? Réalisateur : Pablo Larrain
? Casting : Kristen Stewart, Timothy Spall, Sally Hawkins
? Genre : drame, biopic
? Sortie : 17 janvier 2022 (France), 5 novembre 2021 (UK)
Synopsis : Le mariage de la princesse Diana et du prince Charles s’est terni depuis longtemps. Bien que les rumeurs de liaisons et de divorce abondent, la paix est ordonnée pour les festivités de Noël au domaine de la reine à Sandringham. Il y a à manger et à boire, à tirer et à chasser. Diana connaît le jeu. Mais cette année, les choses seront bien différentes. Spencer est une illustration de ce qu’il aurait pu se passer pendant ces quelques jours fatidiques.
La vie de Diana Spencer est digne d’une tragédie classique : jeune femme officiant dans les plus hautes sphères du pouvoir britannique, son mariage finira par battre de l’aile et elle se retrouvera dans une spirale infernale qui l’emmènera de manière inéluctable à sa mort. C’est cet aspect théâtral et dramatique qui fait l’essence de Spencer de Pablo Larrain. Tel un dramaturge du XVIème siècle, le réalisateur fait de la vie de la Princesse de Galles une pièce de théâtre qui respecte autant que possible la règle des trois unités.
L’unité de lieu tout d’abord, puisque le film se passe uniquement au domaine de Sandrigham (à l’exception de la fin), lieu de naissance de Diana Spencer et résidence de vacances de la famille royale. L’unité d’action est également respectée, le film se concentrant uniquement sur le désir de la Princesse de Galles de quitter l’aristocratie britannique. Il n’y a qu’avec l’unité de temps que Pablo Larrain se permet de transgresser, puisque Spencer ne se passe pas sur un jour, mais bien sur trois : les 24, 25 et 26 décembre. Le décor est fixé, l’action est défini, la temporalité également : asseyez-vous messieurs-dames, le spectacle va commencer.
Diana, héroïne absurde
Si Spencer était une pièce de théâtre, elle n’aurait probablement pas été écrite par Racine ou Corneille, mais par Samuel Beckett. En effet, le thème de la solitude est central dans le métrage comme dans l’œuvre du dramaturge. Diana est isolée du monde, noyée dans un océan de plans larges où il est à peine possible de la distinguer. Cet immense palais semble bien trop grand et bien trop vide pour une femme simple qui rêve simplement de se libérer de son statut de princesse.
Tout comme dans Fin de Partie ou En Attendant Godot, le nombre de personnages est limité, et la plupart du temps, Kristen Stewart est filmée seule, ou accompagné d’un seul autre acteur. Cela permet entre autres de ne pas perdre le protagoniste des yeux, comme si le spectateur était lui aussi en train d’épier ses moindres faits et gestes. Les autres membres de la Couronne, sa famille, ne lui adressent presque pas la parole : ils ne sont que des fantômes qui la hantent. Le poids de leurs attentes, brillamment illustré par la pesée à l’entrée du château, transparaît dans leurs regards froids et leurs bouches fermées.
Il est néanmoins dommage que Kristen Stewart n’ait pas su transcender cette solitude à l’écran : durant tout le film, son jeu et sa diction son trop monotones pour laisser transparaître la myriade de pensées qui traversent l’esprit de Diana.
Retour aux sources du fantastique
Pour renforcer la solitude de la princesse, Pablo Larrain réalise son film de manière sobre, limitant les effets tape-à-l’œil pour préférer une ambiance plus viscérale. Dès l’introduction, il met le spectateur en garde: son film n’est pas un biopic, mais une « fiction inspirée de faits réels » : le réalisateur nous plonge dans un univers qui fleurte avec le fantastique. Dès le départ, le brouillard nous coupe de toute communication avec l’extérieur lors d’un sublime plan aérien, comme si Diana rentrait soudainement dans Silent Hill.
Cette atmosphère lugubre virant parfois au cauchemar s’immisce progressivement dans le métrage par le biais de rêves éveillés durant lesquels Diana se libère symboliquement du Prince de Galles en arrachant le collier qu’il lui à offert, ou bien lorsqu’elle imagine feu Anne Boleyn, décapitée par Henry XVIII après qu’elle a été accusée d’adultère, lui rendre visite. L’ambiance glauque est d’ailleurs renforcée tantôt par une musique jazz qui renforce le sentiment d’urgence de Diana, tantôt par des compositions classiques aux accents dissonants qui prolonge l’ambiance fantastique du film.
Un destin funeste
Bien que ce ne soit pas son objectif premier, Larrain livre également un message politique avec Spencer.
En effet, Larrain accuse indirectement la famille royale d’avoir tué Lady Di grâce à un éventail de symboles disséminés tout au long du film. Evidemment, il y a le parallèle entre Diana et Anne Boleyn, probablement le plus appuyé et explicite, qui ne laisse que peu de doute sur les intentions néfastes de la Couronne. La suggestion ne s’arrête pas là, notamment à cause de la comparaison entre la princesse et les faisans que chassent la famille royale.
Les habits occupent également une place importante dans le film : Diana choisit des vêtements simples qui dénotent avec l’atmosphère sérieuse et codifiée du palais. Lors de l’un des plans finaux du film, c’est d’ailleurs le fait de se débarrasser de l’une de ses tenues qui lui permet de redevenir elle-même et d’enterrer métaphoriquement son statut royal.
Spencer n’est en aucun cas un biopic, mais bel et bien une pièce de théâtre qui flirte avec le fantastique. Pablo Larrain offre une bouffée d’air frais dans la représentation de Lady Di au cinéma, préférant plonger dans sa psyché plutôt que d’en faire un portrait « objectif ». La seule ombre au tableau est malheureusement la prestation de son actrice principale, qui empêche le film de recevoir sa standing ovation. Tant pis, on se contentera des applaudissements. Rideau !
Note
8.5/10