Quatre ans après son premier long-métrage Vaurien, Peter Dourountzis nous revient avec Rapaces, un nouveau film plus maîtrisé consacré aux féminicides.

Samuel est journaliste d’investigation pour le magazine Le Nouveau Détective. Son travail consiste à couvrir les faits divers les plus sordides. Aux côtés de sa fille et stagiaire Ava, il est chargé du meurtre d’une jeune fille attaquée à l’acide. Mais lorsque Samuel découvre que cette affaire possède des similitudes troublantes avec le meurtre d’une autre femme, il décide de mener l’enquête personnellement, à l’insu de sa rédactrice en chef…

Pur film d'enquête

En 2021, Peter Dourountzis signait son premier long-métrage intitulé Vaurien. Malgré ses quelques maladresses de jeu d’acteur et de narration, ce film restait intéressant par la manière qu’avait Dourountzis de fouiller dans les tréfonds de l’âme humaine pour montrer ce qu’elle pouvait faire de pire. Il démontrait à sa manière la banalité du mal en nous invitant à suivre, sans jamais être complaisant, les errances d’un tueur en série insoupçonnable.

Déjà dans ce film, on retrouvait une dénonciation du machisme ordinaire. Quatre ans plus tard, Dourountzis explore cette thématique plus en profondeur dans Rapaces.

Rapaces © Zinc
Un excellent Sami Bouajila © Zinc

En résulte un pur film d’enquête avec moments de recherche, de réflexions, de propositions et de fausses pistes. Il serait difficile d’en parler sans divulguer de bons moments, mais retenez que l’aspect enquête est très bien mené. On suit l’intrigue avec attention, intrigue qui sait être trépidante à plusieurs instants (preuves en sont, de véritables moments d’angoisse) notamment grâce à une bonne écriture, mais aussi une mise en scène et un montage travaillés qui ne fait jamais dans le sensationnalisme (que condamne la rédaction du détective, dans le film). Le tout baigne dans une photographie qui bénéficie d’un travail soigné sur le jeu de la lumière et des ombres.

Dans Rapaces, Dourountzis continue de s’intéresser à la figure du tueur, ici par le biais du journalisme d’investigation. La plongée dans ce milieu constitue une opportunité pour le réalisateur de parler des mouvements masculinistes et des féminicides, mais également d’explorer les relations père-fille dans un monde en proie à de telles violences.

Rapaces © Zinc
Tous les journalistes débattent sur ce féminicide © Zinc

Un peu d'humanité

Au milieu de toute la dureté délivrée par l’enquête résident ces journalistes. Dourountzis veut casser l’image clichée du journaliste d’investigation antipathique et racoleur et souhaite rendre hommage à cette profession, sans pour autant faire dans l’angélisme. En effet, parfois, la fin justifie certains moyens pour ces rédacteurs. Mais cela ne les empêche pas d’être dotés de réflexion morale et de former un groupe soudé. On découvre leur fonctionnement, mais aussi leur esprit de coopération en tant que groupe : chacun apporte une pierre (même petite) à l’édifice de l’enquête, que ce soit par des observations ou des instants de débats.

Cette rédaction vient ainsi, malgré tout, délivrer un contrepoint bienvenu à l’univers dont elle se charge de rapporter la triste réalité. Il est tout de même regrettable qu’à l’exception de Christian (superbe Jean-Pierre Darroussin), les autres membres de la rédaction soient assez secondaires (surtout le dessinateur Aubin, joué par Stefan Crepon). Rajoutons également une sous-intrigue amoureuse entre Samuel et sa collègue Solveig (Valérie Donzelli) qui, si elle contribue à la thématique des relations hommes-femmes, n’aboutit à rien. Mais malgré ces défauts, on voit la complicité du groupe malgré leurs divergences. Le film ne se prive d’ailleurs pas de quelques moments d’humour apportés notamment par Christian, dont les quelques réflexions qu’il délivre font mouche.

Le film n’hésite d’ailleurs pas à parler de la situation précaire de la presse papier par le biais du personnage de la rédactrice en chef, surnommée « Maman ». Il est néanmoins dommage que ce personnage sonne comme particulièrement artificiel et cliché dans son portrait de femme sensationnaliste qui s’immisce dans le travail de ses employés et les force à affronter des coupes. Clairement utilisée pour accentuer la dureté de ce milieu, sa présence fait tache dans un film qui se veut réaliste comme Rapaces.

Samuel et Ava : En quête

Un duo resoudé par l'enquête © Zinc

Mais c’est surtout dans l’écriture des personnages de Samuel et d’Ava, tous les deux interprétés par les excellents Sami Bouajila et Mallory Wanecque, que réside la grande qualité du film : la représentation d’une relation père-fille compliquée.

Pour les besoins du stage d’Ava, les deux personnages maintiennent une relation professionnelle. Samuel fait office de maître et donne des conseils à une Ava quelque peu stoïque. Mais derrière ce voile, à un niveau plus intime, leur relation est particulièrement embarrassée car faite de non-dits et de craintes. Samuel, notamment, a du mal à dire à sa fille qu’il tient à elle. Tous deux évoluent au sein d’une société en proie aux faits divers macabres et chacun essaie ainsi de se placer par rapport à tout cela. Samuel en tant que père seul et journaliste voulant préserver sa boussole morale et Ava en tant que jeune femme.

Elle est par ailleurs la protagoniste de l’une des meilleures scènes du film, dans le premier acte. Dans un champ, Samuel photographie une scène de crime. Ava reste immobile et le regarde faire. Puis d’un air blasé semblant cacher une forme de désespoir, elle lève les yeux vers le ciel clair du soir. Comme si elle se demandait quel peut bien être sa place dans l’immensité de ce monde désespérant.

L’enquête menée va pousser Samuel et Ava à se rapprocher un peu plus et à oser révéler leurs failles et leurs inquiétudes. C’est dans une séquence haletante se déroulant entièrement dans un restaurant de campagne que cette thématique va véritablement atteindre son paroxysme. Une séquence à découvrir, dans lequel les enjeux sont les plus forts, pas seulement concernant cette relation mais également concernant l’enquête.

Ces deux personnages sont émouvants dans leurs failles et constituent la meilleure qualité de Rapaces. Avec ce film, Peter Dourountzis nous offre un thriller haletant qui ne fait jamais dans le graveleux, à découvrir actuellement en salles.

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