Quentin Dupieux tourne beaucoup. Avec « Le Deuxième Acte », on est même tenté de dire qu’il tourne trop.
Florence veut présenter David, l’homme dont elle est follement amoureuse, à son père Guillaume. Mais David n’est pas attiré par Florence et souhaite s’en débarrasser en la jetant dans les bras de son ami Willy. Les quatre personnages se retrouvent dans un restaurant au milieu de nulle part.
"il raconte quoi, le nouveau dupieux?"
Que dire de Quentin Dupieux ? Le cinéma français a tranché net depuis plusieurs années : un manteau d’éloges, le plateau offert de tous ses meilleurs acteurs, et la pommade dans tous les médias d’onctions flatteuses sur son génie absurde, sa drôlerie, sa singularité manifeste dans le morne Landerneau de l’auteuriat contemporain. Les Une de magazines sont allés de pair avec la prolifération d’analyses, de sur-analyses, méta-analyses, gloubi-analyses. Il fallait essorer le citron, discourir jusqu’à plus soif. De paria weirdo et un peu « forceur » (il employa lui-même le mot à Cannes dans sa seule prise de parole publique sur le film) à ses débuts confidentiels, Dupieux est devenu tendance. À la mode. Son style n’a pas fait d’adeptes mais il a été adopté.
Le spectateur, lui, est plus dubitatif. Y a-t-il tant de choses à penser sur son cinéma ? Car, au fond, le cinéma de Quentin Dupieux ne repose que sur une seule vraie clé : le dépouillement. Dépouillement de mise en scène, avec une grammaire épurée, faite de cadrages précis, de champs-contre-champs, d’un bricolage artisanal auto-revendiqué. Chez le cinéaste, pas de fonds verts, pas de pose, pas d’affèteries mais un tournage et un montage ultra rapides doublés d’une volonté revendiquée de demeurer un « amateur ». Dépouillement aussi de sa diégèse, faisant le choix systématique d’englober ces histoires dans des sortes de « non lieux », routes de campagnes, villas paumées, villes a-temporelles….Et enfin, dénudement de l’intrigue et du propos au profit d’une poignée de high concepts transformés en petit manège de l’absurde, sur lequel on laissera à l’audience (ou aux professionnels de la profession) le soin de plaquer un sens. Pourquoi se fatiguer à réfléchir quand les autres le font pour vous ? Mais si Dupieux va à l’os de toutes ces composantes, c’est pour faire la place à la seule chose qui l’intéresse vraiment finalement : les acteurs. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils se précipitent tous comme des lapins pour intégrer son système. Ils savent qu’ils seront de tous les plans, qu’ils y auront carte blanche, que le film, tout entier, sera articulé autour d’eux, avec eux, sur eux.
Ce dernier né, Le Deuxième acte, radicalise ce dispositif. Tout est tellement pour les comédiens que les voilà propulsés sujets principaux du film. Soit Léa Seydoux, Vincent Lindon, Raphaël Quenard et Louis Garrel, jouant des versions semi- alternatives d’eux-mêmes (« des projections » avançait Dupieux à cette mème conférence de presse) devant performer dans un film installé dans un restaurant isolé. Attention, mise en abîme. Attention, vertige. À mesure que le film avance vont se déployer ainsi plusieurs petites saynètes scindant ce quatuor en divers duos rivalisant d’affrontements bavards qui vont peu à peu révéler toutes les flétrissures d’égo du métier.
LE MANÈGE DUPIEUX TOURNE EN ROND
Ce petit numéro de faux-semblant avec le réel amuse pendant un temps, aidé par une poignée de dialogues cousus main (il n’est pas déplaisant de voir Lindon s’auto-caricaturer en comédien humaniste habité par le rêve américain) et entraîne le film vers une causticité satirique plutôt réussie. Mais comme ce simple programme de dégommage est un peu mince, même pour lui, le réalisateur se sent obligé de faire pénétrer dans sa marmite quelques grumeaux de l’ère du temps/ Pêle-mêle, le thème de l’intelligence artificielle comme remplacement des artistes ou encore #Metoo à travers le personnage de Quénard, visiblement peu au fait des nouvelles convenances du cinéma français. Qu’à le cinéaste à dire sur ces sujets-là ? Pas grand-chose de plus que des évocations verbales ou illustratives, qui tombent à chaque fois comme des cheveux sur la soupe du récit.
Or, les meilleurs films de Dupieux fonctionnent, soit lorsqu’ils sont montés sur un concept puissant qu’il tient et consomme jusqu’au bout de la mèche (Le Daim ou Incroyable mais vrai) soit par agencement de mini-sketchs (Fumer fait tousser, son plus réussi) ou l’accumulation d’idées produit in fine une inventivité qui ne s’étiole pas. Ici, le fameux dépouillement de l’intrigue atteint un nouveau stade qui est celui de la néantisation. Et le film, malgré sa très brève durée, de ne ressembler qu’à un moignon, un pot-pourri moisi du contemporain sans perspective, une ébauche qu’il n’aurait jamais fallu tirer hors des tiroirs. Ce canard sans tête a en plus le mauvais goût d’errer péniblement jusqu’à une conclusion, twist qui ressemble à une idée rédigée sur un coin de table le dernier jour du tournage.
Car si Dupieux possède la louable volonté de rester dans sa méthode de travail un amateur, son cinéma ressemble surtout de plus en plus à celui d’un paresseux.
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