? Réalisateur : Brian de Palma (Phantom of the Paradise, Mission Impossible, Scarface, L’Impasse…)

? Casting : John Travolta (La Fièvre du samedi soir, Grease, Pulp Fiction, Volte-Face), Nancy Allen (Robocop, Carrie au bal du diable, Pulsions), John Lithgow (Obesession, Cliffhanger : Traque au sommet, Dexter)….

? Genre : thriller, policier

? Pays : Etats-Unis

? Sortie : 24 juillet 1981 (Etats-Unis), 17 février 1982 (France)

Synopsis : Un soir, dans un parc, Jack Terry, ingénieur du son, enregistre des ambiances pour les besoins d’un film. Il perçoit soudain le bruit d’une voiture arrivant à vive allure. Un pneu éclate. Le véhicule fou défonce le parapet et chute dans la rivière. Jack plonge et arrache à la mort une jeune femme, Sally. Mais le conducteur est déjà mort…

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Tout comme celui de chef-d’œuvre, le terme de film-somme semble être devenu au fil du temps partiellement galvaudé, appliqué à tort et à travers à des œuvres qui n’ont pour elles que les thématiques habituelles de leur cinéaste.
Pourtant, le terme revêt une notion beaucoup plus absolue que cela : qualifier un film de film-somme, c’est le graver dans le marbre, en faire, au sein d’une carrière, le sommet d’un réalisateur en termes de personnalité. C’est, potentiellement, pouvoir résumer une filmographie et ses obsessions à une seule œuvre, aussi réussie soit-elle. C’est donc prendre aussi le risque d’en retirer la magie, en en découvrant toutes les ficelles, et les liant au sein d’une gigantesque toile.
C’est donc un terme qui, autant que chef-d’œuvre, doit se targuer d’une utilisation parcimoniale, au risque d’être vidé de sa substance. Et c’est pourquoi l’auteur de ces lignes use de la plus grande prudence pour écrire ceci : Blow Out, dans la longue et tumultueuse carrière de Brian de Palma, pourrait être considéré sur de nombreux aspects comme le film-somme de son réalisateur. Et au-delà, être un exercice stylistique fabuleux, l’un des pinacles de sa carrière.

La genèse de Blow Out fut loin d’être une sinécure pour Brian de Palma. Au sortir du succès de Pulsions (près de 32 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis pour un budget de 6,5 millions), le réalisateur se trouve en effet dans une impasse thématique importante : lassé de ne se voir résumé qu’à un réalisateur de films de genre, il souhaiterait revenir à un cinéma plus « classique » et hollywoodien pour casser ainsi son image et lui permettre, à l’avenir, de diversifier ses choix de carrière.
C’est ainsi qu’il fut attaché un temps à Flashdance, mais considérant le scénario comme « débile » et agacé que le duo Simpson-Bruckheimer refuse de produire son scénario Act of Vengeance, il réclama volontairement un cachet astronomique, ce qui conduisit la Paramount à le retirer du projet.

Mais le projet le plus important à cette époque est l’adaptation du livre Prince of the City de Robert Daley, qui narre l’histoire vraie de Robert Leuci, policier ayant dénoncé la corruption de plusieurs de ses collègues, dont certains se sont suicidés.
Déjà pour ce film, De Palma imagine John Travolta dans le rôle principal, persuadé qu’il dispose du charme nécessaire pour incarner et faire accepter à l’écran les actes amoraux de Leuci. Il écrit le scénario avec David Rabe, mais est finalement débarqué du projet par Orion Pictures, qui choisira pour le remplacer Sidney Lumet, lequel réécrira le scénario avec Jay Presson Allen pour sortir le film en 1980. Il choisira Treat Williams pour le rôle principal, un choix qu’estime mauvais De Palma, ne trouvant pas l’acteur « suffisamment charismatique ».

