Gilles Lellouche revient (derrière la caméra) après Le Grand Bain. Avec L’Amour ouf, projet ambitieux, mûrit pendant 17 ans, adapté du roman de Neville Thomson, le réalisateur français émeut, impressionne et étale sa palette de compétences.

L’Amour ouf est l’immense histoire d’amour et de vies, sur deux décennies, de Jackie et Clotaire. Vivre et/ou aimer ? 

la confrontation de deux mondes

Jackie (Mallory Wanecque : Jackie à 15 ans, Adèle Exarchopoulos : Jackie à 25 ans) et Clotaire (Malik Frikah : Clotaire à 17 ans, François Civil : Clotaire à 28 ans) sont la personnification de deux mondes que tout oppose. Pourtant, leurs corps sont aimantés par des sentiments qui grandissent en eux au cours de leur adolescence. Dès les premières secondes, le ton est donné, personne ne sera épargné. Les personnages évidemment, mais les spectateurs non plus. Le générique de début (avec les Vier letzte Lieder de Strauss) fait déjà partie prenante du long-métrage en instaurant un climat de violence brute. La couleur rouge, couleur du sang et de la passion, agresse l’image. Pour accompagner cette mélodie à la fois entêtante et angoissante, une cheminée d’usine crache du feu. Personne ne semble pouvoir sortir gagnant. Le jeu est déjà joué ? 

L’histoire est racontée dans une linéarité narrative maîtrisée. Comme un travelling de 2h40, le long-métrage décortique le parcours de deux vies écorchées par les émotions immenses qui les traversent, les sentiments qu’ils ont l’un pour l’autre. L’amour rend-il plus fort que tout ? Peut-il triompher ? Soigner ? Guérir ? Transformer ?

Jackie à 25 ans (Adèle Exarchopoulos) et Clotaire à 28 ans (François Civil) © Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal
Jackie à 25 ans (Adèle Exarchopoulos) et Clotaire à 28 ans (François Civil) © Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal

Une fresque immense mais ordonnée

Comme dans toute fresque, l’important n’est pas seulement dans les protagonistes mais aussi dans le décor, dans les personnages qui les entourent, dans l’atmosphère. Le décor se présente comme un vaste terrain de jeu pour Clotaire. Dans un nord de la France ouvrier, il grandit dans une réalité où la violence est la seule solution aux problèmes. Pour Jackie, c’est différent. Le spectateur ressent qu’elle s’étouffe, elle aurait comme une envie d’ailleurs, proposé par Clotaire. 

Les parents de Clotaire, interprétés par Elodie Bouchez et Karim Leklou, et le père de Jackie, interprété par Alain Chabat, ont une importance capitale dans l’histoire et dans le développement des personnages. Karim Leklou est l’archétype du père violent et sans émotion. Il a des sentiments pour son fils et les laisse partiellement transparaître par le prêt de sa chaîne Hi-Fi par exemple. Seule violence et une colère inouïe selont transmise à Clotaire. Elodie Bouchez, qui brille dans son rôle de mère aimante mais sans pouvoir ni emprise sur son fils, tente d’être le catalyseur de Clotaire. Elle en est sa partie sensible. C’est sûrement grâce à elle que Clotaire tombe amoureux. Personnage clef, elle participe directement à bouleverser le cours de l’histoire par une rencontre semi-forcée. Sans elle, le final était déjà écrit et ce dès les premières minutes du film. Alain Chabat, père de Jackie, est une forme de force tranquille. Il entretient une relation paternalo-amicale avec sa fille et adopte un modèle d’éducation qui ne rime pas avec son temps. Deux classes sociales, deux manières d’éduquer sont filmées et expliquent les trajectoires des deux personnages.

Jackie à 15 ans (Mallory Wanecque) et Clotaire à 17 ans (Malik Frikah) © Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal
Jackie à 15 ans (Mallory Wanecque) et Clotaire à 17 ans (Malik Frikah) © Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions - Studiocanal

du tarantino, du scorsese

L’atmosphère est pesante. De par les milieux sociaux, de par l’histoire, de par les choix des personnages, tout peut arriver, à tout moment. De manière construite, Gilles Lellouche offre une grande peinture d’un amour possible, impossible et enfin à nouveau possible. Cette grande épopée amoureuse marque, par un cataclysme cinématographique, ses spectateurs. Deux mondes s’assemblent par la force de leur caractère, puis par la force de leur volonté. Vivre et/ou aimer ? Jacky et Clotaire font leur choix, ce sera les deux ou rien.

Le cinéaste emprunte à Tarantino, Scorsese et un peu à Linklater pour créer dans son laboratoire des personnages complexes mais très bien imaginés. Ils ne sont pas caricaturaux, ils sont vrais. De l’angoisse, de la peur, du rire, de la compassion, L’Amour ouf est un tourbillon de sentiments. Lellouche tente également énormément, à l’image d’un chewing gum qui bat comme un cœur. Il y a même un côté très Spielberg lors des deux éclipses, comme un souvenir d’une jeunesse passée.

Gilles Lellouche est un acteur mais, avec Le Grand Bain et aujourd’hui L’Amour ouf, est devenu un cinéaste grâce, outre à une grande histoire d’amour avec plusieurs thèmes sous-jacents, une vraie proposition cinématographique. La violence, par exemple, contenue dans Clotaire est illustrée comme un spectre qui est finalement omniprésent. Au travail, dans la famille, entre amis, à l’école.

L’Amour ouf, en salles depuis le 16 novembre.

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