? Réalisateur : Rouben Mamoulian
? Casting : Fred Astaire, Cyd Charisse, Janis Paige
? Genre Comédie musicale
? Sortie : 10 janvier 1958
You’re going to marry me!
Steve Canfield
Silk Stockings ou La Belle de Moscou en version française, est une comédie musicale de Rouben Mamoulian sortie en 1957. Son synopsis tend à présenter l’histoire d’un cinéaste américain tentant de convaincre un compositeur russe de rester à Paris et d’écrire pour son prochain film, alors que la Russie le réclame : il est en réalité question d’une confrontation entre le capitalisme et le communautarisme dont les personnages de Fred Astaire et Cyd Charisse, Steve Canfield et Ninotchka Yoschenko, en sont le symbole. Ce long-métrage va alors se concentrer sur l’histoire d’amour naissante entre ces deux protagonistes que tout oppose ou presque.
Un film constamment évolutif et vecteur de changements qui se retrouvent parfaitement dans la séquence dansée Fated to be Mated. En effet, ce passage, mettant en scène la demande en mariage de Steve à Ninotchka, concentre à elle seule l’identité de Silk Stockings.
Ainsi, la problématique à laquelle nous allons essayer de répondre tout au long de cette analyse filmique sera tournée de cette manière :
Comment cette séquence symbolise-t-elle l’évolution de la relation entre Steve et Ninotchka ?
Fated to be Mated est une séquence construite autour de trois tableaux distincts, connaissant trois atmosphères, trois musiques et trois danses différentes. Chaque tableau est donc une étape dans l’histoire entre les deux protagonistes et synonyme de changements.
Premier tableau
Ce premier tableau est scindé en deux parties. En effet au début, Steve chante et expose à Ninotchka ses idées au travers de ses paroles. Il lui explique ce qu’il pense et elle l’écoute comme lors de leur première visite de Paris. En plus d’occuper l’espace sonore avec sa voix, Steve prend les commandes de la suite du tableau.
En effet, on remarque que c’est lui qui guide Ninotchka : il la prend par la main pour l’emmener se promener. Il la tire gentiment vers lui, la fait tourner dans la direction qu’il veut, utilise son corps pour l’accompagner. Ninotchka suit le mouvement encouru. Steve et Ninotchka reproduisent alors les débuts de leur histoire où Ninotchka se laissait entrainer par Steve dans Paris pour découvrir la ville mais aussi par sa joie et son envie de danser. Ce premier tableau représente donc une promenade bucolique dans les rues parisiennes et l’émergence de l’idylle entre ces deux personnages. Le décor se prête également à cette interprétation avec la verdure, les lampadaires et le banc mais aussi les affiches parisiennes au-dessus.
La musique est alors douce, c’est une balade légèrement rythmée et joyeuse mais surtout très romantique. Leur danse est alors contemporaine et gracieuse avec de la gigue, des mouvements amples et circulaires fluides et légers et quelques pas classiques pour Ninochtka, toujours dans cette idée que Steve guide Ninochtka. La transition entre les deux tableaux se fait alors avec un mouvement de danse plus imposant et une musique qui évolue vers un rythme plus marqué et rapide : les protagonistes arrivent dans le second tableau.
Second tableau
Alors que l’ambiance était plutôt bucolique dans le tableau précédent, celui-ci dégage une atmosphère nettement plus soviétique avec un rythme plus prononcé et marqué. Ninochtka et Steve vont alors danser ensemble, sans que Steve ne guide Ninochtka : la jeune femme se libère et le couple se détache : ils ne se touchent plus ou alors peu. Ils dansent alors en parfaite synchronisation et selon les mêmes mouvements. Aucun des deux ne dirigent l’autre et dans un parfait parallélisme, ils occupent l’ensemble de l’espace. Leur rapport de force sont égaux, ils se regardent beaucoup et gardent cette complicité et cette joie de danser. Ainsi, leur danse se rapproche du flamenco et on retrouve quelques notions soviétiques et soutenues avec force.
Leur chorégraphie est plus rythmée avec des pas rapides et des légères pauses pour intensifier l’énergie qu’ils dégagent. Même s’ils gardent de la grâce, c’est une certaine puissance qui émane de leurs mouvements. Un peu plus spectaculaire qu’au premier tableau, il représente la libération de Ninochtka auprès de Steve, son lâcher prise et son ouverture à la danse, en parfait miroir avec cet homme.