Ce projet avorté pour le réalisateur pourrait n’en être qu’un parmi tant d’autres dans une carrière mouvementée. Mais son influence sur Blow Out est suffisamment importante pour le considérer.
Déjà, il imagine pour les deux rôles principaux John Travolta (même si Al Pacino est d’abord pressenti pour Blow Out, refusant car indisponible). A l’époque, les deux hommes ne se sont croisés que sur Carrie au Bal du diable en 1976 (où l’acteur n’avait qu’un rôle mineur, celui de Billy, petit ami de Chris incarnée, déjà, par Nancy Allen). Mais entre temps sont sortis deux œuvres majeures : Saturday Night Fever en 1977 et Grease en 1978. Deux coups de maître qui vont devenir les emblèmes de toute une génération, celle de l’époque disco et celle d’une jeunesse en quête de libertés. Deux films qui vont installer John Travolta comme une icône, un sex-symbol. Et deux films qui pèseront lourd dans la réception de Blow Out.

Brian de Palma, John Travolta et Vilmos Zsigmond. Blow Out.
Les artisans à l’ouvrage…

Mais le personnage de Jack Terry (John Travolta donc) partage avec celui de Danny Ciello dans Le Prince de New York des similitudes troublantes dans sa relation avec la police. Il est en effet, au détour d’un simple phrase, accusé d’avoir « coulé plus d’un flic » par l’inspecteur chargé de l’enquête, ce à quoi Terry répond un « pas d’accord » plutôt mou, laissant planer le doute ; mais surtout son flashback à Sally (Nancy Allen, que Travolta voulait absolument dans ce rôle au grand désarroi de De Palma) où il admet un sentiment de culpabilité face à la mort d’un policier en infiltration.

Blow Out, au milieu des obsessions de son réalisateur, est donc aussi marqué par un échec, celui d’un cinéaste qui n’a pu aller au bout d’un projet qu’il a porté à bout de bras.
Nommé au départ Personnal Effects, Blow Out n’en reste pas moins une œuvre très personnelle, que De Palma voyait au départ comme un film à petit budget, dans lequel il brasse nombre de ses obsessions.

Comme souvent chez Brian de Palma, toute la construction de son film est marquée par une idée fixe, quasiment une monomanie : le complot et l’assassinat politique. C’est un film extrêmement personnel pour le réalisateur.
C’est lors du mixage de son film précédent, que l’idée d’une « pièce manquante » sonore d’une affaire aussi compliquée que celle de l’assassinat de John F. Kennedy (1963) lui vient en tête. Une affaire devenue obsessionnelle chez lui, dont il prétend connaître tous les détails, et qui se retrouve évidemment dans Blow Out, qui tourne autour de la résolution d’un meurtre déguisé en banal accident, complot dont le personnage principal devient obsédé.
Plus directement, le film s’inspire de l’accident du sénateur Edward Moore Kennedy en 1969 sur l’île de Chappaquiddick, tout en inversant l’issue finale : dans la réalité, le sénateur se sort indemne de l’accident, tandis que la jeune femme qui l’accompagnait en périt.

Mais les influences ne s’arrêtent pas aux simples sujets de société. De Palma est avant tout un homme de cinéma, et Blow Out peut être considéré comme la synthèse de deux œuvres purement cinématographiques : Blow Up de Michelangelo Antonioni (1966) et Conversation Secrète de Francis Ford Coppola (1974). Dans le premier, l’image sert de point de départ à la résolution d’un meurtre ; dans le deuxième, le son est au cœur d’un dilemme moral ; dans Blow Out, toute l’idée est de réunir les deux.
En ce sens, Brian de Palma fait l’un des films les plus purement cinématographiques qui soient. Il atteste d’un avantage évident du cinéma sur quasiment tous les autres arts : sa faculté de synthétiser les arts et les techniques tout en conservant, par le montage, son unicité. Le montage, lui aussi, est au cœur de Blow Out une donnée importante : toute la progression narrative se construit sur la nécessité de faire coïncider l’image et le son, de créer la réalité. C’est ainsi que le montage du film se ponctue de séquences purement techniques, où le personnage de Jack Terry ne s’emploie ni plus ni moins qu’à exercer un travail cinématographique : synchroniser le son avec l’image, découper une bande sonore, réécouter encore et encore ses prises… Dans Blow Out, le Septième Art devient la composante principale du récit, et sa technique une arme contre les complots ourdis en haut lieu.

