THANK YOU FOR BEING BORN…

Je ne sais pas comment un jury regardant ce film les yeux ouverts a réussi à ne pas lui accorder le plus haut niveau de récompense. Les Bonnes Étoiles est un film à la carrure de Palme d’Or. Hirokazu Kore-eda frappe plus fort qu’il n’a jamais frappé, dépassant peut être ses précédents chef-d’œuvres (Still Walking ou Une Affaire De Famille par exemple). Mais le public cannois a visiblement été plus touché par la frontalité des sentiments d’Östlund que par l’ultime sensibilité de Kore-eda. Encore une fois, je ne vois pas comment cela est possible…

CINÉMA DE PERSONNAGES

Les Bonnes Étoiles est un film de route, un voyage vers le sentiment humain. Deux hommes récupèrent – c’est leur « métier » – un enfant abandonné dans une boîte à bébés, dans le but de le revendre sur le marché noir et ainsi, lui éviter l’orphelinat. La mère les retrouve, et s’embarque avec eux dans leur quête de parents. La petite troupe est aussi suivie par deux agents de police, attendant la transaction pour arrêter les malfaiteurs sur le fait. Le cinéma de Kore-eda a toujours été un cinéma de personnages. Des entités complexes, naviguant entre leurs émotions et celles des autres, chacun de ses films ayant pour centre une zone d’ombre dans laquelle les personnages enfouissent toutes leurs hontes et leurs traumatismes dans un grand gribouillis. C’est ce sac que va déchiffrer le réalisateur (au sens premier du terme, So-young n’exprimant ses sentiments que dans le noir). La première chose que nous montre le film est une mère abandonnant son enfant. La seconde, des policières en planque, émotionnellement loin de la situation. Et la troisième, l’illégal qui fait le bien. Les points de départ sont posés, chaque personnage va alors entamer un long et complexe voyage vers son vrai lui. Tous vont s’entraider les uns les autres quand ils se croisent, se poussant vers cette réussite et cet équilibre (comme les petits arcs de pierres formés par les randonneurs sur les bords des rivières : une parfaite répartition des forces). La policière froide, la mère qui refuse de toucher son bébé, l’orphelin rancunier, l’enfant innocent. Tout va s’inverser. Les Bonnes Étoiles, c’est tous les sentiments du monde dans un mini-van bleu au coffre cassé.

Tout cela est évidemment mis en scène avec brio, mais surtout, interprété avec une sensibilité rare. Song Kang-ho et son prix d’interprétation plus que mérité, mais surtout IU (Lee Ji-eun), chanteuse de K-pop livrant un jeu complètement inattendu, d’une finesse indescriptible.

CINÉMA DES SENS

Hirokazu Kore-eda est un cinéaste des sens. Les cinq. Ses films sont la définition même du ressenti au cinéma. Quand on regarde les choses assez longtemps, on finit par les comprendre et les éprouver. Cet insert sur la main sous les gouttes par exemple. Je connais cette sensation. A ce moment précis du film, je reconnais exactement les sensations de So-young.

Dans Les Bonnes Étoiles, c’est l’intégralité des plans qui fonctionne de cette manière. Plusieurs fois dans la première moitié du film, j’ai été frustré de voir le montage me couper une émotion ou un moment de plénitude. Certains plans peuvent être regardés pendant des heures, tant ils sont apaisants et saisissables. C’est simple, j’aurais voulu que le film ne s’arrête jamais.

CINÉMA DES ÉMOTIONS

De toute ma vie, je n’ai jamais vu un film approcher les émotions de cette manière. Kore-eda travaille sur les concepts de tension et de relâchement, avec comme centre la frustration. Comme je l’ai dit plus haut, la première moitié du film se refuse à laisser les émotions s’épanouir. Car ces dernières ne sont pas encore intéressantes (cela reviendrait à faire ressentir de la simple mélancolie, Kore-eda aspire à plus).

C’est seulement quand les personnages se décomposent sous leurs émotions, quand ils se perdent et ne se comprennent plus, qu’on laisse les images durer. Mais sur l’écran, ce n’est plus de la mélancolie, c’est du désespoir. Le désespoir de comprendre que l’on ne comprend rien. Ces moments sont vécus au plus près des personnages. Et pour cela, le réalisateur use d’une astuce complètement inédite : au lieu de tirer les larmes, il les cache. Quand So-young se met à pleurer, son visage est tout de suite caché par la main de Dong-soo. Et c’est nous dans la salle de cinéma qui en payons les frais car dans cette situation, il faut bien que quelqu’un pleure…

De loin le meilleur film de l’année. Jamais je n’ai pu voir quelque chose d’aussi vrai. Merci à toutes les âmes en peine d’être nées, merci à elles d’exister et de se battre tous les jours. Merci aux désespérés de continuer à vivre. Vous n’êtes pas seuls.

En ce moment au cinéma.

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