Attention ! Cette critique peut contenir des spoilers.
Présenté en compétition au dernier Festival du film d’animation d’Annecy, Flow a raflé 4 prix ! Chouchou du public et du jury, le film de Gints Zilbalodis a conquis jusqu’à votre rédacteur, qui rédige ces lignes avec fierté. M’étant brièvement entretenu avec son auteur, laissez-moi vous introduire à cette jolie pépite du cinéma d’animation.
Dans un monde vide d’humains où réside quelques traces de notre passage, le niveau des océans monte au point de tout emporter. Livrés à eux-même, les quelques animaux que l’on suit embarquent pour un long voyage…fait d’entraide, de rencontres et de dangers.
Flow, Une odyssée
Flow est une œuvre tranchée dans ses choix. Dès l’ouverture, on constate le travail sur la lumière et les textures des décors (notamment l’eau). On remarque aussi que la même consistance ne s’applique pas au rendu des personnages, dont la fourrure ou plumage semble en basse résolution, comme tout droit sortie d’un jeu PS3. Flow est le fruit d’une production un peu spéciale, puisque très peu d’artistes ont travaillé dessus. À ce niveau, c’est presque un film confidentiel qui, en raison de cette logistique, a certainement dû faire des choix.
Dans tous les cas, notre ami le Chat et cette nature ne se démarquent pas vraiment par sa direction artistique ou sa qualité technique. Cela en fâchera quelques uns, certes. Mais le tour de force du film réside ailleurs : dans ce voyage aux contours flous, à la signification incertaine et aux enjeux peu tangibles, il subsiste un sentiment d’étrange plénitude. Comme un rêve amer, un peu triste, vaporeux. Sensation renforcée par la répétition des scènes de pêche, de disputes du groupe, du soleil qui se perd entre les arbres. Il est difficile de voir où va vraiment le film. Le récit semble naviguer à vue de nez, pour retomber sur son statu quo.
Je ne vous ferai pas le coup du « c’est le voyage qui compte » puisque la destination atteinte par notre Chat et ses amis convoque toutes sortes de références et d’images, d’une force et d’une grâce rarement partagés (en dehors de capsules contemplatives et obscures que renferme le ciné d’Art et Essai).
Le Chat est la figure centrale du film. Passant de rencontres en rencontres, ce sont ses traits et ses qualités qui lui donneront l’avantage de la survie. S’il est peureux et méfiant, il fait preuve d’ingéniosité et de courage là où les autres animaux, passifs, laissent les choses se décider pour eux. Et cet élément est sûrement le plus important de tous.
la force des choses
L’Eau, cette puissance instoppable qui recouvre et repousse tout un monde, est une image très évocatrice de la Nature. On ne peut la contrôler, seulement s’y adapter. Flow évoque de suite des œuvres telles que L’Odyssée de Pi ou encore La Prophétie des Grenouilles. Des films qui partagent cette destinée volée et incertaine d’un groupe de rescapés au gré des vagues. Il est des films qui traitent du rapport de force des choses, comment une fois réduit par cette force, les personnages réagissent, se réinventent, pour contrecarrer cette entité, cette décision absolue.
Dans Flow, le courant d’eau qu’ils traversent est le flux de la vie. Un chemin tracé et obligatoire, que l’on emprunte tous, à différents degrés de vitesse. On y fait des rencontres, belles ou mauvaises, qui nous marquent. L’une va nous élever, quand l’autre remettra tout en question. C’est de cette idée très simple que le film va partir, l’extrapolant au point de s’en réduire presque entièrement.
Voyez-vous, j’ai pu rapidement parler au réalisateur après sa présentation du film. Je lui ai demandé s’il avait vu L’Odyssée de Pi auparavant. Il m’a dit : « Flow m’a été très difficile à faire. Il provient d’un premier court-métrage que j’ai réalisé, sur lequel j’ai rencontré beaucoup de difficultés. Flow raconte mon histoire. » Ainsi, Gints Zilbalodis est la clé de tout. Il est ce chat, qui lutte pour remonter le flux incessant des choses, aux côtés de compagnons de fortunes faits sur le chemin. Ce bateau, c’est celui non pas d’une arche salvatrice, mais d’une insécurité totale, faillible, qui ne tient que par la force de la conviction. Aucun de ses passagers ne sait vraiment comment il marche, où aller, mais s’y tient.
