? Réalisateur : Todd Haynes (Carol, Dark Waters)
? Casting : Cate Blanchett (Carol, Blue Jasmine) Christian Bale (Batman Begins, Le Mans 66), Heath Ledger (The Dark Knight)
? Genre : Biopic
? Pays : États-Unis
? Sortie : 2007
Synopsis : Un voyage à travers les âges de la vie de Bob Dylan. Six acteurs incarnent Dylan tel un kaléïdoscope de personnages changeants : poète, prophète, hors-la-loi, imposteur, comédien, martyr et « Born Again ». Ils participent tous à l’esquisse d’un portrait de cette icône américaine définitivement insaisissable.
Comment évoquer la vie hétéroclite de Bob Dylan ? Touche-à-tout, aussi bien sur le plan musical que sur le reste, le prix Nobel de littérature 2016, poète plus que parolier, est une personnalité complexe et relativement obscure, si bien qu’un film consacré à son existence semble être une mission périlleuse, à défaut d’être impossible. C’est pourtant à cette tâche que c’est attelé Todd Haynes, peut-être le plus mélomane des réalisateurs de sa génération en 2006 avec I’m not there, déclinaisons en six opus de l’homme derrière Like a Rolling Stone.
Adapter l’esprit plus que la vie : tel semble avoir été le crédo de Todd Haynes pour concevoir son sixième film. Anti-biopic autant sur sa forme que sur son fond, I’m not there se veut l’antithèse des poncifs d’un genre. Prenant directement son spectateur à contre-pied, Todd Haynes nous plonge dès l’incipit dans son piège philosophique. En mettant ouvertement de côté, par le concept du film, Robert Allen Zinnemann au profit de Bob Dylan, la personnalité, le réalisateur nous offre un hommage spirituel, un témoin de l’héritage de l’artiste.
Six nuances de Bob Dylan : pour mettre en lumière l’artiste, Todd Haynes fragmente son esprit en six représentations, six tableaux dylanien qui, lié par le lien spirituel, sont autant de facettes de la personnalité du chanteur : le Arthur Rimbaud de Ben Whishaw, inspiration évidente de Dylan ; le Jack Rollins de Christian Bale, témoin de l’époque folk protestataire et de sa conversion au christianisme ; la Jude Quinn de Cate Blanchett, symbole de la période rock et l’éloignement des racines ; le Robbie Clark de Heath Ledger, incarnation du Dylan intime et de son couple avec Sara Lownds ; le Woody Guthrie de Marcus Carl Franklin, métaphore de l’enfance du musicien ; enfin, le Billy the Kid de Richard Gere fait référence à Pat Garrett et Billy le Kid, film associé à tout jamais à Dylan. Les représentations physiques y sont ici toutes symboliques : proches physiquement de Dylan quand les facettes sont publiques, Todd Haynes prend le parti de s’en éloigner lorsqu’on touche à l’intime. Ainsi, l’opposition de couleur de peau du Dylan de Marcus Carl Franklin symbolise le mensonge qui a longtemps entouré l’enfance du chanteur ; l’apparence féminisée du Dylan de Cate Blanchett, outre la représentation de l’androgynie parfois affublée au chanteur, est là pour montrer la rupture, la trahison musicale que son personnage représente dans ce tableau. L’idée n’est pas ici de portraitiser Dylan en y cherchant le mimétisme, mais bien de dépeindre l’esprit, dans des tableaux qui ne cesseront de s’entremêler, balayant toute logique chronologique.
Car si l’esprit est déconstruit, la forme l’est tout autant : en destructurant son récit, Todd Haynes met à mal nos pensées pré-conçues pour nous ouvrir à un spectacle unique en son genre. Mais, surtout, Haynes fait d’un point de vue cinématographique ce que Dylan faisait sur le plan musical : celui de bousculer les conceptions pour s’approprier de manière radicale son art, quitte à prendre le risque de nous laisser de côté. En un sens, le réalisateur californien se fait l’apôtre stylistique de Dylan : I’m not there s’ouvre à nous de manière schizophrénique, alternant les formes, comme l’avait fait le musicien avant, dans une richesse stylistique absolument harassante. Le fond et la forme semblent être ainsi en symbiose ; Todd Haynes connaît le cinéma et nous le démontre bien ici. Comme la musique de Dylan, chaque séquence, chaque tableau, chaque plan est l’occasion pour le réalisateur d’émerveiller, d’émouvoir, de captiver, par la richesse de ses compositions.
On touche finalement là au sublime d’I’m not there ; plus qu’un film, il est une errance dans l’esprit de Dylan. Une errance qui transite, tableau après tableau, Dylan après Dylan, dans les confins de l’esprit du musicien. Faussement complexe, I’m not there est une poésie, une poésie dylanienne, digne des plus grands morceaux. Il est ce train, qui borne l’ouverture et la fermeture du film, qui nous embarque pour un voyage unique, un voyage qui ne laisse pas indemne. Un train où l’on aimerait embarquer pour ne jamais le quitter, pour plonger dans cet hommage magnifique, digne du géant qu’il métaphore ; car I’m not there est indéniablement de la race de ses chef-d’oeuvre qui nous colle à la peau pour la vie.
Note
10/10
Poésie dylanienne, I’m not there est un de ses bijoux qui nous saisit sans crier gare, un de ses chefs d’oeuvre dont la flamme ne cesse jamais de brûler : en somme, le plus beau des hommages à Bob Dylan que pouvait rendre Todd Haynes.
Bande-annonce :
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