Il était une fois en Amérique est un drame américano-italien, réalisé en 1984 par Sergio Leone, avec Robert De Niro, James Woods, Elizabeth McGovern…

Synopsis : Il était une fois deux truands juifs, Max et Noodles, liés par un pacte d’éternelle amitié. Débutant au début XXe siècle par de fructueux trafics dans le ghetto de New York, ils voient leurs chemins se séparer, lorsque Noodles se retrouve durant quelques années derrière les barreaux, puis se recouper en pleine période de prohibition, dans les années vingt. Jusqu’au jour où la trahison les sépare à nouveau.

Pour sonder l’Amérique d’aujourd’hui, avec Il était une fois en Amérique, Leone travaille la notion de destin en mettant en relation la destinée d’un groupe de gamins avec celle de la société tout entière. On passe ainsi d’un monde où la violence n’empêche pas le rêve, la camaraderie ou le sens de l’honneur, à un autre bien plus adulte et bien moins vivant. Pour cela, il cible trois périodes distinctes : les années 20, 30 et 60, renvoyant aux différentes périodes de la vie d’un Homme. Mais cette composition, somme toute linéaire, serait peu passionnante si elle n’était nourrie par de subtils va-et-vient entre les époques, exprimant les réminiscences de la mémoire et le mal-être qui submerge les personnages. Mémoire et émotions deviennent ainsi étroitement liées, transformant un film de gangsters en œuvre profondément nostalgique : plus que les coups ou les balles, ce sont les souvenirs qui font mal en rappelant les espoirs déçus et les rêves de jeunesse à jamais perdus.

Robert De Niro (David « Noodles » Aaronson)

«- What have you been doing all these years ? – I’ve been going to bed early… »

La réplique, désormais célèbre, adressée par un Noodles vieillissant à son ami Moe, rappelle méchamment À la recherche du temps perdu, et ce n’est pas un hasard. Le destin de Noodles est celui d’un personnage proustien continuellement à la recherche de ce qui n’est plus : les amitiés vraies, les amours forts, la réalité colorée. Revivre son passé, comme pour se purifier ou se retrouver, tel est le drame de celui dont l’existence fut brisée par les mensonges et la trahison, telle est la tragédie de celui pour qui le présent ne signifie plus rien. Pendant que l’Amérique grandissait, il fut absent, oublié, presque mort. Pendant trente-cinq ans, il a dérivé du chemin tout tracé qui devait le mener à la gloire, à cette place sur le podium qui lui semblait « destinée ». C’est ce que nous révèle la phrase lâchée par Moe lors du temps des retrouvailles : «Moi, j’aurai parié sur toi (pour être le premier ou le champion) ». La phrase semble cruelle, mais en réalité c’est le présent qui l’est : aujourd’hui, tout le monde peut constater que Noodles n’a pas eu le destin qu’il aurait dû avoir. Et c’est bien parce qu’il incarne le destin brisé de l’Amérique que sa tragédie parvient ainsi à nous émouvoir.

Subtilement, Leone fait grandir sa tragédie en opposant les trajectoires de ses personnages, en faisant entrer en collision les dynamiques des uns et des autres. Ainsi, Max et Déborah seront toujours perçus à l’écran comme étant dans l’action, dans le mouvement, dans le temps présent qui est celui de l’Amérique actuelle ! Ils sont l’incarnation du parfait « self-made man », réussissant à gravir l’échelle sociale uniquement grâce à leur détermination et leurs propres moyens, aussi immoraux soient-ils (violence, trahison…). À travers eux, bien sûr, c’est l’évolution de la société qui est épinglée, avec cette criminalisation progressive des sphères dirigeantes : de décennies en décennies, le crime passe des trottoirs de la ville (années 20) à une organisation mafieuse influente (les années 30 et la gangrène qui gagne le milieu syndical), avant d’intégrer le milieu politique dans les années 60. Contrairement à eux, Noodles est un homme passif, pensif, méditatif, désirant moins le pouvoir que le cœur de Déborah. D’une certaine manière, c’est un homme qui n’a pas évolué, ni en bien ni en mal, et qui est resté cet adolescent rêvant d’amourette et de camaraderie, éprouvant des sentiments purs qui s’accordent mal avec un monde souillé par la médiocrité humaine.