La figure de l’Oiseau est celle qui se démarque le plus. En dehors du Chat, il est le seul à connaître un arc clair de personnage, même le luxe d’avoir une finalité. Il se bat pour le Chat, lui qui ne le connaît pas. Il se retourne contre les siens qui le brisent, le rejettent. Prenant les commandes du groupe, cet imposant volatile les mène au pic rocheux qui semble être la raison du cataclysme. Climax du film, apothéose absolue, l’élévation du volatile à cette figure quasi-mystique interroge. Est-il mort ? Est-il la clé de l’intrigue ? Ce sacrifice, c’est celui du passage de flambeau peut-être. Sûrement la figure déguisée d’un producteur qui a permis au film d’exister ! Au sein du récit, cette guérison de la nature passe par la mort du mentor du héros. Et ce héros, parlons-en.
une faune allégorique
Le Chat est une figure intéressante. Il est mignon, suscite des « awww » chez ceux qui y sont sensibles. Cette figure a-t-elle été choisie parce qu’elle vend ? Doutons-en tant le film se refuse tout money shot, de moments frontalement beaux dans la composition de plans et dans sa lumière (bien qu’il pourrait se permettre de se vendre dessus). Le Chat est connecté à nous. Donc, on craint d’autant plus qu’il lui arrive malheur. Le choix est judicieux, puisqu’il joue de notre rapport à la figure animale. De solitaire, il passe à guidé, aimé, protégé. Sa demeure du début, celle d’un humain disparu, est remplie de dessins et statues de chats. Le héros vit littéralement entouré de reflets de lui-même, égocentré, ne connaissant que ce qu’il est, lui. En étant emporté par le courant de la vie et de ces évènements, il a affaire à bien des gens qui lui sont inconnus.
En vérité, Flow raconte l’interaction et la communication sociale d’êtres radicalement opposés, que seule la force des choses a rassemblé. Ainsi, on observe des archétypes d’humains se refléter dans les archétypes d’animaux. À comprendre, les espèces sélectionnées ici ne sont pas le fruit du hasard. Chacun va catégoriser une humeur, un comportement, qui sera son arc narratif. Un capybara lourdeau et paresseux…mais fort et loyal. Un lémurien avide de possessions…qui finira par préférer ses amis. Un chien, ennemi naturel du protagoniste, quittant sa meute pour rejoindre sa famille de fortune. C’est simple, simpliste même. Mais l’allure de conte correspond parfaitement au ton du film. Il lui confère son universalité, son message principal d’entraide forcée par la survie.
Autre personnage dont je n’ai pas parlé, cette baleine, responsable de la meilleure scène de tout le film. Son apparition rime avec salvation, puisqu’à trois reprises, elle sauve le Chat. Créature venant du monde contraire à ceux des autres, vivant dans cette eau tourbillonnante, elle est pourtant attachée à cet univers au même titre qu’un chien, un oiseau ou un chat. L’ami rencontré dans l’adversité, ou l’inconnu, est celui qui remet les choses en perspectives.
De tout cela naît une théorie intéressante. Le dernier plan, c’est celui du groupe, s’observant dans une flaque d’eau. Le reflet. Leur image. Ils agissent comme s’ils ne le connaissaient pas. Jusqu’ici, c’est évident qu’il ne s’agit pas que d’une simple allégorie, mais bien d’une interprétation crue de son propre vécu par l’auteur. La place de l’Animal traduit l’universalité, rapproche de l’essentiel. Peut-être ces personnages sont des humains changés ? Peut-être l’étaient-ils autrefois, leur personnalité identique, le trait étiré en une forme animale adéquate ?
Flow est un film qui se refuse la facilité. À tord ou à raison, il est ce qu’il a voulu être, à charge de tant de ressentiment, envers ce que la vie nous mène à rencontrer. Nous serons témoins des disparitions, tout comme nous vivrons des rencontres magnifiques. Dans cet univers graphique épuré et morne, le soleil et l’eau dansent et se complètent. Et en définitive, oui : notre Chat a finalement appris à nager.
Flow sortira en salles le 30 octobre 2024. En attendant, découvrez la bande-annonce.
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