Le décor a également changé, toujours garni en verdure mais laissant nettement plus de place aux danseurs, notamment avec l’estrade qui forme une véritable scène. Ninochtka peut alors s’émanciper davantage dans ses mouvements et sa liberté. La transition entre les deux tableaux se fait avec le même enchainement de pas que la précédente ainsi la musique reste la même et, grâce à un léger fondu sonore et en raccord avec leur mouvement de corps, change uniquement quand les deux protagonistes sont complètement entrés dans le décor.
Troisième tableau
Le troisième et dernier tableau symbolise la finalité de l’histoire entre Steve et Ninochtka à ce moment du film. Comme pour ses prédécesseurs, il connait une identité singulière, tant dans l’esthétique et la chorégraphie que dans la musique. En effet, le couple va alors danser ensemble, avec des enchainements de pas plus proches et connectés : par une main, par deux mains, enlacés… Ils dansent souvent face à face et non plus l’un à côté de l’autre.
On regarde alors une chorégraphie nettement tournée vers le modern jazz, la danse de couple et parfois des postures amples empruntées à la danse classique mais également des mouvements provenant de danses soviétiques et de flamenco. Ce tableau est un condensé des deux autres tableaux et marque la connectivité et l’harmonie entre les deux protagonistes, entre leurs deux univers, leurs deux cultures, pour ne former plus qu’une seule et même danse. Steve prend le rôle de porteur et soutient Ninochtka dans plusieurs portés ou mouvements : ils se font pleinement confiance et dansent harmonieusement.
La musique quant à elle est très clairement du jazz, avec beaucoup de rythmiques. Elle apporte une ambiance entrainante, joyeuse mais également parfaitement accompagnatrice des mouvements des danseurs grâce à un underscoring léger. Elle embellie l’enthousiasme qui se dégage du couple, totalement amoureux l’un de l’autre. Enfin, le décor représentant alors un quai de pêche avec filets et tonneaux, renvoie également l’image d’un décor en chantier, encore dans les cartons, en construction et renforce l’idée que ce tableau montre la construction de Steve et Ninochtka en tant que couple, en tant que futurs jeunes mariés.
Mouvements de caméra
En ce qui concerne les mouvements de caméra et le cadrage, l’objectif va continuellement suivre les protagonistes dans leur balade romantique. Au début de la séquence, le cadre sera proche des protagonistes, mettant en avant les propos tenus par Steve avant de s’agrandir considérablement pour laisser plus de place à l’écran pour la danse.
Dorénavant, le couple sera toujours filmé ensemble, de plein pied ou parfois avec des plans américains. Cela renforce l’égalité entre Steve et Ninochtka qui ne sont jamais isolés dans un plan ou mis en avant à l’encontre de l’autre. Il n’y a pas non plus de gros plans sur leurs mouvements, sur leurs pas : on ne met pas en avant la technique de danse mais l’émotion, l’amplitude des gestes et la joie que ces chorégraphies et que ces danseurs dégagent. Ces plans larges nous permettent également de voir leur occupation de l’espace, leur enthousiasme. Les mouvements de caméra accompagnent donc parfaitement les mouvements de Steve et Ninochtka, renforçant leur symbiose et ne faisant d’eux qu’une seule et même entité au fur et à mesure du défilement des tableaux.
S’opère donc un panorama, un défilement vers la gauche, symbole de leur promenade romantique, suivant l’avancée des protagonistes provoquant cette sensation de perpétuels mouvements, changements et évolution à la fois par les mouvements de caméra et par les images proposées. Enfin, le plan final est un plan rapproché sur Steve et Ninotchka, comme au début de la séquence, montrant parfaitement leur amour l’un pour l’autre alors qu’ils sourient, joue contre joue et enlacés.
Pour conclure, la séquence Mated to be Fated de Silk Stockings symbolise l’évolution de la relation entre Steve et Ninochtka grâce à une promenade, une balade romantique et joyeuse au travers de trois tableaux distincts dégageant des étapes dans l’histoire de ces deux protagonistes et dont les chorégraphies évolutives, la musique de plus en plus rythmée et les décors éclectiques appuient cette sensation de changements. Les mouvements de caméra s’alignent également à mettre en avant la joie qui s’émane du couple et leur progression inévitable vers leur union. Ainsi, cette séquence est le symbole qu’ils étaient destinés à s’unir : « fated to be mated« .
N’hésitez pas à lire l’analyse filmique sur L’Ombre d’un doute de Hitchcock si celle-ci vous a plu : ici !