Lorsque l’on parle de polars, de film noirs et d’inspiration de la Nouvelle Vague, est-il possible de citer un autre nom que celui de Jean-Pierre Melville ? Sur-influencé par le cinéma américain, l’auteur de L’Armée des Ombres, Le Cercle Rouge ou Le Samouraï a bousculé les codes du cinéma français, et a marqué les esprits par son talent et son caractère, que l’on pourrait facilement qualifier de bien trempé. Découvrons ensemble quelques anecdotes sur l’un des plus grands réalisateurs de notre pays.

A la guerre comme à la guerre 

Si notre homme se prénomme effectivement Jean-Pierre, Melville n’est pas son véritable nom. Jean-Pierre Grumbach, né dans une famille juive, change de nom au moment de quitter la France en 1942 pour rejoindre Londres et la Résistance. Le jeune homme, déjà grand cinéphile, participera au débarquement de Provence. La légende dit qu’il s’est promis de monter ses propres studios lors de la bataille du Mont Cassin s’il en sortait en un seul morceau. Promesse tenue. Son expérience dans la Résistance lui inspirera grandement son chef d’œuvre : L’Armée des Ombres.

Anger management

Peu probable que Melville ait été un adepte du team building. Le maître du polar était davantage porté sur la tyrannie et l’autoritarisme extrême, réussissant à se fâcher avec tous ses acteurs fétiches. Le réalisateur aimait pousser ses acteurs à bout pour en tirer une toute nouvelle interprétation. Il interdit à Belmondo de sortir de son personnage et de se détendre entre les prises de Léon Morin, Prêtre ou du Doulos, l’acteur quitte même le plateau de L’Ainé des Frechaux en compagnie de Charles Vanel, que Melville ne cessait de harceler, pour ne plus y revenir. Les relations de Melville avec Lino Ventura ne sont pas non plus au beau fixe. Sur le tournage du Deuxième Souffle l’acteur poursuit un train et doit le rattraper, le réalisateur aurait demandé au mécanicien d’accélérer dès que Ventura semblait près du but, ce qui énervera passablement ce dernier. Les deux hommes collaborent pourtant de nouveau sur L’Armée des Ombres, mais ne s’adresseront jamais la parole, ne communiquant que par assistants interposés. Melville lui propose tout de même le rôle du commissaire dans Le Cercle Rouge, ce qu’il refusa, ce sera finalement Bourvil qui l’interprètera.

Ventura et Melville durant le tournage du Deuxième Souffle

En vrac : L’Armée des Ombres

Plusieurs anecdotes sont intéressantes concernant L’Armée des Ombres, abordons-les de manière groupée.

Il s’agit de son troisième film sur la Seconde Guerre Mondiale, après Le Silence de la Mer et Léon Morin, Prêtre, mais également son plus personnel. Il déclare : « Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C’est un morceau de ma mémoire, de ma chair ». A la sortie du film en 69, il est reproché à Melville son indéfectible admiration pour De Gaulle, et ce malgré le fait que le réalisateur enterre le mythe de la France résistante dans son ensemble avec son film.

Melville parvient à se défaire de la tradition voulant qu’aucune personne portant un uniforme allemand ne marche sur la Place de l’Etoile à Paris, nous offrant une ouverture magistrale et glaçante.

Pour finir sur le film, on peut évoquer le fait que malgré son comportement exécrable envers eux, Melville avait une confiance monstre envers ses acteurs. Bertrand Tavernier, qui fut l’assistant du réalisateur explique que Simone Signoret lui demanda si son personnage avait trahi ou non, ce à quoi Melville répondit : « Je ne sais pas, c’est toi qui le sais ».

Simone Signoret, Jean-Pierre Melville et Lino Ventura sur le tournage de L’Armée des Ombres

Un flair infaillible… ou presque

S’il est admis que Melville avait un caractère de chien, c’est peut-être moins le cas en ce qui concerne le flair, du moins pour cet épisode. C’est Yves Boisset, à l’époque son assistant qui relate l’histoire. Melville avait besoin d’américains pour jouer des marines dans L’Ainé des Frechaux, mais aucun des acteurs qu’il avait auditionnés ne lui convenait, il envoie alors Boisset parcourir Paris pour lui trouver les perles rares. L’assistant revient avec trois jeunes américains, la vingtaine, dénichés aux Beaux-Arts. Mais Melville s’emporte contre l’un des jeunes acteurs, il l’observe d’un air soupçonneux et l’accuse de ne pas être américain et de lui mentir. L’américain, outré, lui martèle qu’il est né dansle Bronx, mais rien n’y fait. Les insultes volent dans les deux sens et le jeune homme quitte les lieux, absolument furieux. Cet épisode nous aura donc privé d’une collaboration entre Jean-Paul Belmondo, et celui que Melville n’a jamais cru… Robert De Niro.

Pas de problème de confiance entre Alain Delon et Jean-Pierre Melville, les deux hommes collaborent sur 3 films.

Excentrique vous dîtes ?

Melville n’aimait pas faire comme les autres, c’est un fait. Le metteur en scène, une nouvelle fois influencé par les Etats-Unis, aimait se parer d’un chapeau Stetson, de Ray-Ban et fumer le cigare, se donnant l’air d’un magnat hollywoodien (ce qui est démenti par Philippe Labro, qui explique que Melville voulait cacher son physique qu’il n’aimait pas). Cette admiration pour Hollywood l’amène à construire ses propres studios à Paris, au-dessus desquels il installera son appartement pour pouvoir y descendre la nuit et réfléchir à sa mise en scène. A contrario, lors du tournage d’Un Flic, Melville se fait construire une cabane dans les bois, il n’en sortait que pour donner des consignes à ses acteurs ou aux techniciens en charge des lumières.

Décédé en 1973 à l’âge de 55 ans après un AVC, Jean-Pierre Melville a marqué le cinéma français à jamais, imposant un style reconnaissable entre mille. Celui qui, d’après Bertrand Tavernier, aura « transformé des truands français en héros de tragédies grecques » a eu une influence sur toutes les générations de cinéastes qui lui ont succédé. De Godard, qui lui offre un rôle dans A Bout de Souffle, à Tarantino ou John Woo. Melville a redéfini les codes et l’esthétique du film noir et du polar, et demeure un auteur majeur de cinéma français et mondial.

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