C’est ce que nous laisse entendre Leone en ponctuant son récit de plusieurs allusions au bain purificateur, comme la scène où Noodles envoie à l’eau les oripeaux du gangster qu’il est devenu (costume, arme, etc.), ou encore celle où il convie Max à oublier ses activités criminelles pour le suivre à la plage. L’eau fait ainsi office de promesse symbolique, celle d’un hypothétique retour aux sources et à la pureté de l’enfance. Si la vie d’autrefois est joliment exposée, avec ces moments de joie qui font oublier la violence quotidienne, la survenue de la mort nous révèle une réalité des plus amères : le meurtre de Dominic scelle en effet la fin de toutes les réjouissances. Le « I slipped », qu’il murmure, annonce la chute symbolique du monde de l’enfance (Noodles perd son innocence, plus rien ne sera comme avant) et de la belle Amérique (le pont de Brooklyn, jusqu’alors magnifié, va perdre de son éclat). Le « nouveau monde » devient alors celui de la désillusion : les héros d’autrefois se transforment en salauds ; quant à la réussite, maintes fois idéalisée, elle ne s’offre qu’aux cyniques ou aux fossoyeurs des tendres sentiments…

James Woods (Maximilian « Max » Bercovicz)

Mais plutôt que de sombrer dans le pessimisme le plus complet, Leone conclue son film par une leçon de vie, dont la moralité serait : « bien mal acquis ne profite jamais ». En effet, l’échange final entre Noodles et Max peut être assimilé au traditionnel duel du western, si ce n’est que, cette fois-ci, ce sont les mots et les silences que l’on dégaine pour désigner le véritable vainqueur (de l’existence). Et pour le connaître, nous ne devons pas attendre longtemps : aux paroles de celui qui se présente comme un traître, répondent le calme et la sérénité de celui qui a toujours été fidèle à la vie comme aux amitiés ! La victoire morale de Noodles prend une dimension éminemment symbolique lorsque la séquence bascule dans le fantastique, lorsqu’un camion-benne s’enfonçant dans les ténèbres devient l’emblème du cauchemar éveillé de l’Amérique d’aujourd’hui.

On le voit bien, au-delà de la morale, c’est le style de Leone qui étonne et marque les esprits, c’est sa gestion des sonorités, des images ou du rapport au temps, qui impressionne notre imaginaire et donne au propos tout son poids. Il était une fois en Amérique, plus qu’un simple conte ou film de gangsters, s’apparente à un véritable éloge de l’art en général, et du cinéma en particulier, pour savoir appréhender le réel et finalement secourir nos vies. Ainsi, en bornant son récit par des plans montrant un théâtre d’ombres, Leone suggère à son spectateur ce que sera la destinée des différents personnages ; ou de tous ceux, plus généralement, qui pensent que l’apparence de la réussite équivaut au véritable bonheur ! C’est ce qui arrive à Max qui s’attarde sur le superficiel, tout en oubliant l’essentiel, les richesses du cœur et les trésors de l’enfance. Par contre Noodles, lui, échappe au piège, comme il échappe à ses poursuivants au début du film, grâce à l’opium, certes, mais surtout grâce au cinéma. Et au fond, qu’est-ce que le cinéma, si ce n’est une drogue qui permet de voir le réel autrement.

Ainsi, le travail effectué sur les couleurs ou lumières va permettre à Leone de célébrer avec élégance la noblesse du cœur (les séquences liées à l’enfance sont lumineuses, tandis que la photographie devient plus sombre lorsque le cynisme gagne l’écran…). De même, la place prépondérante accordée à l’univers sonore lui permet de souligner avec finesse son propos (le Childhood Memories de Morricone pour évoquer la nostalgie, les motifs sonores en guises de madeleines proustiennes (le Yesterday des Beatles, la sonnerie de téléphone…), les silences qui renvoient à la violence ou au drame intime, etc.). Une justesse portée également par les acteurs, avec notamment un duo De Niro/ Woods assez bluffant. Les exemples sont nombreux, citons simplement le choix des images qui nous révèle avec pertinence la médiocrité humaine (le sadisme, le viol), ou encore la délicatesse d’une mise en scène qui sait associer regard (du spectateur) et beauté (de l’existence), comme en témoigne cette scène magnifique où Noodles entraperçoit sa danseuse de rêve et goûte de nouveau à son baiser. Le cinéma est alors un art de géant, n’en doutons pas, capable à lui seul de mettre en lumière l’essence même de la vie, ou d’illuminer les visages bien trop souvent assombris.

Once upon a time in America – Robert De Niro

Note
9/10


Odyssée nostalgique et mélancolique, Il était une fois en Amérique est autant l’oeuvre testamentaire d’un géant qu’une madeleine de Proust offerte aux amoureux du cinéma.


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