Par ce choix de récit, De Palma rappelle que le cinéma, plus que tout autre art, résonne dans notre réalité. Bien qu’il n’en soit que le simulacre (et c’est aussi tout le problème de Jack Terry dans cette affaire), cette fusion de l’image et du son couplée au montage est artistiquement ce qui peut se rapprocher le plus d’une forme de vérité, indicible et ineffable, et qui offre à cet art une portée émotionnelle et cognitive sans commune mesure car facilement confondante. C’est là tout le message de De Palma : le cinéma peut changer le monde, l’art être le catalyseur d’une nouvelle forme de réalité. Plus que la révéler, Jack Terry en crée une nouvelle, une autre vision d’un événement qu’on ne saurait voir, et ainsi, devient lui-même un créateur, avec l’obsession que cela implique.
C’est ainsi que les techniques habituelles, voire pour ses détracteurs rébarbatives, du cinéaste, sonnent ici, consciemment ou non, comme une interrogation sur la porosité entre le cinéma et la réalité.
La scène d’introduction, très clairement le pastiche, voire par certains aspects la parodie, du slasher et plus particulièrement d’Halloween (1980), dont elle reprend la trame et la mise en scène, en est un exemple probant. Rien, dans cette scène, ne nous est prouvé être un film, jusqu’au fameux cri nanardesque de la jeune actrice qui fait rire jaune son réalisateur en salle de montage. Cette décision, apparemment anodine, n’en est pas une. L’avertissement de De Palma est clair : ne croyez pas ce que vous voyez. Les images sont hautement manipulatrices, et ne vous offrent qu’une vision faussée de la réalité.

Capture d'écran du film Blow Out.
Image et montage.

Dans cette même dénonciation intervient un des gimmicks de De Palma : le split screen. Son utilisation la plus symbolique intervient également en début de film, mettant en face à face Jack Terry en train de s’affairer à monter une bande et un journal télévisé évoquant le jour du Liberty Day à Philadelphie ainsi que la réaction de McCarthy à l’événement. Mettre ces deux éléments côte-à-côte (d’autant plus qu’il y fait défiler le générique du film, comme un rappel de la facticité de l’image) est un nouveau moyen pour le cinéaste d’exercer sa diatribe envers l’univers médiatique, plus particulièrement la télévision (ce sera également le cas dans Le Bûcher des vanités en 1990). Une télévision qui manipule les images et la parole (par le choix des mots des présentateurs) comme Jack Terry manipule le son sur son banc de montage : tout n’est qu’affaire de montage, au cinéma de prime abord, mais aussi à la télévision, qui n’est finalement pour De Palma qu’un autre instrument de manipulation de la réalité. Une idée que le split screen rend encore plus brillante puisque l’on se retrouve face à une triple évocation d’une seule et même idée : Jack Terry manipule le son, la télévision manipule les images, De Palma manipule ces deux images. Une sorte de boucle, où la forme rejoint le fond, où le style s’adjoignant à l’image lui confère une nouvelle portée démesurée.
Le réalisateur est également friand des longues séquences continues, voire de plans-séquence (Snake Eyes, faisant reposer le récit sur cette technique, en est l’exemple le plus criant). Et dans Blow Out, quoi de plus normal que d’user d’une telle technique qui, ramenant le temps à sa dimension réelle (ce qui pousse certains à la surinterpréter et en faire l’élément cinématographique le plus proche de la réalité), redonne au film une dimension véridique ?
En ce sens, la séquence où Jack Terry se met à la recherche de la bobine volée retranscrit parfaitement cette idée : la caméra effectue un panoramique circulaire, telle une pellicule tournant dans le projecteur. Dans ce mouvement cyclique, Jack, apeuré, fouille les moindres recoins de son bureau à la recherche de son sésame, la clé de ses obsessions. Si la caméra symbolise dès lors, dans un élan poétique, un objet purement cinématographique, elle est aussi, par ce mouvement cyclique, l’image d’un Jack Terry qui tourne en rond et dont les pensées deviennent floues, chamboulé qu’il est par la perte de ce qui, depuis l’accident dont il a été témoin, est le moteur de son existence.

