Grave
? Réalisatrice : Julia Ducournau
? Casting : Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Naït Oufella
? Genre : Horreur
? Pays : France
? Sortie : 15 mars 2017 (France)
Synopsis : Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école vétérinaire où sa sœur aînée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.
Sorti en 2016, Grave, le premier film de Julia Ducournau nous fait suivre Justine, jeune adolescente surdouée entrant dans la même école vétérinaire que sa sœur aînée. Pendant son bizutage la jeune végétarienne se voit forcée de manger de la viande crue, ce simple geste suffit à libérer une obsession cachée au plus profond de la jeune fille et qui ne pourra plus jamais être enfermé : le cannibalisme. Commençant par de la viande animale, la jeune fille se rend vite compte que seule la chair humaine pourra la satisfaire, et se livre peu à peu à ses pulsions, nous offrant un grand film d’horreur.
Car ce film est avant tout un grand film d’horreur, orchestré d’une main de maître par la mise en scène de Julia Ducournau. La réalisatrice nous offre des séquences de pure terreur sublimées par la bande originale et particulièrement un thème principal absolument glaçant. La maîtrise de Ducournau se ressent également dans le rythme du film, la réalisatrice tenant en permanence le spectateur en haleine. De même, la metteuse en scène a su créer un univers visuel tout à fait passionnant, enfermant son personnage principal dans ses cadres et jouant à merveille sur les couleurs, reflets de la folie dans laquelle baigne Justine.
Sans violence gratuite et en optant pour des prothèses et du maquillage plutôt que de tomber dans le tout-numérique, Grave parvient à ancrer l’horreur dans le monde réel d’une manière brillante. Ici, nul besoin de paranormal ou de surnaturel pour expliquer le comportement de Justine. Ducournau nous livre tout simplement le portrait torturé de son héroïne et de ses démons. La peur, presque naturelle, d’être dévoré.e prend le dessus, le spectateur est plongé dans une fascination morbide devant les personnages se livrant à ces actes de cannibalisme. Le dégoût absolu et la peur se mêlent pour nous offrir une grande expérience de cinéma, sans artifices, sans exagération, simplement de purs moments de terreur.
« Je voulais traiter ce thème de manière hyperréaliste, sans recourir aux codes du surnaturel. » Julia Ducournau
Le Monde
La métamorphose de la timide et innocente Justine, que l’on découvre au début du film encore en train de câliner son chien, en cette mangeuse d’hommes n’ayant plus de contrôle sur elle-même est réalisé avec un grand savoir-faire. Cette descente aux enfers de Justine est très progressive, passant par l’envie irrépressible de viande jusqu’au cannibalisme lui-même.
La crédibilité du récit doit en grande partie à son interprète principale : Garance Marillier dont l’interprétation est à couper le souffle. Jouant avec tout autant de justesse la crainte et l’appréhension du début du film que l’explosion des pulsions cannibales et sexuelles de la jeune fille. Le reste du casting est également à saluer. Ella Rumpf, campant Alexia, ma sœur ainée de Justine, et Rabah Naït Oufella, jouant Adrien, le colocataire de l’héroïne, sont magistraux et sont de véritables atouts du film. Bien qu’ayant des liens très forts avec les deux personnages, c’est la relation de Justine à sa sœur qui est la plus passionnante ici. Cette dernière devenant un véritable mentor pour la jeune fille, l’entraînant avec elle dans les ténèbres et la poussant à accepter ses pulsions, à s’affirmer en tant que femme.
Tout dans le film prête à la transformation de Justine. Les bâtiments ternes au possible de son école, la campagne des Ardennes, un univers de fête dans lequel elle est perdue, un colocataire et une sœur bien plus à l’aise… La jeune fille ne demande qu’à exploser. Une séquence où l’on observe un cheval attaché galoper sur un tapis roulant dans l’obscurité est plus que parlante sur l’état d’enfermement que ressent l’héroïne. Les scènes de dissections et les nombreux plans comprenant des cadavres d’animaux nous apparaissent comme des indices évidents, voire des déclencheurs de sa folie anthropophage.
Outre son aspect horrifique, le film prend sa pleine mesure lorsqu’il se plonge à corps perdu dans l’aspect initiatique de la transformation de Justine.
En effet, Grave c’est avant tout le récit d’un passage à l’âge adulte et de tous les changements subis lors de cette période. Justine quitte peu à peu son adolescence pour entrer pleinement dans l’âge adulte. Ce changement est bien évidemment illustré par la découverte et l’obsession de la jeune fille pour le cannibalisme, mais Ducournau pousse le récit initiatique de son héroïne beaucoup plus loin, et avec énormément de finesse.
Premièrement, le thème bien connu et attendu de l’essor de la sexualité. Ce dernier est traité ici à travers un aspect très sanglant et une puissance rarement atteinte. La sexualité naissante de la jeune fille se fait (littéralement) dans le sang à chacune de ses expérience. Preuve en est, la découverte du cannibalisme se fait pour Justine suite à une épilation du maillot en compagnie de sa soeur.
On peut d’ailleurs noter que la réalisatrice donne un traitement tout à fait appréciable et rafraîchissant de ses personnages féminins : Justine est guidée à travers ses nouvelles pulsions par une femme, en la présence de sa sœur, ce qui crée une relation d’élève et maître passionnante. Le portrait de la jeunesse reste une des grandes forces du film. Ducournau représente à merveille ces jeunes adultes désireux de laisser s’échapper leurs pulsions. On notera des scènes de fêtes clandestines absolument sublimes et entraînantes au cours desquels l’évolution de Justine est flagrante. Cette dernière passe de proie à chasseuse, elle se fond dans un décors aux teintes rouges sanglantes, prête à bondir pour se nourrir.
Grave reste empreint d’un romantisme poignant, sombre et agressif. Une quête de la jouissance qui caractérise tous les personnages, une volonté orgasmique qui s’exprime dans la violence, la transgression et l’ivresse. Chacun cherche à se trouver, se comprendre, dans cet univers nocturne et endiablé.
Disons le, il est difficile de trouver des défauts majeurs à Grave. La construction des personnages (particulièrement féminins) est brillante, les dialogues sont très efficaces, voire même absolument surréalistes dans certaines séquences. Cependant, on peut regretter un manque de réalisme sur certains détails. Notamment en ce qui concerne la dernière scène qui, malgré une grande puissance, paraît trop peu crédible.
Note
9/10
Pour son premier long-métrage, Julia Ducournau nous offre un grand film. Aussi bien réussi sur le plan de l’horreur que du récit initiatique, Grave a su s’offrir une place de choix dans le paysage du film d’horreur français. Sa sortie sur Netflix ce 1er Août est l’occasion de (re)découvrir cette merveille du genre.
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