Parti bredouille du 50ème Festival du cinéma américain de Deauville, parmi les films présentés en compétition, Sing Sing reste pourtant parmi l’un des favoris de la rédaction. Deuxième long-métrage du réalisateur Greg Kwedar, cette œuvre bouleverse par sa justesse de ton et son discours émouvant, porté par des interprétations saisissantes. Retour sur un film important qu’il ne faudra pas rater lors de sa sortie en salles.

Une prison pas comme les autres

Ce qui est extraordinaire avec le film de Greg Kwedar, c’est qu’il ne se contente jamais de filmer simplement une prison. Avec son récit en huis-clos, il décide de plonger ses spectateurs dans les conséquences de cet enfermement. Pour autant, il s’éloigne du traitement classique et des clichés auxquels le spectateur pourrait s’attendre : aucun geôlier tortionnaire, pas de guerre de pouvoir à l’intérieur des barreaux ni de description dramatique du milieu carcéral. Le cinéaste a parfaitement conscience que l’on en a assez vu. Lui, il préfère se concentrer sur cette terrible sensation d’enfermement, ou plus exactement l’absence de liberté, et ce qui va au contraire pouvoir en donner à ses prisonniers.

En effet, tout au long du film, la mise en scène illustre cette intention : les plans qui représentent le bâtiment pénitentiaire sont fixes, caméra sur pied avec un cadre rigide et bien délimité, évoquant l’ordre de la prison. À l’inverse, dès que l’on bascule dans les ateliers-théâtre avec les détenus, la caméra prend vie. Constamment en mouvement, elle laisse jaillir l’imprévu, baignée dans une lumière plus chaleureuse et optimiste qu’auparavant. La mise en scène laisse entrer l’imaginaire. 

Colman Domingo dans Sing Sing © A24
Colman Domingo dans Sing Sing © A24

L'art face à une brutale réalité

Le discours ne peut pas être plus honorable : lorsque tout va mal, qu’il ne semble plus y avoir d’espoir ni d’échappatoire (littéralement), l’art est la seule chose qui peut encore permettre la catharsis et donner un sens à notre vie. Le pouvoir réparateur de l’art peut contrer et améliorer une réalité brutale et désespérée. Le scénario atteste et démontre que l’imaginaire permet l’expression des traumatismes, la libération du corps et de l’esprit ainsi que la cohésion avec autrui dans un milieu où la masculinité toxique est prédominante, où il faut paraître fort, dangereux. 

Le théâtre demande justement à accepter et à montrer sa propre fragilité pour pouvoir la reproduire au travers de ses interprétations. En complément de cette mise en abîme passionnante, l’écriture du duo Colman Domingo / Clarence « Divine Eye » Maclin ne commet jamais d’erreur et émeut par sa justesse et son timing, sans jamais oublier de faire vivre l’entièreté du groupe à l’écran. Le sujet n’est jamais résumé à leur désir de fuite, le récit prenant au contraire le temps d’interroger ce qui leur manque dans leur vie intérieure et ce dont ils rêvent pour le futur. Le théâtre en devient l’unique porte vers une potentielle liberté, un médium leur donnant le droit de se projeter dans un autre monde. Sing Sing est à saluer pour son écriture subtile et la sensibilité qui l’accompagne toujours à l’écran, ce qui rend le film immédiatement touchant et marquant.

Sing sing
une surprise de taille attend le spectateur ©A24

Un dispositif unique

Enfin, une surprise de taille attend le spectateur lors du générique de fin, révélant qu’excepté Colman Domingo et un autre second rôle, tous les personnages du film, autrement dit les membres de l’atelier théâtre, jouent leurs propres rôles. Eux-mêmes incarcérés, ils reproduisent ce qu’ils ont déjà vécu, répété et joué devant le public. Ce dispositif ingénieux, empruntant au documentaire, brouille intelligemment les frontières entre le réel et la fiction tout en renforçant l’impact émotionnel du film.

Ainsi, sans prétention de révolutionner ou de choquer, Sing Sing est avant tout une œuvre qui s’accueille et qui se ressent. Son propos sur l’importance de l’imaginaire dans la vie dépeint en même temps une lettre d’amour aux comédiens et à l’acting. Colman Domingo porte le film sur ses épaules, livrant une performance qui lui vaudra sûrement une nomination aux prochains Oscars. Sans oublier le dispositif du film, procurant au long-métrage une crédibilité incontestée. Petit film indépendant américain, cette œuvre mérite en tout cas de briller aussi fort que nos yeux en sortie de séance.

Sing Sing sortira dans les salles françaises le 29 janvier 2025. 

Auteur/Autrice

Partager l'article :