Mais point de verbiages, car Blow Out va au-delà de ce simple postulat élégamment traité, et dont nous n’avons traité ici que la partie visible de l’iceberg.

Car si le film ne se contentait que d’être une sorte de méta-film, un film qui userait de ses propres techniques pour raconter son récit, il ne serait finalement qu’une œuvre parmi tant d’autres, notamment les deux précédemment citées dont il s’inspire directement. Son unicité, il la doit aussi à sa nature double : celle d’être un thriller politique et un film sur le cinéma. Et si l’on a évoqué ce dernier et son excellente manière de s’insérer dans le récit, le thriller politique n’est pas en reste, notamment grâce à une galerie de personnages tirés au cordeau.

Les personnages secondaires, s’ils n’ont pas pour eux l’audace d’une écriture originale, gagnent en épaisseur au fur et à mesure du récit. Tout le scénario étant construit sur un jeu de dupes, la révélation d’un complot grâce à la synthèse de plusieurs indices, le film construit plusieurs séquences comme des révélations ou des ironies dramatiques, où nous apprenons plus que le personnage principal, semblant parfois être bringuebalé par le récit plus qu’en être le moteur. Par ce principe, le film donne une enveloppe à ces personnages qui d’habitude n’auraient paru que très ordinaires voire clichés, et donne plus de profondeur à ce récit d’un complot politique qui aurait pu apparaître ridiculement complotiste.

Burke (John Lithgow) et Sally (Nancy Allen). Blow Out.
Une figure inquiétante…

Il revient ainsi dans Blow Out une gimmick récurrente de la filmographie de De Palma : la figure du double. Une manière évidente de suggérer la dualité et donc la part sombre commune à tout autre humain. Dans Blow Out, cette figure se matérialise entre deux personnages autant qu’au sein d’un seul. Jack trouve un double en Sam, le réalisateur, un personnage de technicien rappelant dans certains de ses aspects Brian de Palma (Samuel Blumenfeld évoque même, dans la préface du film, qu’il a plusieurs fois aperçu De Palma avec la veste que porte ce personnage dans le film) ; il trouve en Sally, que Nancy Allen incarne avec une candeur remarquable, un double affectif à même de combler un vide (et ce même si De Palma a l’intelligence de ne pas faire de l’histoire d’amour le point central, en sacralisant la sexualité) ; Sally possède en outre ce double, coincée entre la jeune fille naïve avec Jack et la prostituée vénale avec Manny Karp, faisant écho à la prostituée tuée par Burke à la fin du film ; Manny Karp, le photographe, lui-même le double du réalisateur Sam (deux créateurs sans grand talent). Jack peut également trouver son équivalent dans le personnage de Frank Donahue, journaliste dont l’obsession, cette fois-ci pour le buzz, le pousse inlassablement à la recherche de Jack puis de Sally.
Dans cette optique du double (qui trouve son expression évidente dans le split screen), celui qui unit Burke et Terry est sûrement le plus intéressant. On estime souvent qu’un méchant est réussi quand il poursuit le même objectif que le personnage principal. Et ici, Burke comme Terry sont tous deux à la recherche des preuves, l’un pour les livrer, l’autre pour les détruire. Mais tous les deux sont construits par la même obsession et la même minutie des détails : Terry passe le film à rechercher dans le détail l’élément qui lui fera prendre conscience de l’ensemble, et poursuit avec acharnement son but, révéler au grand jour ce complot ; Burke prépare minutieusement son plan final (en allant au-delà de ses prérogatives) pour camoufler un complot politique en une « banale » affaire de tueur en série.
Jack comme Burke œuvrent avec une grande détermination à la réussite de leurs plans, parfois jusqu’à l’obsession du détail. C’est là que le film prend une dimension tragique : le personnage principal, poursuivant un idéal de vérité, voit son obsession prendre le pas sur sa morale, jusqu’à risquer le pire, et finalement devenir aussi obsessionnel que sa némésis. Et c’est dans ce cadre-là que la fin intervient. Une des fins les plus sombres, les plus pessimistes, et pourtant les plus belles de l’histoire du cinéma.

