Le Duel est une rubrique en partenariat avec Le Drenche. Chaque samedi ici, deux rédacteurs de Ciné Maccro confrontent leur avis, positif ou négatif, sur un film !
LE POUR
Ophélie D.
Rendre l’invisible visible et le silence bruyant
Sound of Metal est un de ces films indépendants qui redonnent du souffle à un cinéma américain clinquant et pompeux. Le premier film de Darius Marder attend son heure de gloire française dans nos chères salles, une fois la réouverture, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne fait pas déjà beaucoup de bruit – et à juste titre – aux États-Unis et auprès de ceux qui ont déjà pu le découvrir.
Sound of Metal nous transpose dans un univers encore trop méconnu pour un grand nombre et certainement trop peu représenté à l’écran – grand ou petit : la perte d’audition puis la surdité. C’est ce sujet singulier qui va animer le squelette simple mais palpable d’un long-métrage dont la maîtrise sonore et l’innovation immersive vont en impressionner plus d’un. Si ce film se satisfait d’une esthétique simpliste et directe, elle n’en est en réalité que le reflet d’une vie « normale » et vraisemblable où l’importance est portée sur l’humain en lui-même, sur Ruben, ses sensations, son environnement et ses émotions. Alors, c’est avec une alternance entre contemplation – proche du cinéma de Gus Van Sant – et immersion profonde que Darius Marder réussit à capter le spectateur.
Sound of Metal n’est pas un film à regarder mais à ressentir et il est loin de s’enfermer dans son concept innovant sur la sphère sonore puisqu’il propose un sujet qui manque cruellement de présence cinématographique. Au travers de Ruben, c’est une approche différente du monde que nous découvrons, que nous appréhendons et finalement duquel nous passons souvent à côté. Ainsi, au-delà de divertir et d’interroger, Sound of Metal offre une leçon de vie, de tolérance et d’ouverture d’esprit, jusqu’à parfois nous instruire sur les autres, sur ce handicap souvent invisible.
Fort de son sujet et de son travail sur le son, ce long-métrage offre à Riz Ahmed un de ses rôles les plus marquants et permet à son expressivité de crever l’écran. Loin de la surinterprétation, il a su donner vie à Ruben, ce musicien bientôt sourd qui doit réapprendre à vivre. Sans nul doute que de nombreuses récompenses l’attendent.
Sound of Metal signe le premier long-métrage de Darius Marder et s’impose déjà comme la découverte de 2020 et 2021 grâce à sa simplicité authentique, à son spectre sonore immersif et au traitement de son sujet. Sound of Metal fait du silence sa force.
LE CONTRE
Antoine C.
Sound of Metal, symbole assourdissant de notre temps
Chaque année, des œuvres indépendantes concepts émergent par surprise sur nos écrans, à coup de campagne marketing léchée avec en point d’orgue les Oscars. Cette année, l’heureux élu s’appelle Sound of Metal, et si, COVID oblige, le premier film de Darius Marder n’a pas connu de sortie française au moment où ces lignes sont écrites, force est de constater que par tous ses ingrédients, il s’inscrit malheureusement dans la droite lignée de ces prédécesseurs.
Sound of Metal traite donc de la surdité dans une approche frontale, celle de faire ressentir au spectateur de manière directe tout le désarroi du personnage de Riz Ahmed. Sur cet aspect, il serait malhonnête de ne pas dire que le travail sonore est époustouflant, tant le travail d’immersion est captivant. Mais là où réside la force du film réside peut-être aussi la faiblesse du film. Un an après un 1917 lui aussi bluffant techniquement, Sound of Metal semble jouer sur les mêmes plate-bandes que son prédécesseur ; celles d’un film où l’unique ressort est celle d’une forme qui surplombe tout, quitte à ne se servir que d’elle pour enlever la lumière sur les zones d’ombre.
Trop classique dans sa construction, manquant par moment cruellement de caractère, Sound of Metalrappelle les défauts d’une frange du cinéma US imbibée de suffisance. Sound of Metal, aussi formellement soit-il, manque de ce supplément d’âme qui élève les films au-delà du visionnage. Nul doute qu’il raflera dans quelques semaines plusieurs statuettes aux Oscars ; mais dans dix ans, nous souviendrons-nous encore de cette œuvre ?
Sound of Metal est finalement symptomatique de ce mal qui ronge le cinéma depuis quelques temps : pour contrecarrer les gargantuesques blockbusters, le cinéma tente de briller uniquement par un spectacle qui scotche au fauteuil. L’émotion est là, intense, mais rien n’est fait pour l’ancrer : aussi vite ressentie, aussi vite oubliée. C’est là la frontière entre les bons et les grands films : ces derniers savent se ré-inventer, se transcender pour nous marquer au fer rouge. De ré-invention, Sound of Metal en manque malheureusement, et c’est bien cela qui le cloisonne dans son concept. Et si on vous le recommande, certes, son devenir dans nos esprits, malheureusement, s’inscrit dans un silence assourdissant.