscure divin. Une récurrence de rouge au premier et au second plan sublime la scène, nous plongeant dans un tableau de Delacroix animé. Enfin, le titre du film n’est pas qu’une référence gratuite aux contes des Mille et une nuits. L’appellation persane « Shéhérazade » signifie « enfant de la ville ». Un caractère qui convient autant au personnage éponyme du film qu’à n’importe lequel des seconds rôles.

En réussissant le mariage parfait entre le style et le naturalisme, Jean-Bernard Marlin nous livre une première œuvre unique et intense, dans laquelle, la violence et l’amour ne cesse de croître. Une expérience qui nous arrache totalement à notre condition de spectateur pour nous plonger dans une réalité brutale et impitoyable.

Vous pouvez retrouver les autres lettres ici.

Voir la bande-annonce :

Auteur/Autrice

Partager l'article :