Evidemment, les spoilers seront de mise dans cette partie, puisqu’elle révèle la fin de l’intrigue. Nous vous conseillons donc, déjà de voir Blow Out mais en attendant de sauter à la partie suivante, après la prochaine photo, où nous évoquerons la réception du film.
Vous êtes toujours là ? Commençons.

Cette fin est brillante tout d’abord parce qu’elle laisse le personnage principal sur un échec total, non seulement de son objectif, mais aussi de sa propre philosophie.
Plutôt que de se concentrer sur le combat de l’individu contre un complot systémique (qui pourrait donner une fin sombre mais laisserait le personnage félicité de sa juste morale), le film montre justement les conséquences d’une obsession et la cynisme de la vérité absolue. A compter de la séquence de la gare, à l’issue de laquelle Sally perdra la vie, ce ne sera plus qu’une inexorable chute pour un personnage qui va voir le château de cartes minutieusement construit s’effondrer en quelques heures.
Lorsqu’il se rend compte qu’il a envoyé Sally dans la gueule du loup (puisqu’elle a rendez-vous avec Burke, qui l’a contactée en se faisant passer pour Frank Donahue), Jack mettra tout en œuvre pour la retrouver. Il ira jusqu’à mettre en danger des centaines d’individus : le final se passant le jour du Liberty Day à Philadelphie, les rues sont bondées et Jack manque plusieurs fois d’heurter des personnes, jusqu’à son accident.
De là, se réveillant quelques heures plus tard (à se demander ce que Burke et Sally ont bien eu à se dire, la nuit ayant eu le temps de tomber), il accuse un retard trop important, et Burke finira par tuer Sally. Le tuant avec son propre pic à glace, dans une mise en scène qui symboliquement le fait se poignarder lui-même, il élimine la seule personne qui aurait pu témoigner de ce complot politique. Et c’est ainsi que, seul avec l’être aimé dans les bras, il contemple désespéré le désastre qu’il a causé, alors qu’une contre-plongée le place ironiquement dans un cadre bouché par les feux d’artifices. La ville est en fête, mais un homme, Jack, est en deuil.

Il a donc mis en danger la femme qu’il aimait, et tout cela n’aura servi à rien, puisque sa théorie ne sera jamais dévoilée au public et que Burke n’est plus en vie pour en attester. Même sa colère reste sans conséquences, les informations déclarant que Sally et Burke se sont entre-tués. Au final, le film est pour Terry une longue bataille qui aboutit sur un vide, un échec. C’est pourquoi le personnage, détruit, dont le bureau est complètement saccagé, finit seul sous la neige, l’enregistrement des derniers instants de Sally à l’oreille. Cette neige, symbole de l’effacement, qui efface le sol en dessous comme Jack a effacé lui-même les traces du complot, sonne comme d’un pessimisme effarant : Jack se retire d’un monde qu’il a voulu rendre meilleur pour rester à écouter un moment précis, autant de fois qu’il le désirera. Le souvenir deviendra alors un salut autant qu’une souffrance, le rappel de l’être aimé tout comme la preuve de son échec.

