Ce 14 octobre, le réalisateur américain David Fincher était de passage à la Cinémathèque pour le plus grand plaisir des cinéphiles parisiens. Celui à qui l’on doit Fight Club ou Seven y donnait une masterclass dans le cadre de la sortie de son dernier film. En effet, The Killer a été projeté en avant-première, et sera disponible le 10 novembre sur la plateforme Netflix. PelliCulte dévoile sa critique du film.

Solitaire, froid, méthodique et sans scrupules ni regrets, un tueur attend dans l’ombre, guettant sa prochaine cible. Pourtant, plus il attend, plus il pense qu’il est en train de perdre la tête, voire son sang-froid.

De tous les films de David Fincher, The Killer est peut être le premier dont je n’arrive pas tout à fait à en saisir la complexité – qui rendait jusqu’à présent son travail si passionnant. Le réalisateur s’est embarqué dans une voie très (trop ?) classique, depuis le début de sa collaboration avec Netflix. Un essoufflement qu’on avait déjà entrevu avec Mank en 2020. Ceci dit, il possédait toujours une forte personnalité, notamment par son noir et blanc magnifique ou son casting exceptionnel. Dans The Killer, beaucoup de choses se sont effacées derrière le « personnage », un Michael Fassbender entre Drive, John Wick et American Psycho. C’est peut-être la fausse bonne idée dans laquelle on a tout mis : le scénario, la mise en scène, le montage, la musique, le son, et bien sûr, les émotions.

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Depuis le début de sa collaboration avec Netflix, Fincher emprunte des voies trop classiques. © Netflix

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Le killer, c’est aussi le nom du protagoniste. Un tueur à gage obsessif, précis et méticuleux, qui nous fait penser à…David Fincher. Dans la lignée de Le Samouraï de Jean Pierre Melville en 1967, on vit sa vie en temps réel (mais vraiment en temps réel, comme quand on regarde Alain Delon tester soixante-quinze clés différentes pour faire démarrer sa voiture). C’est ce qui rend la première partie à Paris si parfaite : c’est le moment où le personnage et le réalisateur sont en complète phase. Le problème est que cette première partie souffre de ses qualités. Tellement rigoureuse, jouissive à découvrir, mais rigide et froide, on ne quitte la capitale française avec rien, une fois l’adrénaline retombée.

Durant sa masterclass, Fincher expliquait sa lassitude quant au développement du passé de ses personnages « Les enjeux de ce films n’étaient que ‘comment va-t-il réussir à passer cette porte, comment va-t-il s’échapper, comment va-t-il retrouver cette personne, etc…’ ». Alors, d’accord David Fincher n’est pas scénariste. Pourtant, quand on pense à Gone Girl, alors on pense à Amy ; quand on pense à Fight Club, on pense à Tyler ; quand on pense à The Social Network, on pense à Mark, à Eduardo, peut-être même à Erica qui n’a pourtant que trois scènes ! Le cinéma de Fincher est avant tout un cinéma de personnages. Néanmoins, The Killer n’a pas de personnage, ce qui rend le film à l’image même de cette absence.

Attention, on est quand même spectateurs d’une œuvre qui a été réalisée par un très grand réalisateur et maniaque, on le voit.  Il y a l’uberisation du monde de Fight Club, une accumulation étourdissante de marques, de noms d’entreprises et de bâtiments commerçants, d’entrepôts, de hall d’hôtels, de restaurants chics, de salles de sports luxueuses, de bars…Il y a une fatigue incessante qui nous amène à une perte complète de nos repères. C’est ici que l’on arrive à ce qui fait de The Killer, un film tout de même grandement réussi.

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Le killer, c’est aussi le nom du protagoniste. © Netflix

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Il y a des films qui coulent tout seul, qui se laissent porter seul par un vent si doux qu’on peut presque flotter de la première à la dernière scène. D’ailleurs, nul besoin d’aller chercher très loin : The Social Network cochait cette case. Avec ses trois temporalités qui s’emboitaient parfaitement les unes dans les autres grâce à un travail d’orfèvre, de scénario et de montage, liant le tout avec une cohérence époustouflante. Mais surtout, privilégiant la notion de fluidité supposée indispensable à toute bonne histoire.

Si l’on file cette métaphore, The Killer pourrait être comparé à un bulldozer, un tractopelle, ou plus généralement, à n’importe quel engin de chantier dont le nom sonne agressif en bouche. Cette forme très violente de cinéma se matérialise par le SON. Quelle gigantesque défaite pour le cinéma de ne profiter de cette pépite qu’au travers des haut-parleurs de la maison ou des airpods dans le métro ! En outre, on parle d’une narration sonore contraire à tout, enfouissant toute convention. Là où, le son vient normalement emballer les films d’un joli papier, construisant l’ensemble, le permettant de tenir de bout en privilégiant une narration horizontale, David Fincher décide d’en faire des échelles, des murs, des frontières qu’il nous faut casser et éprouver. Le son n’ouvre aucune porte. Bien au contraire, il nous force à les enfoncer avec les épaules.

Cela constitue la seule connexion du spectateur avec le personnage de Fassbender, fatigué et perdu dans un monde qui va trop vite pour lui. Pour nous aussi, le film va trop vite. On se prend les transitions dans la gueule (littéralement). On ne sait plus s’il fait jour, s’il fait nuit, entre les deux, on monte dans l’avion, on descend de l’avion, on est à Paris, à Chicago, en République Dominicaine…Le point de vue n’est jamais là où on l’attend. Deux rapides exemples : on synchronise le bruit de l’avion qui décolle avec un travelling avant en contre plongée sur le personnage en train d’attendre l’avion ; on traite le son d’un plan large sur un parking comme si c’était un plan séquence en gros plan. Chaque geste que l’on voit à 40 mètres est bruité comme s’il étaient effectué juste devant nous.

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Bien que très réussi, The Killer reste trop prévisible. © Netflix

fausse insomnie

C’est passionnant, c’est jouissif, parce que l’on est toujours déstabilisé par quelque chose ou surpris du cadrage sonore. Alors on passe son temps à refaire la mise au point dans sa tête, sans jamais vraiment arriver à trouver le film net. On retrouve déjà cela dans Fight Club : s’endormir quelque part et se réveiller ailleurs. The Killer n’est que ça, pendant deux heures. C’est un film qui nous donne l’impression de faire une insomnie. Mais l’insomnie est trop lucide pour que l’on se fasse surprendre par le lever du soleil. Dès que ça commence, on comprend la fin, puisqu’on a tous au moins déjà vu un film avec ce même schéma (John Wick en tête). C’est tellement classique et prévisible, les zones d’ombre ne sont pas là où elles devraient être, on se rattache à ce qu’on peut, comme le cynisme des blagues. Parce que l’on a le mantra du personnage répété, toutes ses actions allant à l’encontre de ce même mantra, encore et encore. Le point de vue pessimiste du monde au début, la dernière réplique…

Et pourtant, il en aurait fallu plus pour que The Killer trouve sa place parmi les meilleurs films du réalisateur. David Fincher n’est pas complètement au rendez-vous, on dirait qu’il a la tête ailleurs, ou une balle dans le pied. Cependant, il offre quand même un film digne d’un visionnage diablement efficace dans ses envolées.

Sur Netflix le 10 novembre.

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