Un cri. Un simple cri. Voilà ce qui constituera le souvenir de Jack. Celui de Sally, l’appelant au secours. Un cri déchirant, qui finira comme un son utilisé dans le film de série Z montré au début du film, fermant la boucle. Brian de Palma offre ici une de ses fins les plus sombres, parce que reposant sur un aspect dérisoire : un cri d’effroi qui précède la mort finit dans un film condamné à l’oubli. D’une idée anecdotique (Brian de Palma s’était rendu compte, avec surprise, que des passages de Lawrence d’Arabie étaient utilisés dans des banques de sons), le cinéaste trouve une idée aussi formidable que scabreuse, et qui sonne pour le personnage comme une punition de son obsession.
« It’s a good scream », déclare et répète Terry dans un souffle, auquel Travolta (qui partage, coïncidence ou non, les initiales de son personnage) donne une fragilité encore jamais vue chez lui. La technique et l’émotion se rejoignent dans une douloureuse ironie, pour un homme condamné à un chemin de croix et l’échec complet de ce qu’il croyait vertueux.
Vouloir lutter contre un système peut parfois coûter plus cher que votre vie : une leçon que Terry apprend à ses dépens. Même si Brian de Palma s’était assuré le final cut et cette fin sombre, nul doute que cette conclusion noire a du faire frémir les producteurs ; mais c’est peut-être aussi ce qui la rend grandiose : uniquement du fait du réalisateur, son complet pessimisme lui offre une portée démesurée, assurant au film un final parfait.

Fin des spoilers.

It’s a good scream….

Au vu de cette critique, voire ce panégyrique, il semblerait étonnant que le film ait été un échec à sa sortie. Et pourtant…

C’est tout d’abord un échec financier : pour un budget de 18 millions, le film en rapporte 13,7 sur le territoire américain. La critique le voit comme un thriller politique banal, même si de grands critiques comme Roger Ebert et Pauline Kael louent ses qualités. Kael le voit à l’époque comme le meilleur film de De Palma, un renouvellement de son travail. Elle compara même la sensibilité physique « vibrante » de Travolta à celle de Marlon Brando, et déclare dans sa critique du 27 juillet 1981 dans le New Yorker : « Seeing this film is like experiencing the body of De Palma’s work and seeing it in a new way […] It’s a great movie ».
Si le passage du temps a fait son œuvre et que la critique et le public ont réévalué l’œuvre, la sentence à l’époque fut une déchirure pour Brian de Palma, pour qui ce projet très personnel revêtait une grande importance. Il déclare à l’époque s’être « mis à nu dans ce film », rendant son échec encore plus douloureux. Ses rêves de faire de Travolta sa muse, comme Scorsese l’a fait avec De Niro, sont stoppés nets par ce film : les deux hommes ne travailleront plus jamais ensemble, et la carrière de Travolta finira par plonger dans les années 80, jusqu’à la résurrection Pulp Fiction.

Mais comment expliquer cet échec proprement retentissant ?

Tout d’abord, et au grand dam de De Palma, l’une des principales raisons de son échec est à imputer à son acteur principal. Comme évoqué en introduction, John Travolta est à l’époque une superstar, adulée des foules après le triomphe de La fièvre du samedi soir et Grease. Et même si le premier brille lui aussi par un certain pessimisme (et s’achève sur une note douce-amère), pour le grand public, Travolta est un emblème positif, une figure centrale de son époque. Blow Out est son premier grand rôle « sérieux », lui qui a à cœur de sortir de cette image qui lui colle à la peau et dont il sent qu’elle ne résistera pas à l’épreuve du temps. Blow Out et son personnage torturé de Jack Terry sont donc une opportunité en or. Mais le public de l’époque, et De Palma l’admet sans sourciller, a ses attentes concernant la star, s’attendant probablement à une histoire d’amour avec Nancy Allen, et est déçu de découvrir un film sombre.
Le petit budget prévu au départ atteste du souhait de De Palma de faire avant tout un film personnel, mais la présence de Travolta fit monter le budget et créa des attentes que le film n’aura jamais eu la prétention de combler.

La nature relativement hybride du film a probablement elle aussi décontenancé les spectateurs. Le thriller politique se mêle à un film meta, pour s’achever par une séquence d’action spectaculaire, à grand renfort de figurants et de plans en hélicoptère : le mélange des genres semble parfois chancelant. Si la séquence d’action de fin est réussie, elle sonne plutôt faux dans un film qui tendait jusque-là à l’intimiste, l’intérêt pour le détail, et qui se rapprochait bien plus du film à petit budget qu’il était à l’origine. Là, l’ensemble ne semble pas à sa place, et si le récit reprend vite ses thématiques de départ, on a l’impression d’une grande parenthèse spectaculaire dans un film qui n’en demandait pas tant.
Cet aspect meta, où la technique cinématographique devient moteur du récit, a également du faire lever des sourcils d’étonnement à des spectateurs qui s’attendaient à voir le Travolta de Grease. Et il n’est en effet pas forcément évident d’être sensible au travail d’un preneur de son si on n’en est pas familier ou curieux. Trop centré sur lui-même, Blow Out ? Sans doute, mais c’est ce qui en fait sa force et sa faiblesse.
Pour terminer, la fin a probablement achevé les spectateurs déjà estomaqués de découvrir un Travolta preneur de son torturé au sein d’un thriller politique. Extrêmement sombre, ne laissant aucune porte de sortie au personnage, le laissant sur la conscience de son échec total… Il n’est pas inconcevable qu’une fin pareille, loin d’être instinctivement appréciable car insatisfaisante, ait eu un impact sur la réception du long-métrage.

Jack Terry (John Travolta). Blow Out.
Le pouvoir de l’image…

Bien entendu, tout cela n’est qu’affabulations dont on ne pourra jamais prouver la véracité. Mais on peut au moins se satisfaire d’une chose : le film a, comme nombre des grands films de son temps, fini par trouver son public et devenir un film culte, notamment pour un certain Quentin Tarantino, qui le place dans la liste de ses films favoris, en compagnie d’un autre De Palma, Carrie au bal du diable.

C’est aussi cela, la marque des grands films : on ne compte plus le nombre d’entre eux qui ont été rejetés à leur sortie, conspués parce que le public n’y a pas trouvé ce qu’il y attendait. Si Blow Out n’aura pas révolutionné le monde du cinéma, il a eu le mérite de donner à Travolta un rôle à la hauteur de son talent (et Travolta n’a, par sa performance exceptionnelle, pas laissé passer cette chance), de prouver encore que le style De Palma était tout aussi évident que malléable, ce qu’il doit beaucoup dans Blow Out à son chef opérateur Vilmos Zsigmond, dont la polyvalence sublime les scènes, créant autant le morne que l’éthéré, le coloré que le désaturé, plongeant le film dans une ambiance unique.
C’est avant tout un film extrêmement personnel, teinté de toutes les influences de son réalisateur, bercé d’un amour pour le cinéma et les questions philosophiques qu’il enjoint, un thriller politique mené d’une main de maître.
Film-somme, chef-d’œuvre… Autant de termes que d’aucuns ont galvaudé. Que Blow Out fasse partie de ces catégories ou non n’a finalement aucune importance. Le film est devenu culte. De Palma a gagné. Son film restera, probablement plus que si la réception à l’époque avait été élogieuse. Le Temps, impitoyable mais fort bon conseiller, a fait son travail et a restauré le blason de l’œuvre : et cela, pour un cinéaste, c’est peut-être la plus douce des victoires.

Note 

9,5/10

Échec retentissant à sa sortie, Blow Out est devenu au fil des années un film culte. Une réputation entièrement méritée pour un film brillant, qui mêle ses influences avec une élégance fine, porté par un Travolta qui a enfin l’occasion de prouver sa valeur. Un film sombre, une déclaration d’amour au cinéma, un thriller politique : Blow Out, c’est tout ça à la fois, mais c’est avant tout un échec devenu film culte, et c’est sans doute sa plus belle réussite.

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